Sauvons lâIle de la Barthelasse : urgence enquĂȘte publique
- Alexandra Sobczak
- 21 févr. 2022
- 6 min de lecture
Il y a quelques semaines, nous avons été sollicités par le collectif SOS Barthelasse qui lutte sans relùche depuis des années contre un écocide sans précédent en Avignon.
Bien Ă©videmment, nous avons rĂ©pondu prĂ©sents Ă leur appel et nous avons, en collaboration avec notre avocat, MaĂźtre ThĂ©odore Catry, contribuĂ© Ă lâenquĂȘte publique organisĂ©e autour de ce projet plus que contestable. La date de clĂŽture de lâenquĂȘte est le jeudi 24 fĂ©vrier, merci dâavance Ă tous ceux qui voudront bien ajouter leur voix Ă la nĂŽtre (lien en fin dâarticle).
Voici notre réponse :
Ă Monsieur le PrĂ©sident de la Commission dâenquĂȘte publique
OBSERVATION Ă LâENQUĂTE PUBLIQUE SUR LE PROJET RELATIF Ă LâENDIGUEMENT DES ĂLES PIOT ET BARTHELASSE
Lâassociation Urgences Patrimoine, qui lutte au quotidien contre les multiples menaces qui pĂšsent Ă la fois sur notre patrimoine bĂąti et naturel, entend sâassocier pleinement aux nombreuses positions dĂ©favorables qui sont lĂ©gitimement exprimĂ©es ici. Aucune justification Ă©conomique ne peut permettre dâatteintes excessives aux intĂ©rĂȘts environnementaux que notre droit protĂšge, quelque soit la lĂ©gitimitĂ© quâon souhaite confĂ©rer au projet en cause. Câest bien pour cela que tant lâAutoritĂ© Environnementale rĂ©gionale que le Conseil National de Protection de la Nature ont tour Ă tour dĂ©noncĂ© les carences et incohĂ©rences du dossier prĂ©sentĂ© Ă lâenquĂȘte publique, et que des acteurs environnementaux dont la renommĂ©e suppose une certaine lĂ©gitimitĂ© Ă sâexprimer sur le sujet (FNE Vaucluse ou encore le prĂ©sident de la LPO pour ne citer quâeux) ont eux aussi pris position contre le projet de rehaussement de digue de la Barthelasse.
Si beaucoup de contributeurs ont pu vous faire part de leur dĂ©saccord sur ce projet tel quâil est portĂ©, nous souhaitons attirer votre attention sur les consĂ©quences que les nombreuses faiblesses recensĂ©es dans le dossier peuvent avoir sur le plan juridique. Vous devrez, en tant que commissaire-enquĂȘteur, tirer toutes les consĂ©quences de ces irrĂ©gularitĂ©s qui dĂ©termineront par la suite le prononcĂ© ou le refus de lâautorisation environnementale et de la dĂ©claration dâutilitĂ© publique Ă venir.
1. Les nombreuses insuffisances, inexactitudes et omissions qui grĂšvent le dossier du projet dâendiguement vous ont dâores et dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©es Ă de multiples reprises.
Les faiblesses de la sĂ©quence ERC trahissent en outre le peu dâambition dâun projet dont lâambition ne semble pas ĂȘtre de concilier les intĂ©rĂȘts en prĂ©sence mais dâĂ©craser lâintĂ©rĂȘt environnemental au bĂ©nĂ©fice des activitĂ©s humaines.
Le principe posĂ© par le code de lâenvironnement est pourtant relativement simple Ă comprendre : un projet doit dâabord Ă©viter les atteintes environnementales nettes ; Ă dĂ©faut, attĂ©nuer ces impacts ; Ă dĂ©faut, les tolĂ©rer moyennant des solutions compensatoires qui rattrapent la perte nette occasionnĂ©e. Pourtant, câest lâinverse qui semble ĂȘtre recherchĂ© ici : la prioritĂ© est faite au principe de compensation, sans aborder ni les raisons qui conduisent Ă ne pas pouvoir proposer dâĂ©vitement ou de rĂ©duction, ni le degrĂ© dâincertitude qui doit ĂȘtre attachĂ© aux mesures compensatoires prĂ©conisĂ©es.
