Il y a quelques semaines, nous avons été sollicités par le collectif SOS Barthelasse qui lutte sans relâche depuis des années contre un écocide sans précédent en Avignon.
Bien évidemment, nous avons répondu présents à leur appel et nous avons, en collaboration avec notre avocat, Maître Théodore Catry, contribué à l’enquête publique organisée autour de ce projet plus que contestable. La date de clôture de l’enquête est le jeudi 24 février, merci d’avance à tous ceux qui voudront bien ajouter leur voix à la nôtre (lien en fin d’article).
Voici notre réponse :
À Monsieur le Président de la Commission d’enquête publique
OBSERVATION À L’ENQUÊTE PUBLIQUE SUR LE PROJET RELATIF À L’ENDIGUEMENT DES ÎLES PIOT ET BARTHELASSE
L’association Urgences Patrimoine, qui lutte au quotidien contre les multiples menaces qui pèsent à la fois sur notre patrimoine bâti et naturel, entend s’associer pleinement aux nombreuses positions défavorables qui sont légitimement exprimées ici. Aucune justification économique ne peut permettre d’atteintes excessives aux intérêts environnementaux que notre droit protège, quelque soit la légitimité qu’on souhaite conférer au projet en cause. C’est bien pour cela que tant l’Autorité Environnementale régionale que le Conseil National de Protection de la Nature ont tour à tour dénoncé les carences et incohérences du dossier présenté à l’enquête publique, et que des acteurs environnementaux dont la renommée suppose une certaine légitimité à s’exprimer sur le sujet (FNE Vaucluse ou encore le président de la LPO pour ne citer qu’eux) ont eux aussi pris position contre le projet de rehaussement de digue de la Barthelasse.
Si beaucoup de contributeurs ont pu vous faire part de leur désaccord sur ce projet tel qu’il est porté, nous souhaitons attirer votre attention sur les conséquences que les nombreuses faiblesses recensées dans le dossier peuvent avoir sur le plan juridique. Vous devrez, en tant que commissaire-enquêteur, tirer toutes les conséquences de ces irrégularités qui détermineront par la suite le prononcé ou le refus de l’autorisation environnementale et de la déclaration d’utilité publique à venir.
1. Les nombreuses insuffisances, inexactitudes et omissions qui grèvent le dossier du projet d’endiguement vous ont d’ores et déjà été dénoncées à de multiples reprises.
Les faiblesses de la séquence ERC trahissent en outre le peu d’ambition d’un projet dont l’ambition ne semble pas être de concilier les intérêts en présence mais d’écraser l’intérêt environnemental au bénéfice des activités humaines.
Le principe posé par le code de l’environnement est pourtant relativement simple à comprendre : un projet doit d’abord éviter les atteintes environnementales nettes ; à défaut, atténuer ces impacts ; à défaut, les tolérer moyennant des solutions compensatoires qui rattrapent la perte nette occasionnée. Pourtant, c’est l’inverse qui semble être recherché ici : la priorité est faite au principe de compensation, sans aborder ni les raisons qui conduisent à ne pas pouvoir proposer d’évitement ou de réduction, ni le degré d’incertitude qui doit être attaché aux mesures compensatoires préconisées.
Les porteurs du projet paraissent en réalité considérer que les fonctionnalités écologiques qui se sont déployées par l’effet du temps selon un équilibre aussi subtil que remarquable pourraient être tout aussi efficacement assurées par des ouvrages de béton, des remblais ou des enrochements. Comme la vie serait simple s’il était aussi facile de singer l’œuvre de la nature !
Pêle-mêle, plusieurs carences et incohérences nous surprennent tant elles nous semblent grossières :
➢ L’absence de réalisation et d’analyse d’un scénario intermédiaire qui permettrait une conciliation des intérêts écologiques et économiques en présence, en dépit de la critique émise en ce sens par la MRAe et malgré le fait que le scénario retenu est celui qui est le plus préjudiciable parmi les scenarii présentés dans l’étude d’impact ;
➢ La réalisation d’inventaires suivant une méthodologie légère et très en-deçà des enjeux, ce qu’a relevé le Conseil National de Protection de la Nature dans son avis défavorable ;
➢ En particulier, l’absence de relevés d’état initial en période migratoire, alors que l’île se situe sur un important corridor qui relie la Méditerranée à l’Europe du Nord, ce qui réduit l’analyse du site aux seules espèces nicheuses et non à celles qui y recourent comme zone de gagnage ou halte migratoire ;
➢ L’absence de prise en compte de plusieurs espèces (chiroptères, loutre, oiseaux en migration pré et postnuptiale) dans le cadre du dossier de dérogation Espèces protégées, alors que l’île de la Barthelasse est au cœur d’un couloir de migration européen majeur ;
➢ L’absence de réponse à la suppression des fonctionnalités de la ripisylve, en dépit de son importance pour les nombreuses espèces rares d’oiseaux, de chiroptères, d’insectes, de mammifères, de reptiles et d’amphibiens qui dépendent de ce secteur ;
➢ Le fait d’excuser la destruction de 9 hectares de forêt alluviale en estimant qu’une simple replantation suffirait, alors que comme le relève justement la MRAe, cette mesure prendrait entre 20 et 30 ans pour parvenir à un niveau suffisant de compensation ;
➢ L’idée qu’un gîte artificiel de béton et quelques fascines seraient une mesure suffisante pour pallier la destruction des terriers de castors et garantir leur retour après travaux, alors que ce type d’ouvrage, encore expérimental, n’a toujours pas fait ses preuves ailleurs ;
➢ La quasi-absence d’analyse des impacts cumulés, alors qu’elle est rendue obligatoire par le code de l’environnement ;
➢ Le fait d’admettre la possibilité d’introduire des plantes envahissantes en dépit de la fragilité des espèces végétales présentes sur l’île ;
➢ Et ce parmi, hélas, bien d’autres griefs.
