J'habite l'histoire
Octobre 2020


Habiter l'histoire à Saint-Omer au sein du Palais de la cathédrale :
Plus qu'une passion, une religion pour Jean-Luc Montois


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Jean Luc Montois inquiète sa famille à l’âge de 15 ans en 1977, en achetant un tableau caravagesque avec l’argent qu’on lui avait donné pour acheter une mobylette. Il récidive en s’intéressant aux graveurs et dessinateurs du XVIIe siècle entre 17 et 21 ans. Après une excursion dans les arts asiatiques et de nombreux achats d’objets pour lesquels il doit longtemps chercher avant de pouvoir les acquérir, faute de moyens financiers, il rencontre de jeunes historiens d’Art ou conservateurs qui vont l’aider à explorer le monde de la peinture religieuse. Il fait la connaissance de décorateurs passionnés par les ensembles historiques et va s’imprégner de leurs recherches. Ses parents profitent de son service militaire pour vendre la maison de famille et il en restera orphelin toute sa vie. Après des études de Droit et de Sciences Politiques, il rentre dans la vie active et découvre les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et il s’abandonne complétement à la névrose de la collection. Ses moyens restent limités et il doit à chaque fois acheter à contre-courant du marché , mais les pièces qu’ils réunit deviennent de plus en plus importantes. Un long passage par l’Italie permet le renforcement de ses connaissances et l’asséchement de beaucoup de lacunes ; il revient en France avec son conjoint suédois en 2014. Un bon millier de tableaux et d’œuvres graphiques, plus encore de porcelaines et de faïences ainsi que de pièces d’argenterie, de nombreux meubles allant du baroque au Swedish Grace vont remplir six gardes meubles et les maisons de ses amis. Devant la révolte de ces derniers, le couple prend la décision de déménager à Saint-Omer où on leur a proposé d’acheter le Palais de la Cathédrale.

Historique du Palais de la Cathédrale

Le Palais est situé contre la cathédrale et ses fondations reposent sur le plus ancien bâtiment de la ville probablement du Xe siècle ou peut être du VIIIe siècle. Il faudrait des fouilles pour trancher. Ce sera tour à tour un très grand bâtiment roman dont un mur subsiste, le gigantesque cellier du Chapitre, siège de son commerce de vin, et le lieu de son administration dans six maisons du XVIe siècle prenant la place du bâti du XIIe. Ces six maisons, vendues à la Révolution seront achetées par un Agent de Change, Etienne NEYRAT, qui en fera le Palais qu’on connait aujourd’hui. Ruiné par ce projet et failli en 1827, il sera dépossédé du lieu qui passera dans des familles patriciennes jusqu’à sa transformation en laboratoire dans les années 70. Fredrik et Jean-Luc l’achèteront en 2019.


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La Gazette du Patrimoine : Depuis quand êtes-vous propriétaire de l’édifice ?

Jean-Luc Montois : Depuis le 15 janvier 2019.

La Gazette du Patrimoine : Achat raison, ou achat passion ?

Jean-Luc Montois : Achat coup de cœur. Coup de cœur architectural ! Etienne NEYRAT a fait appel, dans cet endroit, à des architectes anglais et des artisans gypseurs anglais pour la structure et les décors de styles Regency et Charles X. C’est la technique du gypse cuit qui est utilisée pour réaliser un décor sans équivalent en France. Les marbres, parquets en bois précieux et les faux marbres sont tous présents et dans un exceptionnel état de conservation, ce qui permet la restitution d’un décor incomparable dans l’état de 1827. Entre 1827 et 1970 la maison sera occupée par des dames âgées qui ne modifieront rien. De la vitre à la poignée de porte, tout sera conservé. Seules les couleurs et les faux marbres disparaitront sous 17 nuances de gris qu’il faudra sonder, enlever afin de restituer ou restaurer le décor d’origine. Aucune maison en France ne présentait un tel potentiel sur le marché de l’époque. Ce fut donc la passion au premier coup d’œil.

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La Gazette du Patrimoine : Dans quel état se trouvait l’édifice et qu’elles ont été les premières restaurations que vous avez dû réaliser ?

Jean-Luc Montois : Le bâti étant restaurable, la commission scientifique informelle constituée par la DRAC a défini la restitution du décor d’origine dans ses couleurs et ses motifs comme étant la priorité.

La Gazette du Patrimoine : Le Palais de la Cathédrale est son nom d’origine, ou est-ce vous qui l’avez baptisé ainsi et pourquoi ?

