Les jeunes s'engagent
Mars 2020


NATHAN GUIGAND : LA JEUNESSE EN ACTION


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Nathan Guigand a 19 ans et il est étudiant en BTS Systèmes Numériques à Saint-Félix-La Salle (Nantes).

Il vit à Nantes la semaine et à Savenay ou Guérande les week-ends et pendant les vacances.

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La Gazette du Patrimoine : Le patrimoine, c’est comme la potion magique d’Obélix, vous êtes tombé tout petit dedans ?

Nathan Guigand : J’ai commencé à sérieusement m’y intéresser à partir de mes seize ans, mais je suis tout de même originaire de la Mayenne. Par conséquent, les beaux édifices comme les châteaux ou les églises, j’en ai vu pas mal étant petit. Ensuite mes parents ont déménagé à Savenay, qui est beaucoup moins rural que Château-Gontier. Cependant, un Château à Prinquiau m’intriguait beaucoup, à deux-cent mètres de chez mes grands-parents. Mais j’y reviendrai ultérieurement. En revanche, dès lors que je suis « tombé » dedans à seize ans, la passion a grandi de plus en plus et même encore aujourd’hui.

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La Gazette du Patrimoine : Vous êtes très jeune et, pourtant, vous êtes déjà très actif. Vous êtes engagé dans la restauration de nombreux édifices, pouvez-vous nous dire lesquels et ce que vous faites ou avez fait depuis que vous êtes « entré en patrimoine » ?

Nathan Guigand : Lorsque j’avais seize ans et demi, je me suis fortement intéressé à ce Château proche de chez mes grands-parents et qui m’intriguait beaucoup. Je suis ainsi entré en contact avec le président de l’association qui le restaurait et qui le faisait vivre. La semaine suivante, j’y étais bénévole ! Il s’agit du Château de L’Escurays à Prinquiau ! Un patrimoine remarquable datant de la fin du XIVe siècle, avec des ajouts (et remaniements) jusqu’en 1912 ! Le parc qui l’entoure comporte vingt-cinq hectares (composé d’arbres plus que centenaires). L’association ARPE (Association pour la Renaissance du Patrimoine de l’Escurays) où je suis bénévole et qui se charge de faire rayonner, de préserver, de restaurer ce patrimoine communal inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, a en quelques sortes sauvé ce Château de son abandon. La famille qui y habitait jusqu’au décès du comte en 1993 n’avait plus beaucoup de moyens financiers depuis les années 1910. L’abandon de 1993 à 2008 n’a pas aidé la bâtisse et s’en sont suivi bon nombre de vols et de dégradations volontaires comme naturelles. Mes actions en faveur du Château sont donc très diverses. Je réalise des travaux d’entretien du site extérieur (retirer le lierre dans les murs de pierre, désherber la cour, restaurer des tuffeaux, reprendre des maçonneries avec de la chaux…), des travaux à l’intérieur (peinture de portes et fenêtres, remplacement de carreaux cassés, ponçage de poutres, restauration de boiseries, réparation de serrures de placard, réouverture de fenêtres condamnées par des panneaux de bois…). De plus, je guide les visiteurs avec d’autres bénévoles durant les journées du patrimoine, je participe également à l’organisation de celles-ci et même à l’organisation d’autres évènements en lien avec le domaine de l’Escurays.

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Le second Château où je suis bénévole est le Château de La Droitière à Mauves – sur – Loire. Cette belle bâtisse des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, représente une très grande valeur historique. Au XIXe siècle, la propriété est acquise par les frères Fleury, et l’un d’eux est marié à Mathilde Verne, qui n’est autre que la sœur du célèbre écrivain Jules Verne.

Jules Verne fera, avec son beau-frère, un remaniement du parc, ainsi que l’ajout de deux pavillons symétriques au Château (vers 1870). Cependant, un hôpital s’installera sur le site dans les années 1960 et construira d’autres bâtiments, détruira la chapelle et l’orangerie, démontera les boiseries, parquets et cheminées du Château. Les actuels propriétaires ont fondé l’Association des Amis de La Droitière. Cette belle association a pour objectif de remettre en l’état le parc et le Château tel qu’a pu le parcourir Jules Verne.

Les modifications apportées par l’hôpital s’effacent grâce à leur dévouement et à leur passion (démolition des bâtiments en béton, démolition des cloisons du Château pour retrouver les volumes d’origine…). Ce sont également des férus de botanique, qui ont su restaurer le parc de onze hectares en le liant avec l’histoire et les voyages de Jules Verne.
Cette très belle propriété a un bel avenir devant elle grâce à ce célèbre personnage.

