Les jeunes s'engagent
Octobre 2020


Mélaine Lhomme : rédactrice un jour, rédactrice toujours


Stacks Image 533
La Gazette du Patrimoine : Qui êtes-vous Mélaine ?

Mélaine Lhomme : Mélaine Lhomme, 25 ans. J’habite à Déville-lès-Rouen (pour l’instant et pour peu de temps). Je suis née dans le Pas-de-Calais, j’ai grandi en Picardie. J’ai obtenu un BAC économique et social à Limoges (Limousin), où j’ai également obtenu une Licence Histoire mention Histoire de l’Art et Humanité (après une triste échappée en Droit qui dura 3 ans). Puis j’ai déménagé en Normandie afin de poursuivre en Master. Je viens d’obtenir mon Master 1 « Valorisation du Patrimoine » et intègre un Master 2 « Direction de Projet, établissement culturel, diversification des publics ».

La Gazette du Patrimoine : Le patrimoine, une passion depuis l’enfance ou une révélation récente ?

Mélaine Lhomme : Depuis toute petite, j’ai toujours été fascinée par l’Histoire. Je lisais énormément et je collectionnais les livres sur l’Egypte antique. J’aimais énormément (et c’est toujours le cas) user mes semelles dans les musées. Ma maman m’emmenait régulièrement visiter des lieux historiques et culturels, une passion donc probablement héritée d’elle (merci maman !). Mais je n’ai eu réellement un tilt patrimonial qu’à la fin de ma Licence 3 alors que je devais choisir mon Master 1. J’ai longuement réfléchi à ce que j’aimais et je voulais faire, car j’estime qu’il est très important de travailler dans un domaine que l’on affectionne et dans lequel on croit. C’est à ce moment que j’ai réalisé que je voulais participer à la grande machine patrimoniale.

La Gazette du Patrimoine : Quel fut le facteur déclenchant ?

Mélaine Lhomme : Il n’y a pas eu de véritable déclencheur. Ce fut surtout un constat. En grandissant, j’ai compris que nous (les êtres humains) étions le produit du passé. Et j’ai toujours pensé qu’il était important, voire primordial, de préserver notre Histoire et de le transmettre aux générations futures. Je dirais même qu’il s’agit d’un devoir. Pourtant, l’Histoire intéresse moins qu’avant. On la trouve poussiéreuse, inintéressante … et c’est de cette façon qu’une identité se perd. Car de l’oubli vient la destruction de ce qui est physique : la destruction volontaire ou involontaire du patrimoine.

La Gazette du Patrimoine : Quand on a 25 ans, quelle est la définition du mot patrimoine ?

Mélaine Lhomme : C’est un grand débat ! Personnellement, je pense que le patrimoine englobe énormément de choses. Ce sont les immeubles (châteaux, maisons, ponts, moulins …), les meubles (les objets, bibelots, …), mais aussi des choses immatérielles (des traditions, des savoir-faire, des us et coutumes, la cuisine et la nature). En fait, le patrimoine, c’est un TOUT. Ce qui a été, ce qui est et ce qui sera.

La Gazette du Patrimoine : Votre objectif est de devenir journaliste du patrimoine, pourquoi ?

Mélaine Lhomme : Parce que je veux participer activement à la sensibilisation des différents publics à la culture et au patrimoine, surtout à échelle locale. Je souhaiterais pouvoir devenir un intermédiaire entre la population et ce qui l’entoure. Je pense que le “journalisme” est un métier passionnant qui m’attire depuis longtemps. J’aime écrire, transmettre et mettre en avant, ce qui permet de rencontrer des gens très intéressants. Il faut être alerte et passionné. Je trouve cela très épanouissant.

La Gazette du Patrimoine : D’ailleurs pensez-vous que ce sujet soit suffisamment médiatisé à l’heure actuelle ?

Mélaine Lhomme : J’aime beaucoup cette question, car elle est l’une de celles qui seront au cœur du mémoire que je prépare cette année : le rôle des médias dans les domaines de la culture et du patrimoine. J’aurais tendance à répondre oui mais avec nuance. Il faut distinguer les médias spécialisés et non spécialisés. Lorsque je parle de médias spécialisés, j’entends les médias qui ont choisi de se spécialiser sur le sujet et qui sont lus par un public qui s’y intéresse. Quant aux médias non spécialisés, ce sont ceux qui sont plus « génériques ». Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a un mieux par rapport à « avant », mais que l’on peut toujours faire plus ! Les médias jouent un grand rôle dans les sociétés actuelles et ils peuvent permettre au patrimoine d’avoir une meilleure visibilité (surtout chez les jeunes).