Jean-Luc Montois : Le nom était un surnom donné par les habitants de l’enclos de la cathédrale.

La Gazette du Patrimoine : Enfant, aviez-vous déjà l’âme d’un châtelain, ou est-ce une passion récente ?

Jean-Luc Montois : Je n’ai pas l’âme d’un chatelain, mais je sens quand les maisons ont besoin de moi. Celle-ci hurlait : « Au secours ! », « Aide moi ! ».

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La Gazette du Patrimoine : Vous n’êtes pas originaire de la région, pourquoi avoir fait le choix du Nord et plus particulièrement de Saint-Omer ?

Jean-Luc Montois : Saint-Omer est l’incarnation et l’un des derniers témoins du bonheur de vivre en France. C’est aussi l’un des plus beaux ensembles de France. Epargnée par les guerres, l’industrialisation et les révolutions, la ville est un univers du XVIIIe et du XIXe transplanté dans le monde actuel. On y est simplement heureux.

La Gazette du Patrimoine 
: Lors de votre arrivée, comment vous ont perçu les habitants de la commune ? Comme des intrus ou alors, bien au contraire, comme des sauveurs du patrimoine local ? Nous disons « des » puisque vous êtes deux copropriétaires.

Jean-Luc Montois : Dès les premiers jours de chantier, alors qu’il n’y avait plus ni chauffage ni sanitaires et qu’il faisait moins 10 degrés, les habitants sont venus voir les deux fous qui se lançaient dans l’aventure. Nous voulions dès le départ que cette maison aille un jour dans le domaine public et nous avons ouvert nos portes très largement. Cela a créé un élan d’aide et l’appui de La Voix du Nord qui nous a consacré plusieurs articles et nous a aidé à rencontrer de nombreux artisans en retraite qui sont venus à notre secours et sont maintenant des amis. Nous n’avons pas seulement été intégrés, nous avons été adoptés. Un ami me disait « Saint-Omer, c’est la France qu’on aime ». A la fois provinciale et ultra technologique, rurale et créatrice d’urbanismes nouveaux, passionnée pas son patrimoine exceptionnel et soutenue par une municipalité exceptionnelle qui a un vrai projet de mise en valeur. La Ville de Saint Omer est le fleuron de cette réflexion sur le développement respectueux des villes Historiques. La générosité de sa population, sa grande simplicité et son respect de l’autre, la politesse et le souci de l’autre font de l’Audomarois un îlot d’une France aimable.

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La Gazette du Patrimoine : Votre ami est suédois. On s’imagine toujours les suédois se meublant avec des meubles en kit. Il vous a suivi sans hésitation dans ce projet de « vie de château », au milieu d’objets et de meubles anciens ?

Jean-Luc Montois : En arrivant en poste à Stockholm, je pensais aussi que les Suédois étaient un peuple en tongs à marguerites, écoutant du ABBA et se meublant en IKEA. C’est exactement le contraire. Au-delà d’un projet de société exceptionnel, c’est aussi un fabuleux pays d’art de vivre et de culture. Il faut visiter Stockholm, la campagne et ses châteaux meublés, découvrir le style gustavien et le baroque pour comprendre que la France et la Suède ont exercé une hégémonie culturelle et politique sur leurs environnements. Tout y est parfaitement conservés et entretenu. Il n’y a pas d’équivalent en France des 7 châteaux royaux merveilleusement meublés et occupés. Quant aux églises et aux campagnes, elles sont un ravissement constant. Allez-y, c’est un choc de bonheur et d’élégance.

La Gazette du Patrimoine : Vous êtes un passionné d’art en général, mais d’art de la table en particulier. Pourquoi cette passion ?

Jean-Luc Montois : Longtemps j’ai gardé la mémoire des jours qui précédaient les dîners donnés à la maison. La porcelaine et les verres, les objets de tables et l’orfèvrerie, les produits qui arrivaient et l’affairement en cuisine. La table est une liturgie somptueusement servie. Peut-on en dire autant, aujourd’hui, de la Messe ?

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La Gazette du Patrimoine : Vous avez décidé d’ouvrir votre palais à la visite. Simples raisons économiques ou surtout l’envie de partager un patrimoine qui certes vous appartient, mais qui appartient à l’histoire d’une commune et donc à ses habitants ?