Les porteurs du projet paraissent en rĂ©alitĂ© considĂ©rer que les fonctionnalitĂ©s Ă©cologiques qui se sont dĂ©ployĂ©es par lâeffet du temps selon un Ă©quilibre aussi subtil que remarquable pourraient ĂȘtre tout aussi efficacement assurĂ©es par des ouvrages de bĂ©ton, des remblais ou des enrochements. Comme la vie serait simple sâil Ă©tait aussi facile de singer lâĆuvre de la nature !
PĂȘle-mĂȘle, plusieurs carences et incohĂ©rences nous surprennent tant elles nous semblent grossiĂšres :
âąÂ  Lâabsence de rĂ©alisation et dâanalyse dâun scĂ©nario intermĂ©diaire qui permettrait une conciliation des intĂ©rĂȘts Ă©cologiques et Ă©conomiques en prĂ©sence, en dĂ©pit de la critique Ă©mise en ce sens par la MRAe et malgrĂ© le fait que le scĂ©nario retenu est celui qui est le plus prĂ©judiciable parmi les scenarii prĂ©sentĂ©s dans lâĂ©tude dâimpact ;
âąÂ  La rĂ©alisation dâinventaires suivant une mĂ©thodologie lĂ©gĂšre et trĂšs en-deçà des enjeux, ce quâa relevĂ© le Conseil National de Protection de la Nature dans son avis dĂ©favorable ;
âąÂ  En particulier, lâabsence de relevĂ©s dâĂ©tat initial en pĂ©riode migratoire, alors que lâĂźle se situe sur un important corridor qui relie la MĂ©diterranĂ©e Ă lâEurope du Nord, ce qui rĂ©duit lâanalyse du site aux seules espĂšces nicheuses et non Ă celles qui y recourent comme zone de gagnage ou halte migratoire ;
âąÂ  Lâabsence de prise en compte de plusieurs espĂšces (chiroptĂšres, loutre, oiseaux en migration prĂ© et postnuptiale) dans le cadre du dossier de dĂ©rogation EspĂšces protĂ©gĂ©es, alors que lâĂźle de la Barthelasse est au cĆur dâun couloir de migration europĂ©en majeur ;
âąÂ  Lâabsence de rĂ©ponse Ă la suppression des fonctionnalitĂ©s de la ripisylve, en dĂ©pit de son importance pour les nombreuses espĂšces rares dâoiseaux, de chiroptĂšres, dâinsectes, de mammifĂšres, de reptiles et dâamphibiens qui dĂ©pendent de ce secteur ;
âąÂ  Le fait dâexcuser la destruction de 9 hectares de forĂȘt alluviale en estimant quâune simple replantation suffirait, alors que comme le relĂšve justement la MRAe, cette mesure prendrait entre 20 et 30 ans pour parvenir Ă un niveau suffisant de compensation ;
âąÂ  LâidĂ©e quâun gĂźte artificiel de bĂ©ton et quelques fascines seraient une mesure suffisante pour pallier la destruction des terriers de castors et garantir leur retour aprĂšs travaux, alors que ce type dâouvrage, encore expĂ©rimental, nâa toujours pas fait ses preuves ailleurs ;
âąÂ  La quasi-absence dâanalyse des impacts cumulĂ©s, alors quâelle est rendue obligatoire par le code de lâenvironnement ;
âąÂ  Le fait dâadmettre la possibilitĂ© dâintroduire des plantes envahissantes en dĂ©pit de la fragilitĂ© des espĂšces vĂ©gĂ©tales prĂ©sentes sur lâĂźle ;
âąÂ  Et ce parmi, hĂ©las, bien dâautres griefs.
Cumulées, ces carences et incohérences ont nécessairement faussé la compréhension par le public des impacts réels du projet sur la biodiversité, dont le dossier présente une analyse partielle et erronée et pour laquelle il propose des mesures bien en-deçà du minimum nécessaire pour en assurer la préservation.
