Cursus
Février 2020


Pierre-Gilles Girault
La conservation
du patrimoine
plus qu'une vocation, une passion


Pierre-Gilles Girault, Conservateur du Monastère Royal de Brou à Bourg-en-Bresse, nous conduit dans son univers et nous fait découvrir son métier.

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La Gazette du Patrimoine : Vous avez fait le choix d’être conservateur du patrimoine. Vocation raison ou vocation passion ? À quel âge avez-vous su que vous vouliez faire ce métier et quel fut le déclic ?

Pierre-Gilles Girault : Vocation est le mot juste, et par passion !! Le Moyen Âge me passionne depuis l'enfance. Dès l'enfance, je passais mon temps à la bibliothèque et dans le château de ma ville natale, à Châteaudun, et je confectionnais des armures en carton et papier d'aluminium, puis en tôle découpée... Plus tard au lycée, j'ai découvert l'existence de l'École des chartes, mais je n'ai pas été admis en classes prépa.

La Gazette du Patrimoine : Quel a été votre parcours ?

Pierre-Gilles Girault : Je n'ai pas été lauréat d'un concours qui m'aurait permis de suivre une voie toute tracée. J'ai suivi un double cursus en licence d'histoire de l'art, puis en maîtrise d'histoire à l'Université de Tours, et j'ai obtenu mon DEA à l'EHESS. J'ai ensuite travaillé deux ans à la DRAC Centre, au centre de documentation régional du patrimoine, puis j'ai été recruté sur contrat par le Conseil départemental du Cher, afin de créer un centre de l'enluminure et de l'image médiévale à l'abbaye de Noirlac où j'ai passé 10 ans. J'y ai créé mes premières expositions et découvert mon goût pour le partage avec le public. Titularisé en 1998 comme attaché de conservation, j'ai ensuite été recruté en 2001 au château royal de Blois comme responsable du service culturel, puis conservateur et directeur adjoint en 2008. J'y ai appris la rigueur de la gestion d'un musée de France et la nécessité de concilier rayonnement culturel et attractivité touristique.

La Gazette du Patrimoin
e : Quelle est la mission du Conservateur ?

Pierre-Gilles Girault : Conserver d'abord. Les archives, les œuvres, et les monuments du passé, pour les transmettre aux générations futures. Mais du fait de mon parcours sans doute, je suis aussi très attaché à partager le patrimoine avec le plus grand nombre dès aujourd'hui. Pour moi il n'y a pas vraiment d'opposition entre la conservation du patrimoine et la médiation, le partage avec le public. Mon métier est aussi un rôle de passeur, car c'est le regard des hommes et des femmes qui donne sens et valeur au patrimoine... Je tente dans mon travail de concilier les tâches administratives, le management d'une équipe, le lien avec les œuvres, le monument, les visiteurs, mais aussi la recherche à travers des participations à des colloques et à des publications.

La Gazette du Patrimoine 
: Vous êtes le Conservateur du Monastère de Brou depuis combien d’années ? Qu’avez-vous mis en place depuis votre arrivée pour donner de l’élan à ce lieu ?

Pierre-Gilles Girault : C'est en 2014 que je suis arrivé au monastère royal de Brou, juste après son élection comme « monument préféré des Français » par la grâce de la fée télévision... J'ai pu profiter de ce climat favorable qui a permis de faire passer la fréquentation de 80000 à 112000 visiteurs, mais aussi de légitimer auprès de la double tutelle de la ville de Bourg-en-Bresse et du CMN (Centre des monuments Nationaux) des projets ambitieux.

Entre 2017 et 2019, le CMN a ainsi investi plus de 7 million d'euros à Brou, dans la dernière tranche de restauration de l'église, portant sur la réfection du bas-côté sud, mais aussi la restauration des somptueux tombeaux princiers de style gothique flamboyant. Dès 2017 nous avons créé l'espace muséographique « Quel chantier ! » qui permet de découvrir les métiers et les savoir-faire de ceux qui ont construit et restauré le monument. En 2018, nous avons restauré les appartements de la princesse fondatrice, Marguerite d'Autriche, et aménagé un espace d'interprétation qui offre au public la possibilité de rencontrer cette femme au destin extraordinaire, ouvert aux visiteurs le passage qui reliait, à travers le jubé et les cloîtres, son oratoire à son logis, facilité l'accessibilité par l'installation d'un ascenseur. L'année 2019 a été dédiée au musée, avec un nouvel accrochage plus thématique qui a permis de restaurer et d'exposer jusqu'à 40 % d'œuvres sorties des réserves et créé une galerie d'art Renaissance dans la salle des États.

