Devoir de mémoire
Juin 2020


La mémoire en images
L'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de La Défense (ECPAD)

Laurent Veyssière
Interview réalisée par Maxime Corré
Pour
La Gazette du Patrimoine


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Laurent Veyssière est conservateur général du patrimoine. Il a occupé plusieurs postes au ministère des Armées, aux Archives nationales et à la Ville de Paris. En 2010, il reçoit la mission de créer la délégation des Patrimoines culturels au ministère des Armées dont il prend la responsabilité. En 2016, il rejoint la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale en tant que conseiller pour les Archives et le Patrimoine, avant d’en devenir le directeur général adjoint en 2017. Il est directeur de l’ECPAD depuis le 15 février 2020.

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La Gazette du Patrimoine : Si vous deviez présenter l'ECPAD de façon synthétique à quelqu'un qui ne connait pas l'établissement, que diriez-vous ?

Laurent Veyssière : L’ECPAD, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, est l’agence d’images du ministère des Armées depuis 1915. Elle conserve des collections exceptionnelles d’archives audiovisuelles et photographiques (13 millions de clichés et 36 000 titres de films). L’établissement est aujourd’hui organisé autour de trois grandes missions, en plus des fonctions supports : la production audiovisuelle, la conservation et la valorisation de ses archives et la formation aux métiers de l’image.

La Gazette du Patrimoine : Vous avez pris la direction de l’ECPAD il y a quelques mois seulement. Quel était votre profession avant cela ? Aviez-vous déjà entendu parler de cette structure si particulière ? 

Laurent Veyssière : J’étais et je suis toujours conservateur général du patrimoine. Ma prise de fonctions n’efface pas mon métier. Je pense même avoir été choisi un peu pour cela ! Il s’avère que dans ma carrière, j’ai exercé à plusieurs reprises des missions de valorisation du patrimoine écrit et audiovisuel des armées à des fins historiques ou/et mémoriels. J’ai ainsi exercé des fonctions à la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA) du ministère des Armées et à la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale. Durant mon passage en administration centrale au ministère des Armées, pendant huit ans, j’étais chargé du contrôle scientifique et technique en matière d’archives de l’ECPAD. En passant à la Mission du Centenaire, je suis devenu un client du pôle de production audiovisuelle qui assurait la captation des cérémonies et produisait des sujets audiovisuels sur la Grande Guerre. Donc, oui, je connaissais bien l’ECPAD.

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La Gazette du Patrimoine : L’ECPAD s’appelle officiellement comme tel depuis 2001. Pourtant cette institution est bien plus ancienne. Il semblerait qu’elle existe depuis 1915 sous d'autres noms. Comment expliquez-vous cette évolution ? S’est-elle faite naturellement ou a-t-elle été précipitée par le progrès technique ?

Laurent Veyssière : En effet, l’établissement a changé de noms à plusieurs reprises, en fonction des missions qui lui ont été confiées, de son rattachement institutionnel et de son statut juridique, plus qu’en raison de l’évolution technologique. Son histoire est bien entendu profondément liée à celle des conflits du xxe siècle :

1915 : en réaction à la propagande allemande et afin d'influencer l'opinion des pays neutres, sont créées conjointement la Section photographique des armées (SPA) et la Section cinématographique des armées (SCA) par les ministères de la Guerre, de l'Instruction publique et des Beaux-arts et des Affaires.

1917 : les deux sections (SPA et SCA) fusionnent en 1917 en une Section photographique et cinématographique des armées (SPCA).

1919 : la SPCA est dissoute le 10 septembre 1919.

1939 : avec la déclaration de guerre est réactivé un Service cinématographique des armées (SCA). En novembre 1940, il fuit la zone Nord occupée et s’installe à Marseille jusqu’en novembre 1942. À partir de son antenne d’Alger, le SCA s’organise pour suivre l’avancée des Alliés en Afrique du Nord, en Italie puis lors de la libération de la France et la campagne en Allemagne.

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1946 : par décret du 26 juillet 1946, le SCA devient interarmées et s’implante, à partir de 1947 au Fort d’Ivry-sur-Seine.

1961 : il est transformé en Établissement cinématographique des armées (ECA).

1969 : l’établissement devient Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA) et est rattaché au SIRPA (Service d’information et de relations publiques des armées).

2001 : le 18 avril 2001, l’ECPA devient l’actuel ECPAD (Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) et prend sa structure actuelle d’établissement public à caractère administratif. Sa tutelle est confiée à la DICOD (Direction de la communication de la Défense).


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La Gazette du Patrimoine :   Si beaucoup connaissent le métier de reporter de guerre, peu savent que des militaires sont au front avec des caméras au poing. Pouvez-vous nous parler du métier d’opérateur de l'image ? Quelle fonction remplissent-ils et quel est ce statut si particulier ?