Cela m’a amené à entrer en contact avec ces personnes, afin de devenir bénévole occasionnellement depuis avril 2019. Dernièrement, j’y ai passé une semaine de mes vacances de novembre pour les aider (démontage de plafonds récents dans le Château, démontage de conduits VMC, nettoyage des feuillures des fenêtres du XVIIè siècle, démantèlement d’un faux plafond dans les anciennes écuries…). S’inscrire dans un tel projet de restauration du passé c’est aussi s’inscrire dans un projet d’avenir !

N’ayant pas de véhicule personnel, ni même le permis à vrai dire, j’effectue principalement mes déplacements à vélo. Mes allers-retours entre Savenay et le Château de l’Escurays à Prinquiau m’amènent à franchir une longue et belle côte où se dresse fièrement l’Eglise de Savenay ! Cette église datant de 1840-1880 et de style Néo-Renaissance est remarquable, mais aussi fortement endommagée par des mauvais travaux (enduits ciment par exemple…). J’ai donc contacté la paroisse Saint Martin du Sillon qui s’en occupe (le bâtiment même est propriété de la ville de Savenay). J’ai, avec le père Jérôme établi une liste de petits travaux que je me proposais de réaliser bénévolement. Depuis l’été 2019, je passe quelques demi-journées de quelques week-ends ou vacances à réaliser ces travaux (reprise d’enduits avec du plâtre, suppression du ciment et remplacement par de la chaux, …). Mon investissement au sein de cette paroisse m’amène également à divers projets comme envisager la restauration d’une petite chapelle du XVe siècle.

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Une autre forme d’engagement plus « globale » pour le patrimoine est mon implication à l’échelle départementale auprès de l’association Urgences Patrimoine. Cela fait désormais presque deux ans que j’ai pris contact avec sa présidente, Alexandra Sobczak afin de l’informer de la démolition de divers Châteaux dans le nord de la France. Je ne connaissais pas encore cette association et j’ai vu, au fil du temps, toutes ces très belles actions menées en faveur du patrimoine local, trop souvent négligé, mais également être franche quant aux nombreuses démolitions qui frappent la France entière. J’ai donc décidé de m’y investir et la présidente m’a proposé de devenir correspondant départemental (de Loire-Atlantique), ce que j’ai bien évidemment accepté. Je me suis dernièrement impliqué dans un projet de sauvetage d’un beau bâtiment de 1828 qui est présent sur le site hospitalier de Savenay. L’hôpital souhaite procéder à sa démolition pour la construction de logements… Ce n’est vraiment pas un dossier facile et qui a très peu de chances d’aboutir à une sauvegarde mais, qui ne tente rien n’a rien !

Enfin, ma passion pour le patrimoine s’oriente particulièrement vers les Châteaux et m’a conduit à me rendre au contact de plus de cent trente châtelains ! Dans la Mayenne, Sarthe ou en Loire-Atlantique. J’y ai ainsi rencontré des personnes passionnées et entièrement dévouées pour leur propriété. Je me suis toujours très bien entendu avec ces personnes et j’ai cherché à apporter mon aide à ces propriétaires passionnés. La gestion (travaux, visites, entretien…) est conséquente et cela s’apprend. Désirant apprendre cela, je fais donc partie des Vieilles Maisons Françaises au sein de la délégation de Loire-Atlantique depuis octobre 2019. L’accueil qui m’a été réservé est excellent ! N’ayant cependant pas assez de disponibilités en semaine pour participer à tous les événements organisés, j’apporte mon aide en gérant la communication par l’intermédiaire des réseaux sociaux de cette délégation.

La Gazette du Patrimoine : Qu’est-ce qui vous motive à œuvrer en faveur du patrimoine en péril ?

Nathan Guigand : C’est très complexe à définir car ce sont plusieurs faits. Notamment l’architecture employée dans les constructions anciennes, mais aussi la qualité du travail réalisé afin que cela traverse les générations. C’est également la quantité de travail que nos ancêtres ont dû produire pour arriver à cela et que nous détruisons sans même s’en soucier… De plus, je suis un amoureux de la nature, des espaces boisés, de la campagne. Et lorsque l’on démolit par exemple une demeure bourgeoise située dans un centre-ville, on détruit généralement son parc pour y couler du béton…
Le patrimoine c’est aussi notre identité, le cœur des petits villages ! Les touristes étrangers qui viennent en France ne viennent pas pour admirer nos bâtiments contemporains dont ils ont les mêmes exemples chez eux. Car lorsque l’on regarde les différentes régions de France, les bâtiments en pierres ne sont pas construits avec le même type de pierre, on retrouve notamment le tuffeau pour les bords de Loire, le granit en Bretagne, le grès en Alsace, etc… L’architecture employée est aussi propre à la localisation. On construisait avec des matériaux locaux ! Aujourd’hui pratiquement toute nouvelle construction est composée de parpaing et béton, c’est universel…