La Gazette du Patrimoine : Demain vous êtes Ministre de la Culture, quelle serait votre première action en faveur du patrimoine ?

Mélaine Lhomme : Si je devenais Ministre de la Culture … Il y a tellement de choses qui pourraient être faites. Mais je pense que ça serait de protéger de toute destruction des lieux patrimoniaux en danger, surtout les lieux que l’on ne connaît pas forcément. Et de financer une partie de leurs restaurations et de leurs réhabilitations. Cela pourrait créer de l’emploi et donner un regain de vitalité à certaines localités, de mettre en avant le patrimoine local et d’entretenir l’identité de ces lieux. Bien entendu, je serais tenue de rester dans les limites d’une enveloppe financière, mais je lutterais habilement et férocement pour faire en sorte d’avoir l’enveloppe la plus garnie (au niveau de l'État, de la région, de la commune et du département).

La Gazette du Patrimoine : Pensez-vous que les jeunes générations soient vraiment impliquées dans cette cause souvent perçue comme poussiéreuse ?

Mélaine Lhomme : On pourrait penser que non, que les jeunes se désintéressent du patrimoine. Je pense que c’est à nuancer. Bien entendu, il n’y a pas assez de jeunes qui s’impliquent et qui s’y intéressent, mais, chaque année, nous sommes pourtant nombreux à nous inscrire dans les filières culturelles ou patrimoniales. C’est une question d’âge et de sensibilisation, surtout de sensibilisation. Un enfant qui est sensibilisé jeune à la question aura tendance à ne pas trouver la cause poussiéreuse. Il y a beaucoup de critères à prendre en compte pour répondre à cette question. D’où l’importance pour les médias par exemple de s’impliquer dans cette mission !

La Gazette du Patrimoine : quelle serait d’après-vous la « recette » pour qu’ils s’y intéressent davantage ?

Mélaine Lhomme : Rendre le sujet digeste. On parle aussi de vulgarisation. C’est un moyen très efficace de sensibiliser les publics au patrimoine. Et lorsque je parle des publics, je parle de tous les publics. Les enfants y trouveront un côté amusant (auquel on peut subtilement associer un aspect éducatif), les adultes qui n’y connaissent rien s’y mettront facilement sans trouver cela « prise de tête » et les publics qui s’intéressent déjà au sujet pourront tout de même y prendre du plaisir. Il est important d’apporter le côté loisir, agréable, … pour que le patrimoine fasse partie de la vie quotidienne. On remarque que les acteurs du patrimoine l’ont très bien compris ! Les parcours et médiations se multiplient, les musées se donnent un coup de jeune, les supports se diversifient … « Apprendre en s’amusant » est un credo qui peut s’appliquer au patrimoine.

Moi-même, je me suis lancée dans un projet de sensibilisation des jeunes au patrimoine intitulé “Mon Territoire, Mon Histoire”. Avec trois illustrateurs de mon âge, ce projet est à la fois culturel, patrimonial, littéraire et éducatif. Il s’agit d’une série de petits romans jeunesses qui entraînent les jeunes lecteurs dans une aventure mystérieuse qui leur fera découvrir le patrimoine normand. Le projet sera actif sur les réseaux sociaux pour entretenir une discussion avec les lecteurs tout en lançant des petits concours (avec des cadeaux patrimoniaux et culturels à la clé) et nous espérons pouvoir créer un univers étendu (sur site web ou application) afin de proposer des mini-jeux sous forme d’énigmes et de poursuivre l’aventure en numérique. Nous recherchons encore du financement et des partenariats pour que le projet voit le jour mais nous sommes très motivés et nous battrons pour que le projet voit le jour.

La Gazette du Patrimoine : Pensez-vous que les Cursus Universitaires « Patrimoine » soient en phase avec les réalités du terrain ?

