L'art et la manière
Avril 2020


Denis Berteau : Poète de la couleur


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Né en 1952 en région bordelaise d’où est originaire sa famille, et après avoir vécu en Tunisie, Denis Berteau fait ses études secondaires à Libourne, pour ensuite rejoindre Paris et intégrer les Arts Déco, en choisissant comme spécialité « peinture et art mural ». Il est diplômé en 1980.

Depuis il enchaîne les chantiers en France comme à l’étranger, notamment aux USA, mais également en Allemagne, en Arabie Saoudite, et au Maroc.

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La Gazette du Patrimoine : Qu’est-ce qui a motivé le choix de votre métier et racontez-nous votre parcours aux Arts Déco ?

Denis Berteau : Depuis tout petit, j’ai toujours aimé dessiner et peindre, et j’ai eu la chance d’avoir un instituteur, ça s’appelait encore comme ça, qui était passionné de dessin et qui savait transmettre sa passion.

Nous avions 10 ans et il nous donnait des cours de perspective, et surtout nous apprenait à regarder les choses autrement, afin de les représenter le plus fidèlement possible sur du papier en respectant la forme, les proportions, la lumière, et les ombres, la couleur, en gros savoir se poser les bonnes questions, ce qui est la base de l’apprentissage du dessin. Un an après, je recevais comme cadeau de Noel ma première boîte de peinture à l’huile.

Après mon Bac, je suis parti faire mon service militaire, et libéré fin janvier, j’intégrais l’académie Penninghen en cours d’année préparatoire. J’y ai été immergé avec 4 mois de retard sur les autres, ce qui ne m’a pas empêché de réussir le concours des Arts Déco 3 mois après. C’est pendant cette période que j’ai eu la chance de travailler pour la maison Sennelier lorsque les cours me le permettaient, comme magasinier, emballeur, tendeur de toiles, vendeur, démonstrateur… C’est là que j’ai vraiment découvert et me suis passionné, pour le monde merveilleux des produits qui entrent dans la composition des peintures artistiques qui sont aussi une des bases du métier de peintre. Savoir fabriquer ses propres couleurs, inventer de nouveaux médiums, savoir créer des outils qui s’adaptent à notre travail, ce qui malheureusement n’est plus guère enseigné dans les écoles d’art. Être baigné dans un tel environnement ça a forcément influencé mon choix en troisième et quatrième année, peinture avec Georges Rohner, puis Art Mural avec Jacques Despierre comme chefs d’ateliers. Les Arts Déco m’ont donné des bases et une ouverture sur ce qu’allait être mon métier, mais l’essentiel je l’ai appris en travaillant.

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La Gazette du Patrimoine : Quelle est d’après-vous la plus grande qualité requise pour exercer votre métier ?

Denis Berteau : C’est un métier complexe, qui mélange une démarche artistique et un travail d’ouvrier du Bâtiment. Il faut vraiment maitriser toutes les étapes, la conception artistique n’est pas plus importante que la mise en œuvre dans un environnement de chantier, et peindre un plafond, non pas couché sur le dos comme le veut la légende, et tous les jours pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est pas un exercice qui s’improvise. C’est un métier de peintre en bâtiment avec de petits pinceaux. Pour répondre à votre question, il faut être curieux et inventif, chercher en permanence à perfectionner son expérience.

La Gazette du Patrimoine : Êtes-vous nombreux en France à maîtriser l’art du trompe l’œil et de la fresque ?

Denis Berteau : Je n’en ai aucune idée, je travaille généralement seul, mais je sais que depuis plusieurs années de nombreuses écoles se sont ouvertes, davantage pour former des « peintres en décor » plus orientés vers les fausses matières.

La Gazette du Patrimoine : Question que nous posons à tous les artisans que nous interrogeons : enfant, vous vous imaginiez déjà en train de faire vivre les murs, ou vous vouliez être gendarme ou pompier ?

Denis Berteau : Enfant je détestais peindre un mur ou un meuble, encore moins un plafond, par contre j’adorais grimper aux arbres, ce qui est un bon apprentissage pour ne pas éprouver d’appréhension à 20m de haut sur un échafaudage. A cette époque je voulais voler et j’ai passé mon brevet de pilote privé bien avant les Arts Déco.

La Gazette du Patrimoine : Vous souvenez-vous de votre première commande et en avez-vous conservé la maquette ?

Denis Berteau : Oui, je n’étais pas encore diplômé, mais je prétendais être capable de peindre des plafonds. Le seul que j’avais alors réalisé, c’était dans les ateliers de l’école, sur une toile, ensuite suspendue au plafond pour vérifier sa bonne conception.

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Ma première commande fut celle d’un particulier pour le décor d’un plafond. Celui-ci venait tous les matins voir comment je m’y prenais. N’ayant eu aucune expérience de peinture directe à l’école, et la nuit portant conseil, j’imaginais des solutions pour installer mon matériel, protéger le sol et les murs, me repérer au plafond, reporter ma maquette… Bien entendu on n’apprenait pas ce genre de détails pratiques à l’école. depuis j’ai réalisé une cinquantaine de plafonds, presque tous directement sur place et je n’ai pas beaucoup changé ma façon de faire. J’ignore ce qu’est devenue la maquette.

La Gazette du Patrimoine : Qui sont vos clients ?

Denis Berteau : J’ai eu toutes sortes de clients. Hôtels, restaurants écoles, compagnies immobilières, compagnies d’assurances, demeures princières en Arabie, et de nombreux chantiers privés.

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La Gazette du Patrimoine : Pouvez-vous nous citer quelques réalisations figurant dans des lieux ouverts au public ?

Denis Berteau : Dans les années 90, j’ai réalisé de nombreux décors pour les hôtels en rénovation et appartenant à la compagnie Générale des eaux, dont faisait partie l’hôtel de Castille à Paris.


