Au nom de la loi
Mai 2020


L'ouverture au public des édifices cultuels :
Droit ou devoir de la commune ?

Théodore Catry


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Théodore Catry est avocat indépendant exerçant à Tours en droit public, domaine juridique qui réunit l’ensemble des contentieux entre l’administration et ses administrés. Particulièrement sensibilisé aux problématiques de préservation des paysages et des patrimoines naturel et bâti, il intervient notamment en contentieux de l’environnement et de l’urbanisme pour toute action en responsabilité ou tout recours contre des décisions et règlementations administratives susceptibles d’atteindre le justiciable dans la jouissance et l’exercice de ses droits.

Nous ne mesurons, en France, le privilège de pouvoir accéder à une si grande partie de notre patrimoine religieux que lorsqu’à l’inverse, nous éprouvons la déception de trouver porte close devant une église remarquable que nous aurions souhaité visiter. Qui, de Peppone ou de Don Camillo, est responsable de ce choix ? Est-il critiquable sur le plan juridique, notamment lorsque l’édifice fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques ? L’occasion est donnée de revenir sur le régime spécifique des bâtiments cultuels « publics », pour discerner la répartition des droits et obligations sur le bien entre propriétaire et affectataire.

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Propriété et affectation des édifices cultuels

Depuis le Concordat de 1801 et, plus tard la loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905, la loi du 2 janvier 1907 et la loi du 13 avril 1908, la majorité du patrimoine religieux français appartient aux communes. C’est plus précisément le cas pour les églises du culte catholique, conséquence du choix fait en 1905 de refuser de constituer des associations chargées de recevoir la propriété et la responsabilité des édifices cultuels.

Sans explorer davantage le détail complexe (mais non moins passionnant) de l’historique de ce régime légal, on peut, pour résumer, considérer que le patrimoine religieux appartient aux communes, sauf exceptions dont les principales sont :


Les édifices religieux appartenant aux communes sont alors affectés au culte. Cette affectation, qui est gratuite, permanente et perpétuelle, couvre à la fois le bâtiment dans son ensemble et son mobilier.

Tout ce qui ne relève pas de l’usage cultuel (tenue des célébrations, entretien, réparations courantes) est par conséquent à la charge de la commune propriétaire.

Ouverture des églises au public : existe-t-il un droit de visite ?

Comme nous l’avons observé, l’affectataire peut user librement de son édifice cultuel pour autant que cela soit relatif à la célébration du culte. Cela confère au propriétaire du bien une certaine liberté quant aux façons d’en disposer, sous réserve de ne pas remettre en cause son affectation religieuse. La commune répond ainsi d’un certain nombre de devoirs, tels que la réalisation de travaux nécessaires à la conservation de l’édifice, ou encore les obligations attachées au classement du bâtiment au titre des monuments historiques. Rappelons également que, le bien appartenant au domaine public de la commune, son propriétaire est redevable d’une obligation d’entretien à tel point que, si un usager subit un accident sur les lieux, l’insuffisance d’entretien est présumée et la commune devra prouver que le dommage est dû à une faute de la victime ou à une cause étrangère : c’est la théorie juridique du
défaut d’entretien normal de l’ouvrage public.

La collectivité propriétaire dispose en outre de droits au titre desquels elle peut, en accord avec l’affectataire, procéder à des choix d’aménagement ou envisager des utilisations du bâtiment à finalité autre que religieuse, autrement dit pour un usage non-cultuel. Aussi la commune pourra-t-elle y organiser des expositions ou des concerts, tant que le respect du libre exercice du culte est assuré.

L’ouverture de l’église à la visite figure parmi ces usages non-cultuels : il relève donc de l’initiative de la commune propriétaire.
A contrario, cela signifie que l’accès au public des édifices cultuels n’est pas une obligation. En revanche, lorsqu’une commune décide d’ouvrir le bâtiment à la visite, l’affectataire peut avoir son mot à dire. L’article L. 2124-31 du code général des collectivités territoriales soumet en effet l’ouverture au public du bâtiment à « l’accord de l’affectataire » lorsque la visite « justifie des modalités particulières d'organisation » ce qui est le cas, au fond, de la plupart des sites où le passage des visiteurs doit se concilier avec l’exercice du culte.

En matière d’accès au public, le pouvoir de l’affectataire va plus loin que la délivrance qu’un simple accord. À ce titre, le ministre du culte dispose en réalité d’un véritable « 
pouvoir de police sacerdotale » (Conseil d’État, 24 mai 1938, Abbé Thouron), au titre duquel, par exemple :

  • Il est le détenteur exclusif des clefs de l’église (Conseil d’État, 24 février 1912, Abbé Sarrelongue) ;
  • Il peut réguler les visites, voire les interdire, au cours de toute célébration religieuse ;
  • Il peut décider des modalités pratiques d’accès à l’édifice.

Une fois l’accord de l’affectataire obtenu, la commune peut donc organiser les modalités d’ouverture et établit à ce titre un règlement des visites par arrêté municipal. Le code général des collectivités territoriales laisse même entendre que l’accord en question doit être matérialisé sous une forme écrite, autrement dit un contrat, qui aura pour but d’organiser l’accès de l’église au public en le conciliant avec l’impératif de protection de l’exercice du culte. Cette matérialisation des engagements éviterait bien des contentieux lorsque l’ouverture de l’édifice à la visite soulève des problématiques sensibles, ce qui peut être le cas lorsque l’on souhaite y inclure la visite de parties de l’immeuble spécialement dédiées ou lorsque le site fait l’objet d’une fréquentation touristique massive.

Pour plus d'informations :

Maître Théodore Catry
19 Avenue de Grammont
37000 TOURS
Téléphone: 02 47 61 31 78
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tcatry@avocatatours.fr

Crédit photographique : photo de l’auteur. Église de Loix (Île de Ré).