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Octobre 2020


Illiers-Combray : l'incroyable village de Marcel Proust

Gisèle Maini 


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Lectrice de l’écrivain Marcel Proust, Gisèle Maini qui visitait Illiers-Combray quelques années avant son départ à la retraite, tomba sous le charme de ce petit village et vint y habiter à partir de 1994. Sa formation à l’école supérieure des Beaux-Arts et son travail au Château de Versailles l’ont tout de suite conduite vers le tourisme, avant qu’elle ne soit séduite par le riche patrimoine que possédait la ville. En effet, des siècles et des siècles d’histoire s’étaient succédés sur cette terre de Beauce et lui promettaient des recherches aussi laborieuses que passionnantes à découvrir. Dès qu’elle le put, elle s’engagea au sein d’associations locales historiques et littéraires et son vrai travail de recherche commença.

Sa connaissance et sa passion pour l’architecture la guida tout naturellement vers l’église de la ville sur laquelle de nombreux styles se superposaient. Elle en fit l’objet d’un livre publié en 2019 intitulé
Eglise d’Illiers-Combray. Dans ce livre, Gisèle Maini y a mêlé ce qui à son avis résume si bien ce village : l’Histoire de France avec la famille d’Illiers qui est à l’origine de la branche des Bourbons, Marcel Proust et son nouveau style de littérature aux phrases longues, l’histoire d’Illiers et de son église.

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Situé au carrefour de la Beauce et du Perche, le village d'Illiers-Combray (3234h en 2005) est à l'origine une place forte Gallo-romaine. Ce sont les lettres de Fulbert évêque de Chartres, qui nous révèlent que Geoffroy Vicomte de Châteaudun y reconstruisit un château en 1019. C'est le règne des Capétiens : Hugues Capet meurt en 996 et laisse son trône à son fils Robert II le Pieux (996-1031) et son fils Henri Ier lui succèdera. De 1131 à 1408, le nom d'Illiers semble avoir eu diverses formes, (Illers en 1131 dans le cartulaire de Thiron, Illetum en 1138 dans la charte de l'Abbaye de Thiron, Hysleri vers 1150 dans le cartulaire de St Denis, Yliers en 1248 dans la charte de l'Abbaye de St Jean en Vallée,Hillers vers 1250, Illesi en 1348, Yles en 1366, Illée en 1408 dans les registres des contrats des Chapitres de Chartres). Il est plus vraisemblable que le nom d’Illiers, qui se trouvait à l’origine dans le royaume des Carnutes, soit d’origine Celte car « illia» signifie ville.

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Florent d'Illiers est le personnage le plus populaire de la Seigneurie d'Illiers. En 1453 lorsqu’il revint de la guerre de Cent Ans, il entreprit la reconstruction de son église qui était en ruines au cours de la deuxième moitié du XV e siècle. Le 26 novembre 1666 Colbert, suivant des directives de Louis XIV, reçut pour mission de relancer l'activité industrielle à Illiers.

Au XIX e siècle, dans un article qui paraît dans
Le bulletin de la Société Géographique de Paris, V.A. Malte-Brun rapportait qu'Illiers était « un des centres de commerce les plus actifs du département » ; il y avait cinq foires annuelles et un marché, on y fabriquait des draps, de la bonneterie, on y comptait plusieurs tuileries et on y faisait un commerce considérable de grains et de bestiaux. »

En 1962 le Grand Larousse Encyclopédique relevait des activités de traitement du lin et des constructions mécaniques.

En 1971, Illiers changea de dénomination à l'occasion du centenaire de la naissance de Marcel Proust qui l'avait décrite sous le nom de Combray dans son œuvre A la recherche du temps perdu. Enfant, il y venait passer ses vacances chez son oncle et sa tante qu’il appellera Tante Léonie dans son œuvre. Il avait recréé cette ville, tant aimée de son enfance, « Combray », où chaque année des milliers de visiteurs de tous les pays du monde viennent revoir les lieux proustiens. Aujourd'hui, il existe à Illiers de nombreuses associations sportives et culturelles, et situé aux frontières du Perche, le lieu reste à vocation essentiellement agricole, avec l’élevage de moutons et de chevaux.

