OUTRE-MER
Juin 2020
L'église de Saint-André de Morne-à-l'Eau (Guadeloupe)
Menace sur la restauration d'un monument historique classé
Nathalie Ruffin

Au lendemain du bilan de cette catastrophe, l’Etat programme une reconstruction d’importance afin de reconstruire les bâtiments gouvernementaux et communaux, ruinés.
Cette mission est confiée à Ali Tur, Architecte du Ministère des Colonies. Il arrive en Guadeloupe, le 25 mars 1929. En huit ans, l’architecte et ses collaborateurs guadeloupéens, reconstruisent une centaine de bâtiments en béton armé, de style Art Déco, pour une somme évaluée autour de 72 millions de francs de l’époque.

Sortie de messe avant le cyclone du 12 septembre 1928 qui montre les dispositions du bâtiment cultuel, précédant celui reconstruit par Ali TUR—Source : ADG, 5 Fi 16_6

Fin mars 1929, la Guadeloupe est à peu près dans le même état qu’après le passage du cyclone : les routes sont pleines de fondrières et souvent impraticables ; le fonctionnement du téléphone est aléatoire.
Il n’y a dans l’archipel guadeloupéen, ni carrière de pierre, ni exploitation de forêt, ni briqueterie, ni tuilerie. Aussi, la technique du béton armé est-elle retenue en tant que savoir-faire innovant.
En 1930, le procédé Hennebique est maîtrisé. Aussi, le béton armé est-il utilisé pour la construction des ossatures. Les matériaux de remplissage sont soit des voiles de béton, soit des agglomérés creux de ciment.
Des types standards de fenêtres et de portes en bois sont fabriqués suivant les besoins. Les autres matériaux sont importés : ciments, bois de coffrage, fers ronds, carrelages, appareils sanitaires, parquets, canalisations en fer, portes et fenêtres, serrureries, produits colorants pour la peinture, produits d’étanchéité pour les terrasses.
En effet, le régime des prestations en nature versées en réparation des dommages de guerre au titre du Traité de Versailles du 19 juin 1919, offre à la Guadeloupe, l’opportunité de se fournir en matériaux fabriqués par les Allemands, en les payant à l’Etat français, en trente années.
Lors de leur mise en œuvre, des matériaux importés apparaissent défectueux. Les fers ronds entreposés sur les quais du port de Pointe-à-Pitre et exposés à l’air marin, sont livrés aux entreprises, oxydés par la rouille.
De même, les dispositifs d’étanchéité pour les toitures-terrasses, composés de rouleaux de carton bitumé (Corritect) et d’un liquide bitumineux (Tropénol), sont stockés dans des hangars non loin du port, donc en milieu salin. Ces ouvrages montrent des feuilles collées entre elles par l’humidité. Ils sont toutefois, mis en œuvre dans cet état. Aussi, leur putrescibilité a causé des infiltrations importantes, dans les bétons fissurés par les microséismes.

La construction de l’église Saint-André se déroule en deux campagnes.
La première, en 1930-1931, concerne la construction des bâtiments de la nef et de la sacristie.
La seconde, en 1933-1934, est relative à la construction du clocher.
Les bâtiments de la nef et de la sacristie ont été livrés au second semestre de l’année 1931. Le bâtiment du clocher a été terminé en 1934 ; la consécration de l’édifice cultuel ayant eu lieu le 22 avril 1934.
Clichés réalisés au terme des deux campagnes de travaux

Source : ADG, 5 Fi 16_4-5

Source : ADG, 5 Fi 16_2
La tour du clocher a un plan proche du carré mesurant environ quatre mètres de côté. Elle s’élève selon sept niveaux sur un peu plus de quarante mètres, du rez-de-chaussée à l’extrémité de la croix sommitale. Le clocher est contreventé par d’épais contreforts aux quatre angles.

Vue depuis le Nord-Ouest, 2014, cliché Yann Maréchaux infographiste ©
Vue générale de la nef depuis le Sud, 2018, © NR AP

Ainsi, sont observés les désordres suivants :
- un éclatement du béton d’enrobage d’une épaisseur insuffisante laissant apparaître les armatures corrodées et écaillées qui, positionnées à fleur de peau, sont apparentes ;
- de multiples épaufrures ;
- les planchers présentent en sous-face, des manques d’enrobages laissant voir les armatures corrodées ;
- les poutres-support des cloches sont dans un état de dégradation avancée.
On observe également la fixation directe du beffroi en métal, sur la structure en béton du clocher. La solidarité de ces deux structures constitue un facteur aggravant pour les dégradations, à cause des vibrations découlant de l’effet de résonance.
Au regard du risque sismique, des mesures d’urgence et de sécurité sont mises en œuvre, en 2014 :
- l’arrêt des sonneries puis la dépose des cloches ;
- la fermeture de l’église au public ;
- la mise en œuvre de filets de sécurité sur la tour du clocher, afin de recueillir les chutes régulières des enrobages de béton.
- la mise en place d’un périmètre de sécurité règlementaire autour du clocher préconisée dès 2013, n’a pas été retenue par la collectivité…