Laurent Veyssière : Au ministère des Armées et en particulier à l’ECPAD, nous les appelons les soldats de l’image. Leurs principales missions sont aujourd’hui de fournir des images d’actualité, de documenter, à des fins opérationnelles, les missions des armées et de constituer des archives historiques. En opération extérieure, nous n’envoyons que des militaires.

Depuis 1915, ces militaires accompagnent les forces armées sur toutes les zones de guerre ou de crise, en prenant les mêmes risques, tombant même parfois à leurs côtés. De nos jours, les journalistes reporters d’images, caméramans, et photographes sont envoyés sur le terrain en équipe sous la responsabilité d’un officier « image ». Pour les autres opérations, il s’agit autant de civils que de militaires (par exemple, pour couvrir la pandémie du COVID-19).

L’arrivée du numérique a fait évoluer ce métier, avec la possibilité d’une production plus importante et une représentation plus proche des combats. Les soldats de l’image ont dès lors la possibilité de transmettre leurs productions de manière quasi instantanée et, après validation de l’état-major des armées (EMA), de voir celles-ci diffusées à la télévision ou dans la presse.

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La Gazette du Patrimoine : Du fait de l’usage des images pour les supports de communication officiels des armées, certains penseraient l’ECPAD comme un instrument potentiel de propagande. Comment faites-vous pour ne pas tomber dans ce piège ?

Laurent Veyssière : La question ne se pose pas en ces termes. L’ECPAD est un opérateur du ministère des Armées. Il répond à des missions qui lui sont confiées par le ministre ou le secrétaire d’État placé à ses côtés et il produit des images dans ce cadre. Ces images sont ensuite transmises aux différents services de communication du ministère qui décident de ce qui peut être communiqué.

L’ECPAD n’est pas un service de communication : il travaille au profit des communicants du ministère. Ce n’est pas la même chose. Arrive ensuite notre deuxième mission qui est d’archiver toutes, je dis bien toutes ces images. Les dispositions du code du patrimoine, relatives à la communication des archives publiques sont ensuite appliquées. En fonction des délais prévus par la loi, les images sont ensuite rendues publiques.

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La Gazette du Patrimoine : Les productions que vous réalisez ne sont pas seulement factuelles ou techniques. Nombre d’entre elles comprennent une dimension esthétique. Cela est assez frappant et plutôt surprenant au regard du métier de soldat. Comment expliquez-vous ce sens artistique ?

Laurent Veyssière : Cette question me fait penser à la célèbre phrase de Clemenceau : « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. » Si je vous dis que Raymond Depardon, Claude Lelouch ou Pierre Schoendoerffer, pour n’en citer que trois, ont été opérateurs image à l’ECPAD ? Me direz-vous qu’ils manquaient de sens artistique ? Pour être plus sérieux, il faut détailler l’activité et la composition du pôle de production audiovisuelle. On y trouve des professionnels formés, qu’ils soient civils ou militaires, qui réalisent des documentaires historiques, des reportages, des vidéos 3D ou 360°, en réalité augmentée, qui captent des cérémonies ou des grands événements, qui couvrent les opérations intérieures et extérieures de nos forces armées. Je vous mets au défi de distinguer celles réalisées par un soldat de celles réalisées par un civil ! En outre, ils sont également épaulés par leurs collègues, professionnel de la post-production, dont l’intervention ajoute à cette dimension esthétique : monteur-truquiste et infographiste 2D/3D, monteur vidéo et son, mixeur, étalonneur, etc.

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La Gazette du Patrimoine : Au Moyen-âge, ce sont les chroniqueurs qui relatent les conflits. Ce sont aussi eux qui composent les illustrations. Pourrait-on dire que l’ECPAD est le successeur moderne des chroniques de l’ancien temps ?

Laurent Veyssière : Ce serait une comparaison osée. Nous créons de l’image qui est utilisée par les services de communication du ministère et par les organes de presse à des fins d’information, puis par les éditeurs, producteurs, réalisateurs et chercheurs afin d’illustrer leurs projets.

Ce sont eux qui choisissent quelle image viendra soutenir leur propos. Pour notre part, nous travaillons essentiellement d’un point de vue éditorial sur l’histoire de nos collections afin de mieux les faire connaître. Depuis quelques années, l’ECPAD a moins réalisé de documentaires historiques au profit d’autres commandes ministérielles. Nous avons l’intention dans les années à venir de revenir à ce type de production. Alors, peut-être, serons-nous qualifiés de chroniqueurs !

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La Gazette du Patrimoine : Finalement, l’ECPAD n’est pas seulement une agence de production. Une partie essentielle de votre travail consiste à trier, explorer et composer avec les archives. Vous semblez être au cœur de ce devoir de mémoire dont on entend parler régulièrement...  Quel est votre rapport avec le devoir de mémoire ?