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La Gazette du Patrimoine : Le patrimoine est souvent perçu comme une cause « poussiéreuse ». Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Nathan Guigand : Les personnes qui perçoivent le patrimoine ainsi n’y portent vraisemblablement aucun intérêt. Pourtant, le patrimoine nous apporte la convivialité dans les villages, le tourisme, l’emploi de 500 000 personnes. Le patrimoine c’est une cause multigénérationnelle, une transmission des savoirs. Quant à ceux qui pensent que l’ancien ne peut s’allier avec le moderne, c’est totalement infondé ! Nombreux sont les projets qui lient de l’ancien et du moderne et qui ont vu le jour il y a déjà quelques années. L’avenir doit se construire avec le passé, et nous ne devons pas le rogner. Le maréchal Foch disait « Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. ».

La Gazette du Patrimoine : Vos parents œuvrent également pour le patrimoine, ou est-ce votre propre choix ? Et que pensent-ils de votre engagement personnel ?

Nathan Guigand : Les actions que je mène en faveur du patrimoine sont des choix personnels. Mes parents pensent globalement que je suis « fou de patrimoine », ce que j’assume entièrement ! Mes grands-parents paternels portent un intérêt pour le patrimoine dû à leur proximité avec le Château de L’Escurays, mais aussi de la présence d’un manoir dans la famille au début du XXe siècle. Mais toutes ces actions qui me prennent beaucoup de temps en plus de mes études, sont parfois prises comme irraisonnables…

La Gazette du Patrimoine : Vous suivez des études d’informatique. Informatique et patrimoine, c’est un curieux mariage. Pourquoi ne pas avoir suivi un cursus plus en adéquation avec votre passion ?

Nathan Guigand : Lorsque je me suis orienté scolairement vers un milieu professionnel, à 14 ans, je n’avais guerre développé cette passion pour le patrimoine. C’est ainsi que j’ai effectué un bac professionnel en réseaux informatique et à la suite de celui-ci, que j’ai obtenu avec mention, j’ai poursuivi vers un BTS du même type. Ce choix d’études supérieures s’est justifié par le fait que mon rêve est d’acquérir une belle demeure à restaurée majoritairement par moi-même. Pour réaliser ce rêve, il faut des savoir-faire que je tente de posséder par l’intermédiaire de mes engagements mais il faut aussi des moyens financiers conséquents que je ne possède pas. Un métier dans les réseaux informatique offre un emploi régulier, avec un salaire que je suis certain de percevoir tous les mois.

La Gazette du Patrimoine : Vous militez beaucoup contre l’abandon et les démolitions des édifices. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites concrètement ? D’ailleurs, vous êtes en train d’essayer de convaincre un élu de ne pas démolir une bâtisse près de chez vous. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nathan Guigand : Quand j’apprends ou que j’observe la démolition d’un bâtiment ancien, cela me touche beaucoup et me donne encore plus l’envie d’œuvrer contre cela. Je regarde quotidiennement les actualités des châteaux en France qui sont menacés de démolition, ou qui sont touchés par de mystérieux incendies. Je me tiens également régulièrement informer de l’avenir des bâtisses anciennes locales. Ensuite, j’adresse un courrier aux maires concernés et dont je pense avoir une chance de parvenir à une préservation du bâtiment. Actuellement, je suis sur le dossier de l’hôpital de Savenay. Le bâtiment principal date de 1828, est ornementé de corniches et frontons, de grandes baies cintrées, surmonté d’un lanternon avec un crucifix. Le site hospitalier souhaite procéder à la démolition de celui-ci pour motif de sécurité (inutilisé depuis une quinzaine d’années). Toutes les fenêtres et portes sont ouvertes, laissant ainsi l’eau et le vent s’infiltrer dans ce bâtiment… Un projet immobilier est porté par la direction de l’hôpital en remplacement de cette bâtisse encore en état. J’ai donc écrit au maire et j’ai rencontré le premier adjoint sensible à la préservation de ce bâtiment. Mais le directeur de l’hôpital ne semble visiblement pas de la même sensibilité… Un permis de démolir a été accordé mais il n’est pas encore affiché à ce jour.

