Au nom de la loi
Avril 2020


« Monument historique »
Plus qu'un label, une servitude administrative

Théodore Catry


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Théodore Catry est avocat indépendant exerçant à Tours en droit public, domaine juridique qui réunit l’ensemble des contentieux entre l’administration et ses administrés.

Particulièrement sensibilisé aux problématiques de préservation des paysages et des patrimoines naturel et bâti, il intervient notamment en contentieux de l’environnement et de l’urbanisme pour toute action en responsabilité ou tout recours contre des décisions et règlementations administratives susceptibles d’atteindre le justiciable dans la jouissance et l’exercice de ses droits.

Plus qu’un simple label, le statut de « monument historique », tel que l’entend la loi, est une véritable source de droits et d’obligations à l’égard du propriétaire du bien qui bénéficie d’une inscription au prestigieux inventaire.

Parmi ces devoirs, l’un des plus essentiels, à savoir celui de conserver le bien inscrit, est également l’un des moins évidents à cerner et à assumer, en théorie comme en pratique.

Pourtant, le principe de responsabilité de conservation du monument est une réalité qui produit des effets juridiques majeurs. En tant que telle, cette responsabilité s’impose à tout propriétaire y compris lorsque le bien appartient à une personne publique telle qu’une collectivité locale.

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Château de Verneuil-sur-Indre : crédit photographique Théodore Catry

Un bien inscrit au titre des monuments historiques se voit, par ce seul fait, soumis à un ensemble de règles à charge de son propriétaire. Ces règles sont motivées par un but d’intérêt général qui justifie qu’elles puissent moduler l’exercice du droit de propriété normalement attaché à tout bien meuble ou immeuble. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 décembre 2011 (n° 2011-207 QPC), a pu le confirmer en décidant que les contraintes auxquelles le bien inscrit se voyait soumis étaient aussi bien justifiées par le but poursuivi que proportionnées à cette finalité d’intérêt général.

L’inscription aux monuments historiques établit donc une servitude administrative, c’est-à-dire une limite légale à la libre jouissance et à la libre disposition du bien.

Le code du patrimoine (ci-après
C. Patr.) pose en la matière une règle fondamentale à l’article L. 621-29-1, en disposant que « le propriétaire ou l'affectataire domanial a la responsabilité de la conservation du monument historique classé ou inscrit qui lui appartient ou lui est affecté. »

Cette obligation est attachée à l’immeuble : en d’autres termes, peu importe que le propriétaire ayant obtenu l’inscription du bien s’en sépare : la loi dispose que tous les effets attachés à ce classement suivent l’immeuble « 
en quelques mains qu'il passe » (article L. 621-29-5 du même code).

La défaillance du propriétaire dans son devoir de protection du bien inscrit n’est pas sans conséquence : à ce titre, l’État, en tant qu’autorité de référence, peut reprendre la main de façon plus ou moins radicale. Ainsi, si la conservation de l’immeuble est « 
gravement compromise » (article L. 621-12 C. Patr.), une procédure de mise en demeure est prévue pour imposer au propriétaire la réalisation des travaux nécessaires avec délais imposés et participation financière de l’État à hauteur de 50 % au maximum.

Le propriétaire qui ne se conformerait pas à cette mise en demeure s’expose à ce que l’autorité administrative fasse exécuter des travaux d’office ou même entreprenne son expropriation au nom de l’État (
article L. 621-13 C. Patr.).

La responsabilité de la conservation du monument : quelle étendue ?

La responsabilité imposée à l’article L. 621-29-1 du code du patrimoine est doublement absolue : d’une part, elle consiste en une véritable obligation de protection du bien ; d’autre part, elle s’applique à tout propriétaire, qu’il soit privé ou public.

En premier lieu, le devoir de conservation ne se limite pas à demander au propriétaire du monument des mesures minimales ou conservatoires pour empêcher le péril de son bien.
Il s’agit d’un devoir strict et ferme de protection du bien inscrit. Les juges de l’ordre juridique administratif, dont les décisions de justice ont force normative, le confirment, à commencer par le Conseil d’État, qui qualifie l’obligation légale d’« obligation de protection » (CE, 27 juin 2019, n° 427557), mais aussi la jurisprudence des cours administratives d’appel où l’on évoque également un « régime de protection » (CAA Marseille, 28 septembre 2018, Commune de Montfrin, 16MA03436).

En second lieu,
la responsabilité de conserver le bien s’applique aussi bien aux propriétaires privés qu’aux propriétaires publics que peuvent être par exemple des communes ou encore des établissements publics.

En ce qui concerne les collectivités locales, cela signifie qu’elles sont susceptibles de répondre, sur le plan de leur responsabilité juridique, de l’éventuelle inexécution de cette obligation.

Par exemple, dans l’affaire précitée portée devant la cour administrative de Marseille, la commune avait adopté une délibération par laquelle elle entendait purement et simplement abandonner de façon définitive sa propriété sur les lots d’un hôtel particulier du XVIe Siècle inscrit au titre des monuments historiques, et dont elle était copropriétaire. Cette décision, motivée par la volonté pour la ville de se soustraire aux dépenses d’entretien qu’exigeait son état de détérioration, a été prise, selon la cour, en méconnaissance des « 
obligations qui pèsent sur elle en sa qualité de propriétaire d'un bien inscrit qui, en vertu des dispositions précitées du code du patrimoine, assume la responsabilité de la conservation de ce bien. »

La cour résume la stratégie de la commune en des termes éloquents en jugeant que « 
le régime de protection dont bénéficie cet immeuble ne saurait s'éteindre du fait des seules convenances de son propriétaire », avant de sanctionner la délibération d’une annulation juridictionnelle obligeant ainsi le propriétaire à régulariser sa décision et assumer sans se défausser son devoir d’entretien de l’immeuble.

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