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Monastère royal de Brou, espace d’interprétation aménagé dans les appartements de Marguerite d’Autriche, nouvel aménagement de la chambre de la princesse. © CMN / David Bordes

Parallèlement nous avons créé le spectacle de lumières "Couleurs d'amour" en 2015, renouvelé en 2018, maintenu la programmation de spectacles vivants dans le cadre du festival d'été « À la folie... pas du tout ! » (clin d'œil à Marguerite), élargi par des partenariats avec le théâtre de Bourg-en-Bresse et le Conservatoire à rayonnement départemental. Enfin Brou développe une politique d'expositions temporaires ambitieuses, que j'ai souhaitées plus thématiques avec les expositions « Marie-Madeleine, la Passion révélée » en 2016-2017, « Primitifs flamands, trésors de Marguerite d'Autriche » en 2018, « Voilé.e.s / dévoilé.e.s » en 2019.

La Gazette du Patrimoine : Quels sont vos projets pour cette année ?

Pierre-Gilles Girault : Nous devons d'abord parachever le nouveau circuit de visite : si le dépliant de visite et l'audioguide ont déjà été renouvelés, nous installerons une nouvelle signalétique directionnelle et d'information culturelle dans les semaines à venir. Outre la reconduction du spectacle « Couleurs d'amour » et du festival d'été, la saison 2020 sera marquée par deux expositions très différentes. Du 16 mai au 13 septembre, nous organisons l'exposition « Valadon et ses contemporaines, peintres et sculptrices 1880-1940 », sur les artistes féminines de la première modernité, réunies autour de Suzanne Valadon, qui a résidé au château Saint-Bernard situé dans l'Ain.

L'exposition suivante sera tout autre, puisque du 17 octobre 2020 au 8 mars 2021, elle présentera des maquettes en briques Lego des monuments emblématiques de la région Auvergne Rhône-Alpes, dont bien sûr l'église de Brou, avec l'objectif avoué d'attirer en basse saison un public familial qui n'aurait peut-être pas spontanément franchi les portes du monument, et de lui faire découvrir de façon ludique le patrimoine régional. Enfin, j'espère que l'année 2020 permettra de lancer un vaste chantier de réaménagement des abords du site qui vient de faire l'objet d'une étude.

La Gazette du Patrimoine : Quelle est, d’après vous, la qualité première d’un Conservateur ?

Pierre-Gilles Girault : C'est difficile à dire car il en faut beaucoup ! (rires). Je dirais la passion, le goût de l'art et du patrimoine bien sûr. De la persévérance, de la ténacité, car il en faut pour convaincre de la nécessité des projets liés au patrimoine, qui demandent souvent du temps et des moyens. Sans que cela tourne à l'entêtement pour autant, car nous devons aussi être à l'écoute, des collègues, du public et des élus ! Alors il faut aussi de l'imagination pour essayer de sortir des sentiers battus.

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Monastère royal de Brou, vue du chœur avec ses vitraux et les trois tombeaux de Philibert le Beau (au centre), de sa mère Marguerite de Bourbon (à droite) et de Marguerite d’Autriche à gauche. © CMN / David Bordes

La Gazette du Patrimoine : Les idées reçues font que l’on s’imagine souvent le Conservateur comme un acteur un peu « poussiéreux », avec une vision rigide de sa fonction et peu ouvert aux idées nouvelles. Qu’en pensez-vous ?