Cumulées, ces carences et incohérences ont nécessairement faussé la compréhension par le public des impacts réels du projet sur la biodiversité, dont le dossier présente une analyse partielle et erronée et pour laquelle il propose des mesures bien en-deçà du minimum nécessaire pour en assurer la préservation.
2. La demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées constitue, dans ce dossier, une véritable aberration. Ne serait-ce que sur le principe, le fait de solliciter le droit de d’attenter intentionnellement à la vie et aux habitats de pas moins de 62 espèces en danger fait frémir — sachant que certaines espèces, pourtant connues sur site, n’ont pas été recensées. Fort heureusement, notre droit ne permet pas de tels « permis de tuer » sous n’importe quelle condition. Le régime de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, tel qu’interprété selon la jurisprudence du Conseil d’État (CE 25 mai 2018, n° 413267), est clair : un projet d’aménagement qui est susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé que s’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur et si, auquel cas :
➢ il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
➢ cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
En l’occurrence, il est délicat de considérer la force de l’intérêt public qui serait attaché aux travaux d’endiguement, étant rappelé qu’en droit, il ne s’agit pas de faire valoir un simple intérêt général : cet intérêt n’est reconnu que lorsque l’opération en question répond à un besoin spécifique et indispensable, et se voit donc dénié lorsque ce besoin est ou peut être assuré ailleurs (CE, 30 décembre 2021, n° 439766).
C’est l’exemple typique de l’exploitation de gisements, où la dérogation Espèces protégées n’est octroyée que lorsqu’ils sont rares et représentent un intérêt économique régional voire national. Ainsi et suivant cette logique, bien des carrières (v. par ex. CAA Marseille 14 septembre 2018, n° 16MA02626), des projets commerciaux (CE, 25 mai 2018, n° 413267), des sites industriels (CE, 9 octobre 2013, n° 366803) et d’autres activités se sont ainsi vus dénier tout motif d’intérêt public majeur et n’ont pu voir le jour faute d’éviter tout risque de perturbation des espèces protégées identifiées.
À moins de répondre à une activité qui ne peut être assumée autrement ou autre part, le projet ne peut donc être considéré comme répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur.
En outre, l’arrachage de 35 000 m2 d’arbres de ripisylve et l’anéantissement de la faune (espèces présentes et habitats) comme de la flore au sein de ce périmètre compromettront inévitablement toute possibilité de maintien des espèces protégées dans un état de « conservation favorable ». Et pour cause : l’île de la Barthelasse ne sera purement et simplement plus capable d’assumer la fonction de réservoir, voire de sanctuaire de biodiversité qu’elle représentait jusqu’ici. Partant, le maintien des effectifs des espèces identifiées, qui vivent sur place ou qui présentent un besoin de circulation sur ce site (n’oublions pas que l’île constitue une halte migratoire avifaunistique au cœur du couloir qui relie le nord de l’Europe à la Méditerranée), ne pourra plus se faire dans des conditions satisfaisantes.
Quant aux solutions alternatives, elles existent et permettent des projets bien plus satisfaisants que celui-ci. L’excellent projet alternatif réalisé par le collectif SOS Barthelasse a notamment pu proposer une opération qui concilie à la fois les intérêts environnementaux et ceux attachés aux activités économiques exercées sur les lieux.
Nous espérons que votre avis, et que la position finale de l’administration décisionnaire, seront à la hauteur des enjeux et répondront aux exigences posées par le cadre légal en matière environnementale.
Pour l’association Urgences Patrimoine,
Offrez un avenir à ce patrimoine en participant vous aussi à l’enquête publique ICI.
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