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Beaucoup de sénonais refusaient d'y croire et pourtant, c'est arrivé. L'Hôtel de Paris et de la Poste, édifice historique et emblématique de la ville, vient d'être détruit, avec encore une fois la bénédiction des services de la culture. Une incompréhension de plus et une nouvelle exécution patrimoniale en règle. Baptiste Gateau était sur les lieux pour La Gazette du Patrimoine.


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Baptiste GATEAU, diplômé de L’École Supérieur Arts et Design Le Havre Rouen en 2016, intègre en 2018 le Master Histoire et Valorisation du Patrimoine de l’Université de Rouen Normandie, Master qu’il obtient en 2020. Fort de la formation de guide-conférencier que propose cette formation, il intervient depuis 2019 lors des visites estivales organisées par l’Office de Tourisme de Sens.


« Et voilà, on y est, » me soufflait un riverain alors que je prenais les premières photographies de la destruction de l’Hôtel de Paris et de la Poste. Un des bâtiments emblématiques de la ville de Sens disparaît dans l’« incompréhension » et face à l’ « impuissance » des habitants, ont-ils eux-mêmes affirmé. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de cet Hôtel vieux de plus de deux cents ans.




À l’origine, le bâtiment appartenait à Jean-Charles-Joseph Roullain Delaunay de Vaudricourt, chanoine de la cathédrale et personnage important de l’Église de Sens. Le quartier canonial, où est sis le bâtiment, a connu de nombreux bouleversements, notamment suite au percement de la rue Royale (actuelle rue de la République) qui amputera l’édifice de ses ailes. Devenu bien national après la Révolution, Vaudricourt rachètera son hôtel avant de le louer en 1796.



Le premier locataire, Dominique Louge, transforme le lieu en auberge qu’il nomme « À la ville de Paris. » Il achète également une maison mitoyenne et agrandit le bâtiment. Les propriétaires et aubergistes s’enchaînent ; l’hôtel sera exploité en 1812 par François-Théodore Baudoin, et ce pendant vingt-sept ans, avant d’être mis en vente en 1839. Athanase Brochot succédera à Baudoin.




C’est à cette période que l’ « Auberge de la Ville de Paris » devient l’ « Hôtel de Paris. » Suivront Messieurs Bourgeois, Bourgenot, Lemoine père et fils, qui agrandiront encore l’Hôtel en construisant sur rue Pasteur, peu avant 1900, et enfin Monsieur Roger d’Honneur. C’est sous la direction de ce dernier que l’Hôtel de Paris vit passer entre ses murs ses plus illustres visiteurs : parmi eux, la Reine d’Italie, le Sultan du Maroc, la Reine d’Espagne, le Prince de Monaco ou encore la duchesse de Chartres. Une époque qui verra de nouvelles modifications architecturales, notamment la construction d’un garage accessible par la rue Pasteur pour accueillir les premières automobiles.



Roger d’Honneur se retirera finalement en 1933 pour laisser sa place au couple Sandré qui donnera à l’établissement (n’ayons pas peur de le dire) une renommée internationale ! Précisons que c’est suite à l’installation en 1936 du bureau des PTT, qui jouxte l’Hôtel, que ce dernier pris le nom d’Hôtel de Paris et de la Poste. Parmi les spécialités de Maurice Sandré présentes au menu : l’escargot frais à la bourguignonne, le demi caneton à la vigneronne et son fameux boudin noir aux pommes dit « Boudin sénonais » ou « Champion du Monde ». Des spécialités qui ont attiré leur lot de célébrités : Charles Trenet, Jean Marais ou encore Albert Camus, qui décédera tragiquement en rentrant à Paris.



Depuis 1980, Charles Godard puis son fils Philippe, tous deux maîtres-cuisiniers, furent les derniers propriétaires de cette longue série d’aubergistes et de restaurateurs qui, depuis 1796, succédèrent à Dominique Louge. L’affaire s’achève fin 2019 après le rachat par la famille Jacot, propriétaire du groupe d’EPHAD Javonis.



Le 1er janvier 2020, l’hôtel est officiellement fermé : sa démolition, initialement prévue courant 2020, est reportée en raison de la crise sanitaire. La destruction commença le 1er avril 2021. « Nous aurions aimé croire à une farce », dirent des riverains. Il n’en fut rien. C’est le garage de la rue Pasteur qui tomba en premier. Seul un fin nuage de poussière s’échappa de la petite rue bloquée par les engins de chantier. La démolition se fit progressivement, de l’arrière du bâtiment jusqu’à la façade qui, ainsi, resta visible pendant les trois mois de chantier. Les habitants se sentirent « impuissants » devant la « lente maladie qui rongeait le bâtiment de l’intérieur ». Puis, au début du mois de juillet 2021, la façade céda finalement devant une foule de curieux, de touristes et de Sénonais attristés.



Finalement, un pan entier d’histoire de la ville de Sens disparaît (littéralement). Pourtant, les habitants étaient attachés à ce lieu. Nombreux étaient ceux à y avoir pris un repas, ne serait-ce qu’une fois. Et quand bien même, « l’Hôtel a toujours été là », assène le riverain. Dense fut la foule qui s’amassa devant les portes de l’Hôtel, en février dernier, pour faire un dernier adieu au bâtiment lors de la vente aux enchères et de la liquidation du mobilier. Parmi eux, surtout des curieux et des nostalgiques plutôt que des acheteurs potentiels. Certains partirent le regard humide et la tête basse.



