Sans Issue ?
Juin 2020

Cette rubrique est dédiée, non pas aux causes désespérées, mais plutot, aux causes désespérantes — des affaires insolubles qui mettent un peu plus en danger des patrimoines déjà fragiles.

Boisseron  : seize ans de combat pour sauver l'histoire
Espoir d'une renaissance ?

Bernard Hyacinthe


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Après des études supérieures à Paris en économie et gestion de l’entreprise, Bernard Hyacinthe intègre la Direction Générale d’une grande Banque Internationale pour faire ensuite carrière dans le réseau national. A la retraite en 2000, il accentue son activité associative en devenant Secrétaire de la Nacioun Gardiano, importante Association de Défense et Promotion de la Camargue et de sa Culture. A ce titre, il siège au Conseil du Parc Régional de Camargue. Président de Boisseron Patrimoine, Délégué Pays pour l’Est de l’Hérault de la Fondation du PATRIMOINE jusqu’en 2015. Il est le représentant de la Fondation du Patrimoine pendant un mandat à la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites CRPS du Languedoc Roussillon. Il est également Président d’une importante Association de Défense des Tauromachies et a s’est vu remettre la médaille d’Argent du bénévolat.

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Si l'on ignore les origines du château de Boisseron, ses dispositions primitives sont néanmoins connus par les plans anciens déjà évoqués jusque dans la deuxième moitié du XIXe siècle (plan masse de Bésiné pour la nouvelle église en 1856). Il conserve des parties importantes des bâtiments antérieurs à 1622 : deux corps en L de 3 niveaux, le corps principal au Sud (SE) étant situé entre les deux tours, l'une carrée, l'autre ronde.

Ce dernier porte sur sa façade Sud des traces de croisées. L'ensemble a subi de nombreuses modifications et, notamment après 1880 du fait de puissante famille d'industriels et politiques gardois, les Silhol avec, en particulier, Alfred Silhol, longtemps administrateur de la compagnie des houillères de Bessèges, président du conseil général du Gard en 1892, député et sénateur du Gard (c'est son père Joseph Edouard Emile Silhol qui avait acquis la propriété du comte de Moynier Chamborand dès 1856).


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Dans le dernier quart du XIXe siècle, il réalise un remaniement important : le château perd sa forme en U par la disparition de l'aile Est (incendie ?) : la façade Nord (NE), sur la Bénovie et largement réorientée vers le parc, est complètement réhabilitée, avec l'adjonction d'un perron avec galerie d'arcades en plein-cintre et des façades dans un style néo-classique avec frontons triangulaires, rappelant certaines réalisations nîmoises. On pense à l'architecte du Gard, Léon Feuchère, qui construit l'hôtel particulier de la famille à Nîmes, ou plus tard, à son fils Lucien.

Le parc de 5 ha qui s'étend en contrebas, sur l'autre rive de la Bénovie, possède des essences rares et variées, avec à de la même période, la plantation de plus de 30 essences d'arbres qui s'ajoutent aux arbres séculaires. On y trouve micocouliers, cyprès de l'Arizona, pins noir d'Autriche, cèdres du Liban, de l' Himalaya, érables champêtres et un remarquable chêne blanc très ancien (le parc a été entretenu par 3 générations de jardiniers de la même famille. Le dernier, Joseph Darmoube, a permis l'identification de nombreuses essences). Alfred Silhol transmet le domaine à son fils André en 1912. Le château est acheté en 1965 par une association d'anciens médaillés du sport et transformé en centre d'hébergement, ce qui contribue à achever sa dénaturation.

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A partir du XIXe siècle, sous la poussée de l'urbanisation, les constructions sortent de l'enceinte fortifiée et vont se développer le long de la RN 110 et du CD 34 avec la construction d'une mairie et ses écoles. Aujourd'hui, avec l'accroissement important de la circulation, les solutions de déviation sont mises en œuvre.

Boisseron Patrimoine : son origine, son but et ses actions

Lorsque nous avons appris en 2004 que le magnifique Château de Boisseron avait été vendu à un promoteur immobilier (CPI à Amiens) avec pour finalité un énorme projet de construction d’appartements sur le site, nous avons cherché à en savoir davantage. Inquiets par la dimension du projet, avec Francis Obert, l’Historien du Village, nous avons créé l’Association Boisseron Patrimoine le 23 Septembre 2004 (JO du 23.10.2004).

Lors de l’Assemblée Générale Constitutive, nous avions invité le Maire de l’époque afin qu’il évoque le projet et sans s’étendre il évoque, outre les démolitions de bâtiments « sans valeur historique », la construction de 75 logements maximum ? Peu enclins à croire ses affirmations, nous demandons en vain et à plusieurs reprises la consultation du Permis de construire. Nous l’obtenons enfin grâce à un recours auprès de la CADA et découvrons qu’il ne s’agit pas de 75 logements, mais de 125 avec la destruction considérable de vestiges historiques et archéologiques. Sans parler du massacre des grandes pièces du château pour faire plusieurs appartements avec mezzanine dans le grand salon voûté etc….