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Le château médiéval d'Illiers

L’histoire nous apprend que le château d’Illiers fut rasé autour de l'an 1000 ainsi que celui de Gallardon sur l'ordre du Roi de France Robert II le Pieux, agacé par l'arrogance de son vassal Geoffroy. Mais Geoffroy fit relever son château immédiatement, et c'est peu après dans le début du XI e siècle que les lettres de Fulbert, évêque de Chartres, nous révèlent sa reconstruction par Geoffroy, vicomte de Châteaudun en 1019. Fulbert possédait de nombreuses terres dans la contrée d'Illiers et il décrit le Château d'Illiers ainsi : « il possédait une double enceinte et de hautes et épaisses murailles, épaulées par des tours ». [Note : la grosse tour qui subsiste encore de nos jours la plus proche du Loir était désignée sous le nom de « Folie-Cotton » (c'est la tour qui a donné son nom à la rue de Cottron.)]

Situé sur les bords du Loir, le château formait une île entourée de lagunes et de fossés alimentés par la rivière. Cette situation privilégiée sur le plan défensif, vis-à-vis des animaux sauvages ou des envahisseurs, donna très vite aux propriétaires de ces lieux l'idée de construire une place forte. Sa porte d'entrée monumentale et les vestiges d'une tour rappellent que se dressait ici une fière place forte du haut Moyen Age. L'ancienne forteresse était entourée d'une double enceinte avec un donjon carré.

En 1870, M. Lejeune, historien de la Société Archéologique d'Eure & Loir, en reconstitua une maquette. Le donjon était quadrangulaire et ses faces correspondaient à chacun des points cardinaux, chose inusitée dans l'ancien pays des Carnutes où tous les donjons étaient ronds. Au donjon était adossée une chapelle — la Chapelle Saint Médard — et il existait de nombreuses dépendances. Le château, forteresse imprenable dont il reste encore quelques vestiges, permit à Florent d'Illiers, Seigneur d’Illiers, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, de devenir un redoutable guerrier et de participer de façon décisive à la libération d'Orléans en 1429.

Florent d'Illiers, le plus connu des représentants de la famille, est un bienfaiteur en quelque sorte, car c'est lui qui fit restaurer le château et reconstruire l'église Saint-Jacques en ruines. Après 1493, la famille d'Illiers ne réussit plus à conserver son fief et s'éteignit au XVIIIe siècle. On laissa l'illustre forteresse à l'abandon, ses murs et ses toits se défaire. Après la Révolution le château qui était déjà en ruine fut démantelé et tomba finalement dans l'oubli. Une famille racheta le domaine, puis une autre famille au XIXe siècle : les pierres du donjon et des enceintes furent utilisées à d'autres constructions. Les fossés et les douves furent comblés et devinrent peu à peu des voies de communication. Aujourd'hui, le château (ou ce qu’il en reste) ) est une propriété privée habitée.


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« Ils étaient semés des restes, à demi-enfouis dans l'herbe, du château des anciens comtes de Combray qui au moyen-âge avait de ce côté le cours de la Vivonne comme défense contre les attaques des sires de Guermantes et des abbés de Martinville. Ce n'étaient plus que quelques fragments de tours bossuant la prairie, à peine apparents, quelques créneaux d'où jadis l'arbalétrier lançait des pierres, d'où le guetteur surveillait, aujourd'hui au ras de l'herbe, dominés par les enfants de l'école des frères qui venaient là apprendre leurs leçons ou jouer aux récréations »

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu.



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L’église Saint-Jacques d’Illiers

L’église Saint-Jacques, presque entièrement reconstruite vers la fin du quinzième siècle, date du onzième. Son antique porte à double arceau, en grison, et un cintre de fenêtre, que l’on voit encore du côté nord, lui assignent cette époque. La matière comme le style en font la contemporaine du vieux château.

En 1453 après la guerre de Cent Ans, Florent d’Illiers, qui vint enfin se reposer au manoir seigneurial de ses ancêtres, au retour de ses longues campagnes militaires, entreprit la reconstruction de son église ; mort en 1475, il ne la verra pas achevée, sa famille s’en chargera. En effet la dernière poutre du bas de la nef porte dans un blason, les armes de Florent et celles de Jeanne d’Illiers, fille de Jean d’Illiers, lui-même fils de Florent, mariée au comte du Lude en 1493. Ce qui nous informe que la reconstruction de l’église devait être achevée dans les dernières années du quinzième siècle.

La belle tour ne fut bâtie que plusieurs années après l’église. Le clocher qui la précéda, comme celui de Dangeau, reposait sur de puissantes poutres, car en 1447, Maître Samson, barbier et chirurgien, par testament, demande à être inhumé entre les quatre poteaux du clocher.