Laurent Veyssière : La particularité de cet établissement est qu’il est depuis sa création en 1915 à la fois un service de production et de conservation. Nos archives alimentent nos productions, créant ainsi un cercle vertueux. C’est ce qui fait notre particularité. L’ECPAD se verra bientôt reconnu officiellement comme un service d’archives définitives, en matière audiovisuelle, du ministère des Armées. C’est une évolution statutaire importante dans l’histoire de l’établissement.

Concernant la politique mémorielle des conflits contemporains, c’est la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives du ministère des Armées qui en est chargée réglementairement. L’ECPAD s’inscrit dans cette politique comme un acteur important, au même titre que nos amis du musée de l’Armée, du musée national de la Marine, du musée de l’Air et de l’Espace, du Service historique de la Défense ou de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Tous ces opérateurs contribuent à la fois à la politique culturelle du ministère des Armées, deuxième acteur culturel de l’Etat, et à la politique mémorielle, les deux se confondant régulièrement.


Laurent Veyssière

Directeur de l’Etablissement de communication
et de production audiovisuelle de la Défense
2 à 8 route du Fort, F-94205 Ivry-sur-Seine Cedex
01-49-60-52-01 / 06-47-65-56-93
laurent.veyssiere@ecpad.fr
www.ecpad.fr

Maxime Corré est un jeune homme de 23 ans, pur jus du terroir nantais et breton. Passionné par le patrimoine et l'histoire, il a développé un intérêt prononcé pour les Hommes du passé. Il s’intéresse surtout à leur pratiques, leurs coutumes et à leur artisanat. Aujourd'hui jeune diplômé, il aimerait intégrer le milieu de la Culture dans sa région. 

Crédits photographiques :

1/ Portrait de Laurent Veyssière
20 janvier 2020
Portrait de Laurent Veyssière, directeur de
l’ECPAD.
Réf. : 2020_PERS_001_C_001_002
©Cyrielle Sicard/ECPAD/Défense

2/ Portrait d’un soldat de l’image pendant la Seconde Guerre mondiale
4 juin 1944 – Rome (Italie)
Portrait, aux portes de Rome, de Raymond
Méjat, caméraman du SCA (Service
cinématographique de l'armée), équipé de sa
caméra Le Blay.
Réf. : TERRE 229-5165
© Jacques Belin/ECPAD/Défense


3/ Autochrome (procédé de restitution photographique des couleurs breveté le 17 décembre 1903
par les frères Auguste et Louis Lumière. C'est la première technique industrielle de photographie
couleurs, elle produit des images positives sur plaques de verre.)
2 juillet 1916 - Oise
Commencement d'idylle
Réf. : AUL 110
© Jean-Baptiste Tournassoud/ECPAD/Défense


4/ Photo d’OPEX (opération Barkhane, Mali), un peu insolite également de par sa composition
23 avril 2018 – Opération Barkhane (Mali)
Exercice d’extraction par grappe et d’une
dépose rapide du groupement commando de
montagne (GCM).
Réf. : 2018_ECPAD_014_B_076_008
©Arnaud Karaghézian/ECPAD/Défense

5/ Archive de la Première Guerre mondiale
20 juillet 1918 – Longpont (Aisne)
Opérateurs de cinéma français et américain.
Réf. : SPA 55 W 2323
©Jacques Ridel/ECPAD/Défense

6/ Archive de la Seconde Guerre mondiale
16 décembre 1939 – Dunkerque (Nord-Pas-de-
Calais)
Cargos amarrés à quai dans le port de
Dunkerque.
Réf. : MARINE 95-983
©Züber/ECPAD/Défense

7/ Archive de la Première Guerre mondiale
19 mai 1915 – Savy-Berlette (Pas-de-Calais)
Canons 77 pris a Carency le 19 mai, réparés par
nos poilus.
Réf. : SPA 1 B 1
©Paul Queste/ECPAD/Défense
8/ L’une des photos les plus anciennes de nos fonds, insolite également puisqu’il s’agit d’un
photomontage
Date : 1863
3e régiment de dragons (photomontage)
Réf. : D0140-002-001-0013
© Auteur inconnu/ECPAD/fonds André Mesple

9/ Portrait d’un soldat de l’image récent (2018)
26 juin 2018
Réf. : 9 - 2018_ECPAD_118_E_093_001
©Elise Foucaud/ECPAD/Défense

10/ Archive insolite : autochrome représentant une nature morte
2 juillet 1917 – France
Buffet composé de pain, viandes, légumes,
fruits et boissons. Sur le mur pendent des
instruments de cuisine ainsi qu'un casque
Adrian (nature morte)
Réf. : AUL 211
© Jean-Baptiste (attribué à)
Tournassoud/ECPAD/Défense