L'art et la manière
Janvier 2020
Angélique DEMEERSsMAN

C’est à Arcueil, en région parisienne, qu’Angélique Demeerssman nous invite à découvrir son « Atelier des Anges » et la passion pour son métier.

La Gazette du Patrimoine : Angélique, à quel âge avez-vous su que ce le métier de restauratrice de tableaux serait le vôtre ?
Angélique Demeerssman : C’est en regardant un reportage à la télévision sur la restauration de la Galerie des Glaces à Versailles que j’ai eu le déclic et que je décidais alors de mettre tout en œuvre pour y parvenir. J’avais alors douze ans.
La Gazette du Patrimoine : Quel fut alors votre parcours ?
Angélique Demeerssman : J’ai suivi un cursus universitaire en histoire de l'art où j’ai obtenu une licence. Je me suis ensuite inscrite pour 3 ans à l'école de l'atelier du temps passé ou je me suis spécialisé en restauration de tableaux et objets d’art polychromes. En parallèle de ma formation diplômante j’ai entrepris une licence d'art plastique. Par la suite, en 2014, j’ai appris la restauration de peinture murale via le conservatoire Muro dell’ Arte.
J’ai créé « L'Atelier des Anges » en 2008 et J'ai ouvert mon atelier sur rue en 2014.

Angélique Demeerssman : Ma clientèle est très variée. Je travaille pour des particuliers collectionneurs, des châtelains, mais aussi pour des communes.
La Gazette du Patrimoine : Vous êtes extrêmement soucieuse du respect de l’environnement et, bien entendu, du respect des œuvres et vous avez fait le choix d’utiliser essentiellement des produits naturels en adéquation avec votre déontologie : pouvez-vous nous en dire plus ?
Angélique Demeerssman : Concernant la restauration de tableaux, j’essaie d’utiliser le plus possible des produits naturels en corrélation avec l'œuvre. Pour les décrassages de la couche picturale j'utilise de l'eau déminéralisée à l'aide d’un coton et d’un bâtonnet en ayant effectué des tests préalables. Pour les allègements de vernis, je suis obligée d’utiliser des solvants (du plus doux isoctane au plus fort éthanol), mais je n'utilise pas les produits toxiques comme le toluène ou le xylène. Si la couche de vernis est difficile à retirer, afin de retrouver une lisibilité de l'œuvre, j’effectue un dégagement mécanique à l'aide d’un scalpel. Pour les couleurs, j'utilise une peinture spéciale pour la restauration ou de l'aquarelle. Pour le comblement des lacunes, je réalise un mastic fait maison avec du blanc de Meudon et de la colle de peau. Les vernis de finition sont composés de résine naturelle (damar ou mastic). Concernant la restauration de peinture murale, je n’utilise que des produits naturels non éco-toxiques. Eau déminéralisée, huiles essentielles, sables et chaux. Aucune résine synthétique.

Angélique Demeerssman : Toute œuvre mérite d’être sauvée ! J'aime beaucoup la peinture du XVIe siècle et les peintres hollandais. Et, par-dessus tout, j’aime Canaletto. J'ai restauré de nombreuses œuvres de toutes les époques, du XVIe au XXe siècles. Des huiles sur toile ou bois, ainsi que des sculptures polychromes. J'ai adoré restaurer les œuvres de la collection de Benjamin Raspail provenant de l'hôtel particulier de la ville de Cachan notamment, car il y avait de très belles allégories peintes à l'huiles sur panneaux datant du XVIIe siècle.

Angélique Demeerssman : J'ai souhaité me diriger vers la restauration de peinture murale, car c’est le tout premier métier que je voulais exercer en regardant ce fameux reportage à l'âge de 12 ans. Sauf qu’aucune formation spécialisée en peinture murale n’existait à cette époque. Je me suis donc formée en peinture de chevalet. Ces 2 disciplines sont complètement différentes. Un support mural ne respire pas de la même façon qu’un tableau ou qu’un panneau de bois. Les composants sont très différents en mural. On voit souvent de la fresque en mélange de chaux alors qu’en peinture de chevalet on a de l'huile avec des vernis. Là où les techniques se rapprochent, c’est quand il s’agit de toiles marouflées ou peinte sur feuille d'étain contrecollée sur un mur. Pour ces deux techniques , es artistes utilisaient de l’huile ou de la céruse comme pour la peinture de chevalet.

