OUTRE-MER
Octobre 2020
L'église du Sacré-Cœur de Balata à Fort-de-France monument historique inscrit
Un chef-d'œuvre des Arts Décoratifs à La Martinique
Nathalie Ruffin


L’œuvre architecturale du Sacré-Cœur de Balata est construite de 1923 à 1925 à la suite d’un concours d’architecture remporté par les architectes Charles Wulfleff et Aloïs Verrey architectes du ministère des colonies.
Orientée Nord-ouest/Sud-est, l’église est juchée sur une plate-forme aménagée sur un morne perché à 277 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là, elle domine la ville de Fort-France. Inspirée de l’architecture de l’église du Sacré-cœur de Montmartre, son organisation spatiale se base sur un plan centré couvert d’une composition de voûtes et de coupoles, prolongée au Nord-ouest, par un clocher hors-œuvre.
Par le choix d’un décor de mosaïques et de vitraux, ses dispositions intérieures témoignent de la période d’expérimentations plastiques augurées dans le domaine de l’architecture, en amont de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes. La présentation extérieure de l’église est rehaussée au Sud-est, d’une large vue panoramique s’étendant de l’Est à l’Ouest, de l’île. Ainsi doté, l’édifice apparaît comme l’un des joyaux architecturaux de la Martinique.
Pierre de fondation de l’église en andésite locale

Trois grandes étapes de construction sont mises en relief par les documents iconographiques :
De mars 1923 à mai 1924 : élévation de la nef et des bas-côtés ;
De septembre 1924 à octobre 1924 :
▪ élévation de l’ossature porteuse en béton armé de la coupole ;
▪ début de l’élévation de l’ossature porteuse en béton armé de la tour-clocher ;
▪ terme de l’exécution de l’ensemble des voûtes ;
▪ travaux du second œuvre ;
De novembre 1924 à juillet 1925 : élévation de la tour- clocher de 37,40 mètres.

Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue Le Montmartre martiniquais, n.d.
Mise en œuvre de l’ossature porteuse en béton armé au-dessus d’un soubassement en maçonnerie d’andésite locale

Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue i, n.d.
Mise en œuvre de l’échafaudage nécessaire au montage de l’ossature porteuse en béton armé de la coupole

Eglise du Sacré-Cœur à Tivoli- Balata, Martinique, in revue Le Montmartre martiniquais, n.d.
Mise en œuvre des maçonneries de remplissage de la coupole, angle sud-ouest

Conformément au projet conçu, la mosaïque architecturale programmée, doit refléter l’esthétique dominante de la décennie 1925-1935, foisonnante de l’inventivité offerte aux regards, lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, tenue à Paris en 1925.
De même, le projet original prévoit cinquante-quatre vitraux dont seuls trente-deux unités sont exécutées, probablement par défaut de financement. Les illustrations représentées par les panneaux de vitraux ont été dessinées par les architectes.
Ainsi, la mise en œuvre des vitraux du chœur, de la coupole et de la façade principale sont terminés en 1924. Les vitraux des bas-côtés, au droit des autels de la Vierge et de Saint-Joseph, exécutés par Pierre Turpin peintre-verrier lillois, ne sont posés qu’en 1948.
En 1926, la quasi-totalité du programme décoratif est en scène. La mise en œuvre du décor sculpté a bénéficié des talents de ces trois artistes : Madeleine Chantrel, sculptrice française (1888-1957), Achille Canessa, sculpteur génois (1856-1905), Alphonse Camille Terroir, sculpteur lillois (1875-1955). Ce dernier remporte notamment, le premier grand prix de Rome en 1902.
En 1928-1929, la tour-clocher élevée à l’Ouest du chevet abrite quatre cloches monumentales fondues dans les ateliers Wauthy, à Douai.
La statuaire est posée au cours des années 1930. Certaines statues dont celles de Sainte-Thérèse (1935) et de Saint-Michel (1938) ont été réalisées par Armand Roblot sculpteur français (1890-1983). Élève des sculpteurs Mercié et Fontaine, il expose au Salon des Artistes français dès 1914.
Vue aérienne depuis le Nord-est © Geoscan 3D