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La haute tour en belles pierres de taille qui subsiste de nos jours, ne fut pas achevée. Elle était destinée à être couronnée d’une flèche de pierre ; de là les bases en saillie appelées redans qui devaient supporter les arcs-boutants de la flèche. A partir de 1494 la baronnie d’Illiers étant désormais possédée par les seigneurs du Lude, le clocher ne fut pas recouvert. On l’acheva plus tard économiquement, en le couronnant d’un cône en charpente, couvert d’ardoise.

Il est surmonté lui-même d’une lanterne à jour, d’une grande légèreté. Un acte retrouvé apprend la réparation de ce clocher en 1622. En effet, la paroisse Saint-Jacques, dans une réunion publique, décide la vente d’une vieille maison sur le cimetière environnant, afin d’en consacrer le prix à la réparation de la toiture du clocher, du beffroi et du pavillon. La sacristie ne fut construite qu’en 1689 et les autels latéraux Saint Michel et Saint Eloi supprimés peu après 1610.

Du XVe siècle, il ne reste que peu de choses.

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La grande fenêtre du chevet, descendait jusqu’à deux mètres du sol. Le maître autel, qui était de pierre blanche, était entouré de deux autels latéraux appliqués au chevet. D’autres autels de dévotion étaient de chaque côté adossés à la muraille. Il y avait l’autel de Saint Michel dont le couronnement sculpté rehaussé de têtes d’ange, forme aujourd’hui le cintre de la fenêtre de la sacristie. En 1610 et peu de temps avant la suppression de cet autel, un acte notarial apprend que messire André Brière, chapelain de la chapelle Saint-Barthélémy, demande par testament d’être enterré près du pilier de l’autel de Saint Michel. En face s’élevait sans doute celui de Saint Eloi car en 1595, Macé Lubin, tailleur, exprima sa volonté de reposer devant l’autel de Saint Eloi. Il fit de petits legs aux Confréries des Trépassés, de Saint Denis, de Saint Blaise, de Saint Sébastien, de Saint Roch et de Saint Michel.

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Beaucoup d’habitants de la paroisse, de toute condition, des gentilshommes et des châtelains de Tansonville, du Rouvray, de Montjouvain, de Feugerolles, ont été inhumés dans cette église. Cependant les fouilles opérées pour trouver du salpêtre en 1793 ont bouleversé toutes les sépultures. Les dalles qui auraient pu indiquer d’une manière certaine où reposait Florent d’Illiers, inhumé solennellement par son frère, Miles, évêque de Chartres, le vendredi 11 Août 1475, ont disparu. Près de lui reposait Jeanne de Coutes son épouse sœur du page de Jeanne d’Arc, et l’un de leur fils, Charles, chanoine. Cette sépulture, qui devait être située devant l’autel de la Vierge, n’a pu être placée que sous la tour, dans la chapelle où est honorée la mère de Dieu.

Un cimetière commun — qui entourait l’église — occupait une bonne partie de la place actuelle et les habitations qui la bordent au nord n’existaient pas. Ce cimetière fut supprimé en 1789 et déplacé en dehors de la ville et lorsqu’au XIX e siècle on voulut enlever les terres pour adoucir la pente de la place, on trouva un certain nombre de cercueils de pierre, appartenant à une haute antiquité… mais ceci est une autre histoire …

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La maison de Tante Léonie

C'est la maison de Jules et Elisabeth Amiot, oncle et tante du côté paternel du jeune Marcel Proust et propriété de la Société des Amis de Marcel Proust et des Amis de Combray, fondée le 23 mai 1947. Cette maison, ouverte au public, met en scène une reconstitution de l'environnement de l'écrivain quand il y venait en vacances et rassemble des documents sur l'écrivain, sa famille et ses proches qui sont présentés dans la salle Nadar (dernier étage.)

Monsieur P-L Larcher, haut fonctionnaire en retraite, auteur d'ouvrages sur Marcel Proust et habitant d'Illiers, entreprit le premier une œuvre de réhabilitation concernant tout ce qui avait un rapport avec la famille Proust. Il loua la maison des Amiot-Proust libre de toute occupation. Cette maison appartenait à Mademoiselle Germaine Amiot la petite fille de la Tante Léonie dans le roman, (Elisabeth Amiot née Proust). Madame Mante-Proust, fille du Docteur Robert Proust, donc nièce de Marcel elle fit don de la maison à la Société des Amis de Marcel Proust que Monsieur P-L Larcher avait fondée.

La maison fut transformée en musée et en 1961 fut classée en « maison d'écrivain ».