On notera les efforts faits par le nouvel acquéreur afin de respecter le cahier des charges et l’implantation du bâtiment dans le quartier historique. Le nom du futur hôtel quatre étoiles, Epona, une déesse gauloise très populaire chez nos lointains ancêtres senons, n’est pas sans rappeler les place et rue Drapès, tout comme la statue de Brennus et la rue du même nom. Ces deux chefs, gaulois eux aussi, sont représentés en face de l’hôtel. Le bâtiment devra être complètement détruit pour correspondre aux « critères quatre étoiles ». Cela permettra surtout d’élever le bâtiment d’un étage et d’y installer un roof top, architecture très en vogue ces dernières années. L’aspect général de la façade sera « restitué », maigre consolation pour les amateurs de l’ancien bâtiment.



La Ville de Sens sera ainsi dotée d’un hôtel quatre étoiles, qui plus est en centre-ville ! De quoi redynamiser le centre historique de la Ville, donc ?! À moins que les centres commerciaux et les zones d’activités au nord et au sud de la Ville ne continuent de développer exclusivement leurs espaces respectifs. Les touristes qui séjourneront à l’Hôtel pourront apprécier le riche patrimoine de la Ville de Sens, ainsi que sa Grande Rue piétonne aux multiples boutiques… fermées. Peut-être à cause des grands magasins du nord et du sud. Ce schéma n’est pas propre à la cité senonaise et l’on peut l’observer dans de nombreuses villes françaises de taille moyenne. En tout cas, à Sens, pour ce bâtiment, on aurait pu espérer de la part de Ville qu’elle insiste pour une restauration, un remaniement de l’édifice plutôt que d’accepter sa démolition totale. Elle qui ces dernières années, a joliment réaménagé les quais de l’Yonne et brillamment réussi la rénovation du marché couvert datant du XIXe siècle, recevant ainsi les Rubans du Patrimoine en 2017.



La Ville de Sens va donc perdre un autre élément majeur de son patrimoine architectural et historique. Après les églises, le Palais royal, les portes et les remparts, nous, guide-conférenciers, présenterons aux visiteurs et touristes un bâtiment qui, lui aussi, n’existe plus que dans les livres et les souvenirs des Sénonais.

  • Photo du rédacteur: Alexandra Sobczak-Romanski
    Alexandra Sobczak-Romanski
  • 6 févr. 2020


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Voilà un projet de démolition qui fait grand bruit à Sens, dans le département de l’Yonne, et bien au-delà. L’Hôtel de Paris et de la Poste, haut lieu de la gastronomie et de l’hôtellerie de la ville vient d’être racheté et les nouveaux propriétaires n’ont pas l’air d’apprécier ce patrimoine du XVIIIe, jusque-là toujours fièrement debout, malgré les nombreuses guerres et autres événements tragiques de l’Histoire qui auraient pu avoir raison de lui. L’histoire justement. Quand l’on se rend sur le site internet de l’Hôtel de Paris et de la Poste des anciens propriétaires, qui n’a pas été désactivé, voici ce que l’on peut lire en première page : « L'histoire nous concerne tous et nous accompagne au fil des siècles grâce au patrimoine architectural laissé par nos ancêtres. L'Hôtel de Paris et de la Poste, situé au cœur du centre-ville de Sens, représente à lui seul une partie de l'histoire de la ville. Ancienne maison canoniale de 1776 à 1796 occupée par le chanoine de Vaudricourt, elle devient Relais de Poste sous le nom de l'Auberge de la Ville-de-Paris. À partir de 1812, l'auberge qui devient hôtel est cédée de propriétaire à propriétaire jusqu'en 1980 lorsque M. et Mme Godard rachètent l'hôtel. C'est en ces lieux qu'officie Philippe « un Godard 3ème génération », exécutant brillant d'un art culinaire entre tradition et innovation. » Visiblement, ce ne sera pas la politique des nouveaux acquéreurs. Peut-être ne savent-ils pas que le patrimoine et la gastronomie ne font qu’un et qu’un outrage au bâti est un outrage à la mémoire des hommes qui ont fait l’histoire de ce lieu.


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Par la voix du journal l’Yonne Républicaine, l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (l’UDAP) ne dit ne pas être au courant de ce projet de démolition. Pourtant, l’édifice se trouve face à l’Hôtel de Ville et à quelques mètres de la remarquable Cathédrale de Sens ; les bâtiments de France doivent donc obligatoirement se prononcer sur le sujet et donner leur accord. De leur côté, les nouveaux propriétaires affirment que toutes les demandes ont été faites dans le règles de l’art. Nous ne pouvons donc qu’attendre, impuissants, la position de l’Architecte des Bâtiments de France. Pour connaître la rigueur et les exigences des ABF du département, s’agissant de repeindre une porte, de mettre une enseigne sur un commerce ou de faire placer un petit Vélux dans ce secteur protégé, nous serions surpris que l’accord soit donné pour cette démolition. L’Hôtel de Paris et de la Poste attend donc de savoir s’il va tomber au nom d’une pseudo-modernité ou s’il va pouvoir continuer sa route au fil des siècles.

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