Angélique Demeerssman : Au mois de septembre je suis partie à Florence pour parfaire mes techniques de peintures murales car l'Italie se rapprochait des méthodes naturelles non éco-toxiques que j’affectionne tout particulièrement. J’ai beaucoup appris à l'École Spinelli notamment la méthode de la "vraie" fresque italienne de Giotto et de Michell-Ange, du faux marbre a fresco, ainsi que le sgraffito. Puis, nous avons eu l'opportunité de travailler dans un palais florentin sur des fresques datant du XVIIe siècle. Nous avons fait des sondages, des consolidations, des retouches a tratteggio. Ce fut un chantier très enrichissant.

Angélique Demeerssman : Mon plus beau souvenir de restauration de peinture murale fut à l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet où mon équipe et moi avons restauré la chapelle de la Vierge qui était encrassée ; les grandes toiles marouflées se détachaient et l'accès au lanternon où la Colombe du Saint-Esprit trônait avait complètement disparu sous la poussière. Concernant la restauration des peintures de chevalet, j’ai de nombreux beaux souvenirs, surtout quand les œuvres sont dans un état si préoccupant que le client pense que c’est irrécupérable (tableaux complètement troués ou chancis à cause de l'humidité, l'œuvre dans ce cas est complètement illisible). Je me souviens d 'un tableau apporté par le conservateur de la ville d’Arcueil. Ce tableau était en lambeaux. Il avait récupéré tous les morceaux de toile dans le grenier de la mairie. J’ai dû reconstituer le puzzle et compléter les lacunes. Ce fut un travail de patience, mais le résultat fut tout simplement spectaculaire.

Angélique Demeerssman : Quand un client a souhaité que je transforme complètement le visage d’une femme et que je lui ai dit que les restaurateurs ne pouvaient se permettre cela et que ce n'était pas du tout déontologique. On ne modifie pas ce que l'artiste a peint. Si la jeune femme a un sourire niais sur le tableau, nous pouvons aucunement le modifier. Puis celui d’un architecte dit « Monuments Historiques » qui a souhaité que l'on repeigne une église entièrement comme il le souhaitait, en inventant à foison ce qui n'existait pas à l'origine sur des fresques datant quand même du XIIe et XIVe siècles !
La Gazette du Patrimoine : Votre engagement pour le patrimoine est tel que vous avez déjà restauré gracieusement deux œuvres appartenant à des petites communes. Vous êtes même à l’origine de l’opération « Un Geste à l’Édifice » créée par Urgences Patrimoine. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’offrir votre savoir-faire au patrimoine en péril ? Et quand vous entendez dire certaines personnes que cette opération de mécénat de compétences est une forme de concurrence déloyale, vous leur répondez quoi ?
Angélique Demeerssman : Je pense que c’est tellement important de faire ce geste en tant que restauratrice passionnée. J’ai vu et vois encore des œuvres en péril dans nos églises complètement abandonnées. Elles n’attendent qu’une seule chose : qu'on les aide à reprendre vie ! Et personnellement, je ne pense pas que cet acte généreux et désintéressé soit de la concurrence déloyale. Dans notre métier, on vit avant tout parce qu’on aime notre patrimoine. On ne peut pas laisser les œuvres se détériorer faute de moyens. Si l’on pouvait aider un peu chacun notre tour, ce serait formidable pour l’avenir de ces œuvres oubliées et condamnées.

Angélique Demeerssman : Je rêverais de restaurer un Canaletto bien sûr !
La Gazette du Patrimoine : Si vous n’aviez pas été restauratrice de tableaux, quel métier auriez-vous exercé ?
Angélique Demeerssman : Je pense que c‘est ancré en moi depuis toujours. Je n'aurais pas pu faire autre chose. Cela n'a pas été facile de démarrer dans ce métier sans aucun réseau, mais je n'ai jamais abandonné. J’aime mon métier plus que tout. C’est ma passion.
La Gazette du Patrimoine : « L’atelier des Anges », c’est un clin d’œil à la marquise, puisque vous vous appelez Angélique ?