Dépose des cloches par BODET Antilles-Guyane, 2014, © NR AP

- des études des bétons par un laboratoire agréé par le Laboratoire de Recherches des Monuments Historiques (LRMH) ;
- des études de sol ;
- une modélisation 3d aux éléments finis.
Les analyses des sondages destructifs ont permis de confirmer l’hétérogénéité des enrobages d’épaisseur insuffisante, la faible résistance à la compression des bétons carbonatés (dégradés) jusqu’aux armatures gravement corrodées principalement dans les zones de faible enrobage : les planchers, les voiles ainsi que les contreforts.
La pathologie principale affectant l’église est une corrosion massive d’armatures, ayant engendré des fissurations et des pertes de matière inquiétantes au niveau du clocher. Les altérations les plus prononcées sont rencontrées dans les intérieurs des niveaux hauts du clocher.
Ces ouvrages sont incapables de reprendre les efforts sismiques, ce qui impliquerait un déchirement des contreforts au fur et à mesure du séisme.
Ce mode de ruine provoquerait un effondrement par basculement
Pathologies des bétons dans les niveaux hauts du clocher, 2014, © NR AP



- la reprise en sous-œuvre des fondations du clocher ;
- la reconstruction de la partie haute de la tour du clocher ;
- le renforcement de la partie basse de la tour du clocher ;
- la restauration de tous les ouvrages en béton armés dégradés, constitutifs de l’édifice.

Tranche 2 : Étêtage et travaux obligatoires pour ouverture au public de la nef.
Tranche 3 : Reconstruction et restauration du clocher
Tranche 4 : Travaux de restauration de l’église et du chemin de croix
L’autorisation de travaux sur monument historique classé est délivrée à cette fin, le 26 janvier 2019.
Les enjeux de cette opération semblent importants…
Aussi, reçoit-elle, un appui financier substantiel de l’Etat et bénéficie-t-elle d'un soutien de la mission pour la sauvegarde du patrimoine en péril confiée par le Président de la République à Stéphane Bern.
A cet égard, Franck Riester Ministre de la Culture, y effectue une halte le 06 avril 2019, lors de sa visite officielle en Guadeloupe. Enorgueillis de cet honneur, tous « mettent les petits plats dans les grands », accoutrés du costume cravate sombre de rigueur.
Les engagements réciproques sont réitérés, des soutiens sont confirmés, les devoirs en retour de ceux-ci, sont réaffirmés, avec l’emphase de circonstance… ! En effet, il convient de mentionner qu’à la date de cette visite ministérielle, les services de l’Etat se sont déjà engagés financièrement depuis plusieurs mois, afin de permettre le démarrage de ce chantier.
Ainsi, la seconde tranche des travaux Étêtage et travaux obligatoires pour ouverture au public de la NEF est financée à 76,7% par l’Etat, suivant les mentions du panneau de chantier.

Début février 2020, un périmètre de sécurité autour du clocher, nécessitant le déplacement de riverains est enfin… ! mis place.
Début mars 2020, la totalité des installations de chantier est opérationnelle. Mais, le confinement consécutif à la crise sanitaire, engendrée par la pandémie de COVID-19, donne un coup d’arrêt à ce démarrage de chantier ô combien attendu.
Panneau de chantier, décembre 2019, NR AP

- toutes les entreprises retenues pour cette seconde tranche de travaux, sont-elles toujours, en capacité financière de l’exécuter ? Cette interrogation est suscitée par les conséquences financières médiatisées, de la pandémie, sur les trésoreries des entreprises du secteur de la construction.
- la solidarité économique fortement recommandée aux maîtres d’ouvrage territoriaux, par les directives gouvernementales, dans le cadre de la crise sanitaire, a-t-elle été mise en place, afin de permettre le démarrage de ce chantier ? Autrement dit, TOUT a-t-il été mis en œuvre, afin de réduire les délais réputés extensibles à l’infini… des paiements administratifs ?
- la maîtrise d’ouvrage peut-elle faire face aux surcoûts liés à l’application des mesures sanitaires réglementaires consécutives à la crise sanitaire ?
- quand ce chantier pourra-t-il enfin, démarrer ?
- les « nerfs de cette guerre » pour la sauvegarde de ce patrimoine classé sont-ils solides ? D’acier ? En place ? Coincés ? Froissés ? En pelote ? A fleur de peau ? A bout ? Ou à vif… ?
Si c’est une guerre des nerfs qui a lieu…, la période cyclonique commencée depuis le 1er juin 2020, et prévue active, pourrait fort avoir le dernier mot…
Nathalie RUFFIN
15 juin 2020