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Nous préparons dans la foulée les demandes de protection au titre des Monuments Historiques :

1 / De la totalité des remparts du village, dont une grande partie située sur le site du Château allait disparaitre avec le projet ainsi que les vestiges archéologiques.

2 / La protection du Pont Romain.

3 / la demande de Fouilles Archéologiques sur le site du Château sur nos indications et qui allaient être détruits par la réalisation d'immeubles après affouillement.

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Ce fut un travail considérable que nous avons fait afin d’aider la DRAC et accélérer l’examen du dossier.

La demande de protection MH des remparts a été acceptée (à l’unanimité moins 1 voix) par la CRPS, lui permettant d’être validée le 16 mai 2006, le classement du Pont Romain ayant été obtenu le 10 octobre. Précisions que la Porte Fortifiée du XII/XIIIe siècle était protégée au titre des Monuments Historiques depuis 1990

Inutile de préciser que ce fût un déchainement de rumeurs mensongères et d’attaques personnelles reprises par la Mairie.

Celle- ci portant plainte à mon encontre sur la pression du promoteur…ce qui entrainait immédiatement ma réaction par une action auprès du Procureur de la République faisant valoir mon bon droit….et l’abus de pouvoir !...

Dans ce contexte conflictuel, nous avons pris la décision d’attaquer en nullité le permis de construire délivré, qui comportait de très nombreuses irrégularités, les principales étant :

1 / Un dépassement de hauteur de construction de plus d’1 mètre.
2 / Le remblaiement en zone Rouge du PPRI de plus de 1 mètre sur une grande superficie pour la réalisation d’un parking.
3 / L’absence de fouilles archéologiques préalables et préventives comme l’impose la Loi de 2002.


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A l’époque, nous ne savions pas que nous nous lancions dans une aventure longue et semée d’embuches qui au final nous laisserait une vision négative et partiale de la justice administrative…. En première instance devant le Tribunal Administratif de Montpellier, nous avons perdu par un jugement rendu le 29 mai 2008, mais nous reconnaissons que notre dossier était un peu succinct et mal étayé. Nous avons donc saisi la Cour Administrative d’Appel de Marseille.

Pour cette instance, notre dossier était parfaitement argumenté, avec démonstrations, plans, rapport d’Expert qui démontrait parfaitement les abus, photos, etc… Contre toute attente, la Cour ne retenait que l’argumentation du promoteur en oubliant de préciser, selon ses termes, « que si l’eau atteignait le bas de caisse des véhicules garés en cas d’inondation », c’était grâce au remblaiement de plus d’un mètre en zone rouge du PPRI, ce qui est formellement interdit.

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Le 26 novembre 2010, la Cour Administrative d’Appel nous déboutait et nous condamnait. Dans ce contexte particulièrement difficile et incompréhensible qui nous laissait une piètre opinion de la justice, nous décidons d’engager un recours auprès du Conseil d’Etat. Comme nous n’avons pas les moyens financiers pour supporter le coût d’un avocat auprès du CE, nous tentons une demande d’Aide Juridictionnelle (précisons qu’en général elles ne sont pas attribuées aux associations). Grâce au dossier remis, nous l’obtenons et pensions voir enfin aboutir notre procédure.

Malheureusement et une fois de plus, nous allions faire une nouvelle découverte très surprenante — à savoir : qu’avant toute présentation de recours devant le Conseil d’Etat, il y a une audience d’admission qui décide ou non de la présentation de l’affaire. Cette décision n’est ni motivée ni susceptible d’appel et bien entendu notre cause n’a pas été admise le 15 février 2012.

Après la pluie arrive le beau temps….

Suite à notre demande de fouilles archéologiques préventives validée le 8 Avril 2005, l’INRAP sort un rapport très favorable qui entraine un arrêté préfectoral du 15 janvier 2007 (N.07/224-7045) qui interdit l’affouillement afin de conserver les vestiges découverts in situ, et la construction de parkings souterrains.

Dans ces conditions, un nouveau permis aurait dû être présenté, mais un modificatif a pris le relais. Pour notre plus grand plaisir il fut refusé pour l’ensemble des motifs que nous avions invoqués et que la justice administrative a balayé. Fort de ces éléments, j’en ai informé la Ministre de la Justice de l’époque — qui bien entendu n’a pas répondu.


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Bien qu’ayant perdu en justice, le dossier devenait de plus en plus compliqué, d’autant qu’il ne bénéficiait plus du soutien du Maire qui avait compris l’importance du Patrimoine de notre village et la nécessité de le protéger et le mettre en valeur. Nous avons mis notre association en sommeil pour la réactiver en 2019 avec un projet de signalétique des Monuments Historiques du Village.

Nous l’avons présenté en lien avec quelques élus de l’ancienne équipe mais des retards (dont nous sommes responsables) et l’approche des élections Municipales n’ont pas permis qu’il aboutisse avant cette échéance. L’équipe avec laquelle nous avons travaillé ayant été élue (le Maire actuel ayant été mon principal interlocuteur), nous pensons qu’il n’y aura pas problème pour la continuité du projet en cours et le devenir du château….

Crédits photographiques : Boisseron Patrimoine