Au Nord-ouest, la nef esrt prolongée d’un chœur semi-circulaire longé par un petit déambulatoire aveugle s’ouvrant sur la sacristie au-dessus de laquelle est élevé le clocher.
Le clocher est un ouvrage en béton armé. Les remplissages de son ossature laissent percevoir les fantômes des banches. Par le jeu de contrastes des aspects de matériaux, de textures, de polychromies, des dimensions ainsi que le parti d’un profil général pyramidal, les façades apparaissent comme des paysages minéraux insérés au sein de la végétation luxuriante.
Les altérations repérées dans l’église sont variées et plutôt étendues. Les hypothèses des origines des altérations visuelles des bétons armés sont les suivantes :
- la pose d’armatures affleurant la surface de l’ouvrage ;
- la proximité de la mer et le transport aérien des embruns qui favorisent l’attaque de chlorures dans les armatures ;
- l’insertion de l’église dans le tissu urbain et la proximité du réseau routier ;
- le vieillissement naturel du béton appelé la carbonatation qui se traduit la plupart du temps, par l’apparition d’épaufrures laissant apparaître des armatures corrodées.

Socle de la statue du Christ au Sud

Chute d’enrobage de poutre en BA dans le clocher

Vestige de la polychromie originale, ocre jaune et ocre rouge, en façade est

Les élévations intérieures de la nef mettent en harmonie, les lignes des supports verticaux ainsi que les courbes des voûtes et des coupoles. Elles organisent une composition d’ombres et de lumières participant de l’ambiance intimiste et feutrée, ciblée par le programme architectural.
L’originalité de leur identité réside dans le rehaussement de l’architecture par un décor valorisant un échange visuel entre vitraux et mosaïques.
Les mosaïques architecturales dessinées par les architectes et mises en œuvre par l’atelier Gaudin, viennent rehausser des séquences architecturales majeures :
- l’arcature et la base du dôme de la coupole ;
- une mosaïque de dédicace commémorative déclinant « La Martinique reconnaissante au Sacré-Cœur » ceint le tambour du dôme. Elle est surmontée d’une frise composée d’entrelacs, d’enroulements et de cabochons ;
- l’arc triomphal précédant le chœur est rehaussé d’une frise de mosaïques de formes géométriques, de vagues et d’enroulements accompagnés d’oves…
En soulignant systématiquement les ouvrages d’architecture, tels que les dessus de portes latérales sud, les arcs, les arrondis de coupoles ou encore les profils de chapiteaux, les mosaïques traduisent simplement la volonté des architectes de réaliser une œuvre architecturale de haute qualité plastique.

Fissuration structurelle

Fissuration et cloquage

De même, les œuvres de mosaïques présentent des manques et ne semblent pas avoir été restaurées depuis leur pose. Ces manques sont dus à des descellements consécutifs à l’usure des supports ou découlant indirectement d’une adhérence défectueuse de supports infiltrés.
Remontées capillaires

Chœur : détail de la fresque de mosaïque. Fissuration du support

Ecoinçon de la coupole sur trompes. Mosaïque représentant saint Jean l’évangéliste

Seize baies équipées de vitraux illuminent l’intrados du dôme. La lumière qu’ils diffusent fait briller les mosaïques dorées. Ces vitraux composent d’aplats colorés en jaune et rehaussés de de bandeaux rouge-orangé. Les autres vitraux présentent des motifs losangés dont les couleurs s’inspirent de celles de la coupole. Cette composition devenue translucide est encrassée parfois jusqu’à l’opacification. Elle montre en outre, des fêlures, voire des casses.
Vitraux de la chapelle de Saint-Joseph, détail de panneau de vitrail datant de 1948 et exécuté par Pierre Turpin, peintre-verrier lillois

Enfin, le caractère à la fois expérimental et avant-gardiste, qui a marqué la décennie 1925-1935, dans tous les domaines de la création artistique et notamment, dans celui de l’architecture et des arts décoratifs, et dont cet édifice témoigne au-delà des mers, est un motif majeur.
Statue du Sacré-cœur en ciment armé, façade sud, œuvre de Alphonse Camille Terroir (1875-1955)
Le choix de soutenir la restauration de l’église du Sacré-Cœur de Balata, se fonde d’une part, sur sa charge emblématique de mémorial pour les soldats martiniquais morts pour la France, lors de la première guerre mondiale. D’autre part, cette œuvre architecturale fait la démonstration dès les années 1920, des heureux possibles issus du métissage des matériaux locaux et importés.
Enfin, le caractère à la fois expérimental et avant-gardiste, qui a marqué la décennie 1925-1935, dans tous les domaines de la création artistique et notamment, dans celui de l’architecture et des arts décoratifs, et dont cet édifice témoigne au-delà des mers, est un motif majeur.