Pierre-Gilles Girault : Le métier a beaucoup évolué depuis 20 ou 30 ans. Un conservateur, surtout dans des monuments ou musées territoriaux, ne se consacre plus seulement à ses collections : c'est aussi un gestionnaire, un manager, un médiateur et un communicant. La mentalité des conservateurs est d'ailleurs en train de changer, grâce au recrutement de collègues plus jeunes, ou souvent qui ont eu d'autres activités et d'autres métiers avant de devenir conservateurs. Pour ma part, je ne suis pas un conservateur de mentalité conservatrice...

La Gazette du Patrimoine : Si vous n’aviez pas exercé votre fonction au sein du Monastère de Brou, quel est le lieu pour lequel vous auriez aimé vous investir ?

Pierre-Gilles Girault : J'ai eu la chance de travailler dans plusieurs lieux d'exception : l'abbaye de Noirlac, le château royal de Blois, maintenant le monastère royal de Brou. Alors j'ai du mal à me projeter dans un autre lieu. Toutefois, à mes yeux, le monument et le site le plus extraordinaire en France, celui qui me fascine le plus, c'est incontestablement le Mont-Saint-Michel et son abbaye.

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Monastère royal de Brou, vue aérienne de l’église et des trois cloîtres. © Herwey/ville de Bourg-en-Bresse

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La Gazette du Patrimoine : Si vous n’aviez pas fait le choix de cette profession, qu’auriez-vous aimé faire ?

Pierre-Gilles Girault : Je suis pleinement heureux et épanoui dans ce que je fais. Mais comme dit la chanson, « j'aurais aimé être un artiste » ! Ou sans doute écrivain, plutôt romancier. J'écris et je publie beaucoup, c'est dans mon ADN, mais je n'ai jamais su franchir la barre de l'écriture de fiction... Jusqu'à présent du moins ! 

La Gazette du Patrimoine : Quelle est le pire souvenir de votre carrière ? Et quel est le meilleur ?

Pierre-Gilles Girault : Le pire est une vraie tragédie : c'est lorsqu'un visiteur s'est jeté du haut de l'escalier François Ier à Blois. Écrasé au sol devant un groupe de jeunes visiteurs, il a été rapidement pris en charge par les secours mais est décédé peu après. Les meilleurs sont heureusement plus nombreux. L'émotion d'accueillir et d'installer le reliquaire du cœur d'Anne de Bretagne à Blois, 500 ans après sa mort. L'inauguration à Brou de l'exposition "Primitifs flamands", un rêve que je caressais depuis longtemps. Ou à Brou encore, remettre en place la tête d'une statuette du tombeau du duc de Savoie Philibert le Beau, qui avait été décapitée en 1831 et que le musée de Saint-Omer a récemment accepté de nous restituer.

La Gazette du Patrimoine : Quelques mots pour convaincre un jeune de s’engager dans cette voie et quelles doivent-être ses principales qualités pour être sûr de réussir ?

Pierre-Gilles Girault : J'ai déjà évoqué les qualités nécessaires à l'exercice de ce métier. Il n'y a aucun moyen d'être sûr. Mais la passion, la motivation, la volonté et surtout la conviction que c'est bien cela que l'on souhaite faire, me semblent indispensables, ne serait-ce que pour obtenir le difficile concours de l'INP (Institut National du Patrimoine). C'est un métier où tout n'est pas simple (en existe-t-il d'ailleurs ?), mais qui a du sens et donc extrêmement gratifiant.

La Gazette du Patrimoine : Quelle est votre définition du mot « patrimoine » ?

Pierre-Gilles-Girault : Du point de vue juridique, l'article L1 du Code du Patrimoine donne une définition du patrimoine : ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique. Mais c'est un peu sec, et de plus il y manque la notion de patrimoine immatériel. J'aime beaucoup la définition un peu rude et en tout cas exigeante qu'en a donné André Chastel : "Le patrimoine se reconnaît au fait que sa perte constitue un sacrifice et que sa conservation suppose des sacrifices." Ma conviction est toutefois que les sacrifices que nécessite la préservation du patrimoine sont bien moins importants que ceux que sa perte occasionnerait. Il faut en convaincre la société et les "décideurs", acteurs politiques ou économiques. C'est aussi notre rôle. Et je suis convaincu que le partage que j'ai déjà mentionné avec le public le plus large en est la clé.