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Avec le mobilier offert par la famille Amiot-Proust, on put recréer le décor tel que l'enfant Marcel Proust le connut. En 1990, Madame Odile Gévaudan-Albaret, fille de Céleste Albaret, gouvernante de Marcel Proust, fit un legs important des meubles et objets divers dont elle avait hérité. Et on put « en se référant à quelques textes reconstituer avec le plus d'exactitude possible les intérieurs » (P-L Larcher, Bulletin de la Société des Amis de Marcel Proust n°7).

Les collections du musée qui sont d'une grande richesse sont constituées, non seulement du mobilier, mais aussi par des lettres de Proust, de photos originales de sa famille et de documents divers familiaux.

S'ajoute en outre une très importante documentation sur des études, mémoires et commentaires concernant l'œuvre de Marcel Proust, avec parfois des éditions originales accompagnées de leurs illustrations. Ainsi que toutes les thèses et ouvrages provenant d'universités françaises et étrangères inspirées par le grand écrivain et son œuvre.

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Le jardin du Pré Catelan

Le jardin du Pré Catelan était à l’origine le jardin créé par Jules Amiot, l’oncle de Marcel Proust. Passionné d’horticulture, il acquit un terrain marécageux de 7000 mètres carrés environ situé dans une faille du Loir. Il fallut assécher et modeler ce terrain pour en faire un merveilleux jardin à l’anglaise de forme irrégulière à trois niveaux. Marcel Proust en fit dans son œuvre capitale « A la recherche du temps perdu » le parc de la propriété de Monsieur Swann.

Après avoir reçu le rappel d’un prix d’honneur en 1906, le jardin du Pré Catelan bénéficia d’un classement dans le cadre des Monuments Historiques peu après la deuxième guerre mondiale, le 12 décembre 1946, et pour cela on s’appuya sur des critères d'ordre artistique. En effet, cet espace représentait un lieu important pour le monde littéraire. Il constituait une source d'inspiration pour plusieurs œuvres de l'écrivain Marcel Proust, qui, enfant, passait ses vacances à Illiers chez son oncle Jules Amiot. Inspiré par ses nombreux séjours en Algérie, ce dernier avait conçu ce parc dans un style romantique, avec des essences ornementales et non courantes.

La dénomination du jardin fait référence à un site du Bois de Boulogne, appelé « La croix Catelan ». Le célèbre troubadour à la Cour de Provence, Arnaud Catelan, qui accompagnait la reine Béatrix de Savoie y fut assassiné au XIIIe siècle par les archers de son escorte.

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L’extrait suivant du rapport général de proposition d'inscription du Ministère de l'Education Nationale daté du 1er octobre 1946, en donne le motif suivant : « Illiers n'est autre que le Combray de Marcel Proust, l'un des plus grands poètes et psychologues français du vingtième siècle*. C'est en ce Pré Catelan que se sont formés tous les souvenirs d'enfance de l’écrivain et il n'est pas une de ses œuvres qui n'évoque en des pages admirables le cadre de sa jeunesse. Sans un pèlerinage littéraire à Combray et une visite au Pré Catelan bien des images proustiennes et à commencer par le titre de son chef d'œuvre, Du côté de chez Swann demeureraient pour nous obscures et pauvres. En revanche ce jardin devient prestigieux à l'évocation des réminiscences poétiques dont il fut l'objet et le visiteur initié reste constamment entre le rêve et la réalité. Le Ministère de l'Education Nationale se doit de surveiller, protéger et peut-être ultérieurement remettre en état ce coin qui vit naître l'âme poétique de celui qui fut par ailleurs l'émule de Montaigne et eut une influence décisive sur les lettres françaises et anglo-américaines. »

« La Société des Amis de Marcel Proust » qui s’était créée en 1935 après que Robert PROUST ait fait connaître peu avant sa mort le Pré Catelan aux amis de l’écrivain, rejoignit le 23 mai 1947 la « Société des Amis de Combray » pour devenir l’unique « Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray » en 1950. Le pèlerinage du Chemin des Aubépines a toujours lieu dans la deuxième semaine du mois de mai.

Un deuxième classement fut attribué le 9 mars 1999 au jardin du Pré Catelan et il a obtenu aujourd’hui le label de « jardin remarquable ».


« La haie (d'aubépines) laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leur bourse fraîche du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait, aux points où il était percé, au-dessus des fleurs dont il imbibait les parfums, l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. »

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu.

Crédits photographiques :

Photo 1 @MYLITTLEROAD
Photo 2 : AFP
Photo 3 : Fabrice Bluszez 
Photos 4-6-7-8 : La Gazette du Patrimoine
Photo 5 : Gisèle Maini
Photo 9-10-11-12 : Patrick FORGET - www.sagaphoto.com