Jean-Luc Montois : Le Palais est une association qui intégrera une fondation le moment venu. Je suis catastrophé par l’absence de directives pour protéger les intérieurs des hôtels particuliers, maisons, fermes et châteaux en France. A de rares exceptions, ils n’échapperont pas à la prétendue modernité et à ses promoteurs. Nous avons voulu montrer l’intérêt d’un décor exceptionnel, sa formidable inventivité, sa palette si audacieuse et le bon sens de son fonctionnement. Nous avons voulu qu’il soit meublé comme l’aurait été un très bel hôtel particulier appartenant à la même famille depuis trois siècles, jusque dans les moindres détails. Cela devait se faire avec les contraintes liées à l’habitation moderne tout en intégrant les principes de développement durable. Aucun double vitrage mais des châssis greffés et des mastics entretenus qui nous donnent des performances thermiques équivalentes à 87% d’un double vitrage moderne. Nous avons cherché à comprendre le fonctionnement de la maison car, le savez vous ?, nos ancêtres aussi avaient froid et cherchaient à s’en protéger. Le résultat est stupéfiant. Nous voulions le partager et partager nos engagements au service du patrimoine. Le Palais se visite et met en place toute une série d’événements qui sont destinés à assurer sa survie et son autonomie financière au moment où nous disparaitrons.

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La Gazette du Patrimoine : Quelles sont généralement les réactions des visiteurs ?

Jean-Luc Montois : Il faut être créatifs et respecter les visiteurs. Pas de barrières chez nous. Nous nous asseyons dans les fauteuils Louis XV estampillés avec eux. Ils peuvent toucher les objets qui font partie de notre quotidien. Nous parlons isolation, plomberie, décoration autant qu’Histoire et Histoire de l’Art. Nous vivons le lieu avec eux. Souvent, nous changeons le décor de la table ensemble, en allant cueillir de fleurs pendant la visite et en remplaçant l’orfèvrerie. Notre maison leur est ouverte pour leur transmettre tous les éléments et les difficultés de l’entretien du patrimoine. Nous montons dans les greniers s’ils veulent parler des toitures et de charpentes. Toutes les visites sont différentes.

Je me demandais comment restaurer l’intérêt pour les arts de la table. Nous y sommes parvenus en créant une formule en trois temps qui permet aux visiteurs de recevoir leurs amis ou leur famille au palais. Ils viennent d’abord choisir les assiettes dans les 28 services des XVIIIe et XIXe allant de Sèvres à Meissen. On choisit aussi l’argenterie, les surtouts en biscuit ou porcelaine ou en argent. Ils définissent les couleurs et les formes des bouquets qu’on réalisera ensemble. Ils vont ensuite rencontrer les chefs qui choisissent avec eux les plats et ils reviennent une semaine plus tard pour mettre la table avec moi. Le soir, ils sont pleinement chez eux et reçoivent leurs amis dans tous les salons qui sont à leur disposition et je disparais pour leur laisser la place. C’est simple mais il faut vouloir le faire, d’autant que cela ne coûte que 75 euros pour le tout, comprenant entrée, plat, dessert, vins et verre d’accueil accompagnant une cuisine très innovante. Les visiteurs viennent et reviennent. Ils sortent tous en ayant eu l’impression d’avoir été accueillis et disent tous leur surprise et leur satisfaction d’avoir pu s’asseoir, vivre le décor et la maison et il en est de même pour leurs enfants. Nous les recevons par groupe de 10 pour garantir la qualité de la rencontre. A 7 euros le plein tarif et 5 euros 50 le tarif réduit, ils sont stupéfaits par le caractère exceptionnel du moment. On n’a jamais fait ça ! Voilà ce qu’ils disent.

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La Gazette du Patrimoine : À partir du moment où l’on habite une belle demeure et que l’on est entouré de beaux objets, certaines personnes n’hésitent pas à vous cataloguer comme « riches » et qui ne comprennent pas que vous pouvez avoir besoin d’aide. Qu’avez-vous à leur répondre ?

Jean-Luc Montois : Nous ne sommes pas des héritiers et je suis très clair à ce sujet. J’explique comment, avec peu de moyens et beaucoup de recherche, on peut constituer une très belle collection. Je leur donne le prix d’achat de la maison et le coût de notre endettement. Ils savent tous que nous la lèguerons. Plutôt que de la jalousie, c’est une volonté d’aider qui s’exprime et nous sommes maintenant nombreux sur les chantiers à travailler dans la solidarité.