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Mon second dossier est un Château de la seconde moitié du XIXème siècle. Situé non loin de Savenay je ne peux vous dévoiler son nom et sa localisation. Laissé à son triste sort à la suite du décès des précédent propriétaire et hérité par leurs enfants depuis plus de quinze ans. J’ai tenté maintes et maintes fois de contacter le propriétaire (mails, courriers, appels…). Aucune réponse de sa part depuis septembre 2019. Date à laquelle je me suis rendu sur place, apercevant la toiture dans un état préoccupant. J’ai retrouvé des photos d’explorations urbaines (urbex) sur internet, certaines parties de l’intérieur sont en triste état… Heureusement, l’accès est désormais fermé. Pour démontrer ma réelle passion et mes bonnes intentions au propriétaire, j’ai réalisé l’historique complet de son Château. Ce dossier d’une vingtaine de pages est désormais en sa possession, mais aucune prise de contact ne m’est parvenue…

La Gazette du Patrimoine : Que pensent vos camarades de classe de votre investissement patrimonial ? Ils vous prennent pour un extra-terrestre ou vous avez réussi à les convaincre de vous rejoindre dans vos combats et sur vos chantiers ?

Nathan Guigand : Peu sont au courant de mes engagements, seulement mes camarades proches. Ceux-ci me prennent cependant pour un fou. Surtout quand je leur dis qu’une journée de vacances classique est pour moi le levé à 7h pour me rendre au service du patrimoine, et qu’il m’est parfois arrivé de rentrer à 1h du matin en vélo après des réunions. La plupart des jeunes de mon âge dans ma classe se lèvent tard, voire même l’après-midi pendant les week-ends et les vacances, et passent le restant de la journée et la nuit sur des jeux-vidéo. C’est un mode de vie que je ne pourrai supporter. J’ai besoin de bouger, d’être au contact de la nature, d’agir pour le patrimoine, de ne pas compter mes heures au service de celui-ci !

La Gazette du Patrimoine : Et à l’inverse, quel est le regard que portent les gens beaucoup plus âgés que vous sur votre engagement ?

Nathan Guigand : Les personnes plus âgées que je rencontre sont dans le cadre patrimonial. Ces personnes sont donc sensibilisées à cette belle cause et comprennent ma passion. Ils sont cependant surpris par le nombre d’engagements que je mène en faveur du patrimoine et mes ambitions, comme celle de devenir châtelain. Car de nos jours, être châtelain n’est pas une bonne solution financière, et cela prend énormément de temps et de travail ! Malgré cela, je ne me vois pas vivre dans un bâtiment entièrement restauré et encore moins dans un logement récent ! Je suis davantage méprisant envers les constructions récentes. Il me faut une bâtisse ancienne, avec des travaux et de l’entretien. Je reste tout de même conscient du travail que cela représente, mais c’est ma volonté et je vais mettre tout en œuvre pour y arriver.

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La Gazette du Patrimoine : Demain, vous êtes Ministre de la Culture. Quelle serait votre première action en faveur du patrimoine ?

Nathan Guigand : Si cela m’arrivait, je mettrais tout en œuvre pour débloquer davantage de fonds pour la restauration du patrimoine. J’appuierai autant que possible sur l’importance de l’entretien régulier de nos monuments. Je me battrai également pour que les personnes qui œuvrent dans l’ombre pour la préservation du patrimoine (qu’il soit privé ou public) soient reconnues. Je soulignerai l’importance de la transmission de notre patrimoine et de sa diversité aux générations futures. Je tenterai de travailler avec des acteurs du patrimoine qui ont ça dans le sang, qui sont passionnés. De plus, je monterai un groupe de travail pour que les démolitions régulières cessent (églises, demeures bourgeoises, bâtisses du XIXe siècle). Je me pencherai aussi sur la situation des nombreux châteaux délaissés en France. Beaucoup sont laissés à leur triste sort par des héritiers en indivision, ou des héritiers qui ne sont pas intéressés. Il faudrait que ces demeures soient reprises par des personnes passionnées et capables de leur redonner leur lustre d’antan.

Bien évidemment tout cela prend du temps et est très difficile à mettre en place. Mais je garderai en mémoire une inscription que j’ai vue dans un château délaissé « Qui veult peut ». Pour l’instant je ne suis pas représentant du patrimoine à l’échelle nationale mais acteur localement.

Crédits photographiques : Nathan Guigand