Mélaine Lhomme : Non. Je ne connais pas les programmes de tous les Cursus Universitaires « Patrimoine » de France mais, pour ce que j’ai vécu, il y a des points positifs et des points négatifs. Globalement, les étudiants ont la possibilité de découvrir de nombreuses facettes du patrimoine et les différents intervenants qui enseignent permettent d’avoir un aperçu de ce qu’est le terrain. Le stage qui est demandé nous permet aussi de nous investir de façon plus concrète. Mais, malheureusement, tous les aspects ne peuvent pas être enseignés, que ce soit par choix, par manque de temps et d’intervenants … Et le terrain … un stage, quand il est possible d’en obtenir un, rémunéré ou gratuit, suffit-il à apprendre tout ce qu’il y a savoir ? La réponse est clairement non. On reste sur un cursus hautement théorique. Année après année, les cursus s'auto-évaluent pour s’améliorer et ajuster leurs contenus. Je ne pense pas qu’il y ait de formation « parfaite », on peut toujours faire mieux ou autrement, en fonction des financements obtenus.

La Gazette du Patrimoine : Beaucoup d’étudiants ayant suivi ces cursus se retrouvent sans emploi une fois leur diplôme obtenu. D’après-vous, que faudrait-il faire pour dynamiser les offres dans le secteur de la culture et du patrimoine ?

Mélaine Lhomme : Tout est une question de financement malheureusement et la crise du COVID n’a fait qu’empirer le phénomène. J’ai récemment lu que le secteur du culturel (qui englobe le patrimoine) était 2 ou 3 fois plus bénéfique au pays que le secteur automobile. Il y a donc un marché bien présent et qui fonctionne bien. Malheureusement, les financements donnés au secteur de la culture et du patrimoine ne sont pas suffisants. Pour ce qui est des entreprises privées, le COVID a fait son œuvre : le manque à gagner, les fermetures forcées et les mesures restrictives … Naturellement, les employeurs ne peuvent pas embaucher, s’il n’y a pas d’argent pour le faire. Beaucoup de jeunes pourraient être tentés par l’auto-entreprenariat, mais la situation actuelle nous plonge dans l’incertitude.

Stacks Image 536
La Gazette du Patrimoine : Vous avez couvert pour La Gazette du Patrimoine la première tentative (avortée) du démontage de la statue de Napoléon à Rouen. Qu’avez-vous ressenti pour cette première « mission journalistique » ?

Mélaine Lhomme : C’était épanouissant. Journaliste-étudiant pour le journal de l’Université La Voix du Robec pendant un an, cette journée effectuée dans le cadre de mon stage pour la Gazette et Urgences Patrimoine fut véritablement ma première expérience journalistique. J’ai pu côtoyer de véritables journalistes, vivre l’instant présent. Ce fut une journée émoustillante qui m’a confortée dans ma volonté de devenir journaliste ! En effet, la situation pandémique actuelle m’a malheureusement privée d’un stage au Paris-Normandie.

La Gazette du Patrimoine : Si vous deviez convaincre un de vos amis totalement réfractaire à la cause du patrimoine, quels seraient vos arguments pour qu’il s’y intéresse ?

Mélaine Lhomme : Je mettrais en avant sa mémoire et son affect en prenant le problème à l’envers. Nous côtoyons tous le patrimoine au quotidien. Cette personne a forcément un lieu ou un objet patrimonial dont il est familier et qu’il apprécie. Donc, plutôt que de le convaincre par mes arguments, j’essaierais de lui prouver qu’il possède lui aussi un argument (ou plusieurs !) qui devrait l’encourager à s’y intéresser un peu plus.

La Gazette du Patrimoine : Quels sont vos autres centres d’intérêt ?

Mélaine Lhomme : Je soutiens la cause animale. J’aime beaucoup les animaux (qui est aussi un patrimoine vivant !) et je lutte, à mon échelle, pour que leur cause soit entendue et prise en compte. J’aime l’Art et j’aimerais que tout le monde puisse avoir accès à ce dernier, surtout l’exercer. Il s’agit d’un excellent moyen d’expression qu’il faut mettre à disposition de tous ceux que cela pourrait intéresser (manque de temps, matériels onéreux …) Et enfin, la lecture et l'écriture qui sont mes activités favorites. La lecture permet d’apprendre, mais aussi de s’évader : la liberté absolue, parce que l’on peut choisir. C’est également pour cette raison que j’écris. Je ne prétends pas avoir une jolie plume, mais c’est une activité qui me détend et où je peux coucher sur le papier tout ce que je ressens. J’aimerais être publiée un jour mais si l’occasion ne se présente pas, je continuerai d’écrire pour mon plaisir.

Stacks Image 539
La Gazette du Patrimoine : Pensez-vous qu’on puisse être une jeune femme « moderne », tout en s’intéressant au patrimoine ?