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Beaucoup de mes peintures ont été enlevées à l’occasion d’un nouvel aménagement, j’ignore ce qu’elles sont devenues. Il reste possible de voir en décors extérieurs : le passage Montgolfier, cartier Pirelli à saint Maurice, la cour intérieure de l’hôtel Croix de Malte, 5 rue de Malte à Paris, et l’hôtel de Castille 33-37 rue Cambon, 2 décors dont un de 175 m2, visible seulement des chambres, et un trompe l’œil d’azuléjos de 80 m2, celui de la cour intérieure du restaurant italien l’Assaggio, qui lui est accessible.

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La Gazette du Patrimoine : Existe-t-il un lieu inaccessible dans lequel vous auriez aimé laisser votre empreinte ?

Denis Berteau : Je n’y ai jamais réfléchi

La Gazette du Patrimoine : Votre plus beau souvenir professionnel ?

Denis Berteau : J’aurais du mal à déterminer quel est le plus beau, mais ça a toujours été d’abord une rencontre exceptionnelle avec un client, comme cette commande de plafond pour le grand Chef Alain Chapel que j’ai eu la chance de côtoyer pendant plus d’un mois, avec en plus le privilège de déguster tous les soirs un menu 3 étoiles. Un homme hors du commun, un chantier dans un cadre magnifique, un souvenir inoubliable.

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La Gazette du Patrimoine : Et le pire ?

Denis Berteau : Certains chantiers aurais pu très mal se terminer, comme cette chute évitée de justesse du 6eme étage d’un échafaudage à l’hôtel de Castille, en m’appuyant contre une console mal vissée. Heureusement rien n’a tourné au drame.
J’ai eu quelques moments très compliqués, comme cette cheville foulée au début d’un séjour en Arabie, en pleine période de Ramadan, m’obligeant à travailler assis la jambe allongée sur le plateau de l’échafaudage et surtout très près du plafond que je devais peindre. Le cheminement pour accéder au chantier était un vrai Calvaire.
15 jours après, en posant le même pied sur un cailloux, tout a recommencé, et le séjour a durer 5 mois et demi, avec 7 plafonds à réaliser.

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La Gazette du Patrimoine : Vous avez surtout réalisé des œuvres en France, mais également dans le monde. Parlez-nous de ces chantiers lointains.

Denis Berteau : J’ai eu l’occasion de travailler 2 fois aux USA, plusieurs fois en Allemagne, et plus d’un an passé en Arabie en plusieurs séjours, pour peindre essentiellement des plafonds et poser des décors réalisés sur toiles à l’atelier.
Les séjours à l’étranger sont souvent compliqués, car je fabrique mes propres couleurs avec des pigments, et il est naturellement impossible de s’en procurer sur place. Cela nécessite de fabriquer les quantités nécessaires, en espérant que tout se passera bien pendant le transport et le dédouanement. Aujourd’hui c’est encore plus compliqué avec les problèmes de sécurité.

Au Proche Orient, en plus des problèmes matériels s’ajoutent les difficultés à s’imposer sur d’énormes chantiers, où pressés par les délais on travaille dans une véritable ruche, avec le bruit, la poussière, la chaleur ou pire la climatisation, des échafaudages rustiques, le tout compliqué par des échanges approximatifs avec des ouvriers maitrisant souvent mal l’anglais.

Cependant je garde de très bons souvenirs de ces aventures, qui m’ont permis de faire des rencontres extraordinaires, notamment en Allemagne où j’ai eu la chance de travailler autour une piscine pour un ancien client de l’hôtel de Castille, plusieurs mois au bord du lac de Constance, dans des conditions de travail exceptionnelles, et les propriétaires sont restés de merveilleux amis.

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La Gazette du Patrimoine : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Denis Berteau : D’abord la nature, avec une prédilection pour tout ce qui tourne autour de l’eau, et une documentation sur l’œuvre de tous ces immenses artistes qui nous ont précédés depuis la préhistoire.

La Gazette du Patrimoine : À l’heure où l’impression numérique est en plein essor, pensez-vous que votre savoir- faire soit menacé ?

Denis Berteau : Oui et non, car il restera toujours des clients qui souhaitent une œuvre unique et créée spécialement pour eux, avec des liants et des pigments, et d’autres par les progrès réalisés dans l’impression numérique, permettent de s’offrir de très beaux décors pour des sommes plus modestes, mais il faudra toujours bien créer un modèle au départ.

La Gazette du Patrimoine : D’ailleurs, vous venez pour la première fois de collaborer avec un éditeur de papiers-peints, n’est-ce pas un peu « capituler devant l’ennemi » ?

Denis Berteau : Non au contraire, je continue à faire une œuvre originale, qui sera dupliquée, et je tiens à remercier la société Isidore Leroy de m’avoir fait confiance pour cette première expérience.

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La Gazette du Patrimoine : Nous vivons une période jusqu’alors inédite. Faites-vous partie des artisans fortement impactés par la situation et comment occupez-vous vos journées de confinement ?

Denis Berteau : Pas trop. Je continue à travailler chez moi pour la réalisation de maquettes, ainsi qu’à mon atelier où je travaille seul sur des tableaux.

La Gazette du Patrimoine : Si vous aviez la possibilité de remonter le temps, recommenceriez-vous cette même carrière ?

Denis Berteau : Je ne regrette pas d’avoir choisi cette carrière, je regrette seulement de n’avoir pas eu plusieurs vies pour assouvir d’autres passions, notamment pour une carrière de pilote.

La Gazette du Patrimoine : Une phrase ou une citation pour vous définir ?

Denis Berteau : Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

Crédits photographiques : Denis Berteau