Passé sous silence
Octobre 2020
Fermeture de la passerelle des Prés-de-Vaux
(Besançon, Doubs)
Philippe Markarian


Alors moi, je voudrais vous en parler une dernière fois de ce pont. D’ailleurs, techniquement, ce n’est pas un pont mais une passerelle. Et cette passerelle enjambe le Doubs, dans le quartier des Prés-de-Vaux, bien connu pour son ancienne usine de la Rhodiacéta. Tout d’abord papeterie, puis fabrique de soie artificielle au XIXe siècle (la 1ère au monde) et enfin filiale de Rhône-Poulenc pour le textile. La première passerelle est construite en 1898 et permet de relier le centre-ville au quartier de l’usine. Détruite par les Allemands au cours de la Seconde guerre mondiale, elle est reconstruite en 1954 et seules les deux culées sont encore d’origine.
Mais architecturalement, cette passerelle n’est pas un chef d’œuvre, personne ne le conteste. Il aura juste manqué que Le Corbusier traverse sa Suisse natale pour venir la signer et les choses auraient peut-être été différentes. Non, cette passerelle a de la valeur parce qu’elle a vu des générations d’ouvriers la traverser, user leurs semelles sur le tablier de béton et sans doute prendre le temps, le matin ou le soir, de contempler la superbe vue offerte sur cette frontière de ville, où l’on peut apercevoir à la fois, entre deux méandres, les premières constructions urbaines, la campagne bisontine, le tout sous le regard bienveillant de la Citadelle construite par Vauban.

Vous me direz, on ne peut pas tout garder et il faut faire des choix car, aujourd’hui, tout est patrimoine. C’est vrai, mais le patrimoine, c’est aussi une question sociale et politique. Il y a deux ans, on rasait une grande partie de l’usine qui était devenue une ruine pour en faire un parc urbain. A cette occasion, on redécouvrait la passerelle Guyon (oui, c’est son vrai nom) et on décidait de la rebaptiser Abisse, du nom d’un ancien militant syndical de la Rhodiacéta, connu pour avoir été licencié pour ses activités syndicales. Mais réintégré après dix années de recours judiciaires. Un sacré exemple qui n’aura finalement duré que le temps d’un été ou presque.

Ben, pour les ponts, c’est pareil — mais je ne sais pas si ça vaut mieux comme ça.
Crédits photographiques
Photo 1 : Ma commune infos
Photo 2 : Généanet
Photo 3 : Nicolas Giraud