2. La demande de dĂ©rogation Ă lâinterdiction de destruction dâespĂšces protĂ©gĂ©es constitue, dans ce dossier, une vĂ©ritable aberration. Ne serait-ce que sur le principe, le fait de solliciter le droit de dâattenter intentionnellement Ă la vie et aux habitats de pas moins de 62 espĂšces en danger fait frĂ©mir â sachant que certaines espĂšces, pourtant connues sur site, nâont pas Ă©tĂ© recensĂ©es. Fort heureusement, notre droit ne permet pas de tels « permis de tuer » sous nâimporte quelle condition. Le rĂ©gime de lâarticle L. 411-1 du code de lâenvironnement, tel quâinterprĂ©tĂ© selon la jurisprudence du Conseil dâĂtat (CE 25 mai 2018, n° 413267), est clair : un projet dâamĂ©nagement qui est susceptible dâaffecter la conservation dâespĂšces animales ou vĂ©gĂ©tales protĂ©gĂ©es et de leurs habitats ne peut ĂȘtre autorisĂ© que sâil rĂ©pond Ă une raison impĂ©rative dâintĂ©rĂȘt public majeur et si, auquel cas :
âąÂ  il nâexiste pas dâautre solution satisfaisante ;
âąÂ  cette dĂ©rogation ne nuit pas au maintien, dans un Ă©tat de conservation favorable, des populations des espĂšces concernĂ©es dans leur aire de rĂ©partition naturelle.
En lâoccurrence, il est dĂ©licat de considĂ©rer la force de lâintĂ©rĂȘt public qui serait attachĂ© aux travaux dâendiguement, Ă©tant rappelĂ© quâen droit, il ne sâagit pas de faire valoir un simple intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral : cet intĂ©rĂȘt nâest reconnu que lorsque lâopĂ©ration en question rĂ©pond Ă un besoin spĂ©cifique et indispensable, et se voit donc dĂ©niĂ© lorsque ce besoin est ou peut ĂȘtre assurĂ© ailleurs (CE, 30 dĂ©cembre 2021, n° 439766).
Câest lâexemple typique de lâexploitation de gisements, oĂč la dĂ©rogation EspĂšces protĂ©gĂ©es nâest octroyĂ©e que lorsquâils sont rares et reprĂ©sentent un intĂ©rĂȘt Ă©conomique rĂ©gional voire national. Ainsi et suivant cette logique, bien des carriĂšres (v. par ex. CAA Marseille 14 septembre 2018, n° 16MA02626), des projets commerciaux (CE, 25 mai 2018, n° 413267), des sites industriels (CE, 9 octobre 2013, n° 366803) et dâautres activitĂ©s se sont ainsi vus dĂ©nier tout motif dâintĂ©rĂȘt public majeur et nâont pu voir le jour faute dâĂ©viter tout risque de perturbation des espĂšces protĂ©gĂ©es identifiĂ©es.
Ă moins de rĂ©pondre Ă une activitĂ© qui ne peut ĂȘtre assumĂ©e autrement ou autre part, le projet ne peut donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme rĂ©pondant Ă une raison impĂ©rative dâintĂ©rĂȘt public majeur.
En outre, lâarrachage de 35 000 m2 dâarbres de ripisylve et lâanĂ©antissement de la faune (espĂšces prĂ©sentes et habitats) comme de la flore au sein de ce pĂ©rimĂštre compromettront inĂ©vitablement toute possibilitĂ© de maintien des espĂšces protĂ©gĂ©es dans un Ă©tat de « conservation favorable ». Et pour cause : lâĂźle de la Barthelasse ne sera purement et simplement plus capable dâassumer la fonction de rĂ©servoir, voire de sanctuaire de biodiversitĂ© quâelle reprĂ©sentait jusquâici. Partant, le maintien des effectifs des espĂšces identifiĂ©es, qui vivent sur place ou qui prĂ©sentent un besoin de circulation sur ce site (nâoublions pas que lâĂźle constitue une halte migratoire avifaunistique au cĆur du couloir qui relie le nord de lâEurope Ă la MĂ©diterranĂ©e), ne pourra plus se faire dans des conditions satisfaisantes.
Quant aux solutions alternatives, elles existent et permettent des projets bien plus satisfaisants que celui-ci. Lâexcellent projet alternatif rĂ©alisĂ© par le collectif SOS Barthelasse a notamment pu proposer une opĂ©ration qui concilie Ă la fois les intĂ©rĂȘts environnementaux et ceux attachĂ©s aux activitĂ©s Ă©conomiques exercĂ©es sur les lieux.
Nous espĂ©rons que votre avis, et que la position finale de lâadministration dĂ©cisionnaire, seront Ă la hauteur des enjeux et rĂ©pondront aux exigences posĂ©es par le cadre lĂ©gal en matiĂšre environnementale.
Pour lâassociation Urgences Patrimoine,
Offrez un avenir Ă ce patrimoine en participant vous aussi Ă lâenquĂȘte publique ICI.