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La Gazette du Patrimoine : Demain vous gagnez une somme colossale au loto. Vous partez pour acheter plus grand ou vous restez au Palais ?

Jean-Luc Montois : Le Palais est un projet sur 30 ans en raison de ses richesses archéologiques à découvrir. C’est l’affaire d’une vie, donc je resterai.

La Gazette du Patrimoine : Avez-vous encore beaucoup de travaux à réaliser ? Si oui, quelle est la prochaine étape ?

Jean-Luc Montois : Le troisième étage de la maison servait aux analyses chimiques. Il n’y a plus de trace du passé. Il va devenir un appartement art déco qui va nous permettre de faire vivre la collection d’art déco et de fonctionnalisme suédois. Nous y présenterons toute la peinture allant de 1850 à 1945 d’artistes suédois venus se former en France. Un peintre comme FAHLKRANTZ y sera très présent.

La Gazette du Patrimoine : Comme il faut aussi parler d’argent, le Palais est-il viable économiquement parlant ?

Jean-Luc Montois : Le Palais était devenu presque viable en deux mois d’ouverture avant que les visites de groupes ne s’arrêtent.

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La Gazette du Patrimoine : Si c’était à refaire, vous recommenceriez sans hésiter, ou vous seriez plus raisonnable dans votre choix, notamment en terme de superficie ?

Jean-Luc Montois : Je le referai sans la moindre hésitation.

La Gazette du Patrimoine : De plus en plus de grandes demeures sont abandonnées ou démolies. Que diriez-vous à quelqu’un pour le convaincre d’acheter un bien comme le vôtre et, ainsi, lui assurer un avenir ?

Jean-Luc Montois : Je pense qu’il ne faut pas prendre ses rêves pour des réalités et qu’il est nécessaire de travailler avec un architecte qui connaît bien les artisans. Je dirai qu’on peut apprendre rapidement en travaillant étroitement avec les instances du tourisme et en se mettant tout simplement à la place des visiteurs. Ils ne sont pas des ennemis potentiels mais des personnes avec qui on doit avoir réellement envie de partager.

La Gazette du Patrimoine : Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre Palais ?

Jean-Luc Montois : Le bruit du silence des siècles.

La Gazette du Patrimoine : Demain, vous êtes obligé de partir et vous avez le droit de n’emporter qu’un objet, lequel serait-il ?

Jean-Luc Montois : L’esprit du Palais

La Gazette du Patrimoine : Vous souvenez-vous de la première « vieillerie » que vous avez achetée et l’avez-vous conservée ?

Jean-Luc Montois : Je l’ai toujours. C’est un Ecce Homo du XVIIe siècle.

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La Gazette du Patrimoine : Quelles sont d’après vous les principales qualités à posséder pour se lancer dans un tel projet ?

Jean-Luc Montois 
: L’adaptabilité et la liberté d’entreprendre. Cela concerne les autres autant que soi-même.

La Gazette du Patrimoine : Quel est votre plus beau souvenir au Palais ?

Jean-Luc Montois : La lumière qui rentre quand j’ouvre les énormes volets de bois.

La Gazette du Patrimoine : Et quel est le pire ?

Jean-Luc Montois : Le tuyau d’évacuation des eaux pluviales qu’on a cherché partout et qui datait du XVIe siècle.

La Gazette du Patrimoine : Mais, au fait, votre palais, a des allures d’un ancien temple maçonnique : est-ce le cas ? Ou est-ce simplement un des propriétaires qui était Franc-Maçon et qui a souhaité clairement afficher son appartenance à la Franc-Maçonnerie ?

Jean-Luc Montois : Nous savons maintenant que tout le rez-de-chaussée est adaptée à la Maçonnerie, telle qu’elle était ritualisée en Angleterre dans les années 1820. Nous pensons que le lieu servait aux maçons anglais de Saint-Omer. La communauté britannique était grande et l’architecte qui a conçu le palais en faisait partie.

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La Gazette du Patrimoine : Et sinon, dans 20 ans, vous vous imaginez comment ?

Jean-Luc Montois : Dans 20 ans ? En train d’accueillir une nouvelle génération de visiteurs.

La Gazette du Patrimoine : Quelle devise ou citation vous ressemble le plus ?

Jean-Luc Montois : Aucune car chaque jour a la sienne. Je ne crois pas aux itinéraires figés.

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Crédits photographiques : Jean-Luc Montois