Mélaine Lhomme : Bien sûr ! Je dirais même que cela suit une certaine logique. C’est quand on a conscience de ce qu’est la société actuelle que l’on se rend compte de l’importance du patrimoine. Notre vision « moderne » de la chose peut nettement améliorer la visibilité de la culture et du patrimoine avec de nouvelles idées, des nouveaux supports, de nouvelles problématiques auxquelles il faut trouver des réponses.

La Gazette du Patrimoine : La « féminisation » est à la mode en ce moment. Pensez-vous qu’il faille impérativement soustraire des représentations masculines pour les remplacer par des « figures féminines », comme le Maire de Rouen le préconise ?

Mélaine Lhomme : Je ne suis pas favorable cette pratique. Cela va à l’encontre de l’idée de base du mouvement et je trouve cela contre-productif. Certaines personnes jugent que la figure masculine est surreprésentée dans notre société et pensent qu’il faut davantage représenter le féminin. Il y a de brillantes personnalités féminines qui mériteraient d’être mises en avant mais cela ne devrait pas l’être au détriment de figures masculines. Si on suit la logique de ces personnes, cela revient à remplacer l’excès par l’excès. L’égalité homme-femme devrait être normal sans imposer un genre contre l’autre. Cela renvoie à l’idée que la femme qui prend la place de l’homme dans la représentation n’obtient cette place que parce qu’il fallait que l’on procède à cette féminisation et non pour ses compétences. Totalement contre-productif.

La Gazette du Patrimoine : Patrimoine, Matrimoine : ne pensez-vous pas que ces deux mots signifient la même chose sur le fond ? Etes-vous pour cette différenciation ?

Mélaine Lhomme : Je peux comprendre que certaines personnes fassent une différenciation. Etymologiquement parlant, ça se tient. Mais on utilise le terme « patrimoine » depuis longtemps et il est devenu le mot générique. J’aurais pu apprécier la différenciation si elle était née d’une problématique autre que l’égalité homme-femme. Je suis pour cette égalité, elle aurait dû être naturelle. Mais vis-à-vis de la manière dont le « matrimoine » a été amené, j’ai un désagréable sentiment (effet de mode, propagande dissimulée ou pas …) Je n’arrive pas à y voir autre chose que le mouvement féministe extrême qui souhaite monter au créneau en étouffant Monsieur. Je trouve tout ce débat autour du patrimoine « masculin » et « féminin » totalement absurde. Le patrimoine est ce qu’il est, quand on s’y intéresse, on sait lequel est masculin et lequel est féminin. Il est inutile de le préciser outre mesure. C’est ranimer un débat sans fin au détriment d’autres problématiques plus urgentes comme l’augmentation des destructions de patrimoine ou le rachat du patrimoine français par d’autres puissances étrangères.

La Gazette du Patrimoine : D’après vous dans 20 ans, la cause du patrimoine sera-t-elle toujours d’actualité ?

Mélaine Lhomme : La cause du patrimoine sera toujours d’actualité, car tout ce qui est fait aujourd’hui s’ajoutera au patrimoine d’hier pour constituer le patrimoine de demain. Il y aura toujours du patrimoine à transmettre et cette mission de transmission et de sensibilisation ne s’arrêtera pas. Tout du moins, elle ne doit pas s’arrêter !

La Gazette du Patrimoine : Et vous dans 20 ans, vous vous imaginez comment ?

Mélaine Lhomme : Idéalement, journaliste spécialisée dans le patrimoine et actrice de la mise en avant du patrimoine local français. Pourquoi pas intervenante à l’université (je trouve qu’il n’y a pas assez d’intervenants de ce type en cursus patrimoine). Une vie professionnelle, personnelle et familiale en totale cohésion avec mes convictions. Une vie épanouissante, entourée de mes livres, d’un ou deux animaux adoptés. Une vie que j’aurais choisie si possible. Je n’aimerais pas être obligée d’exercer une autre profession par défaut pour payer les factures.

La Gazette du Patrimoine 
: Une citation, un proverbe qui vous définit le mieux ?

Mélaine Lhomme : Je n’y ai jamais réfléchi, mais je suis têtue et obstinée. “Reste qui tu es et sois heureuse…” Quoi que je fasse ou décide, je ne le fais que dans l’objectif de l’être.


Crédit photographique : Mélaine Lhomme