Le patrimoine industriel est de plus en plus protégé, mais pas vraiment partout. Dans ce cas précis, cette « cathédrale industrielle » identifiée comme patrimoine remarquable, est la prochaine victime de la promotion immobilière dans les Hauts-de-France.
Pourtant, ses volumes pouvaient donner lieu à un projet de réhabilitation ambitieux, mais la ville estime que l’édifice est « trop grand ». À l’heure où tout le monde se préoccupe de la question de l’écologie, ce sont des tonnes de déchets qui devront être traitées. Nous n’avons qu’un mot à dire : « affligeant ».
L’association Le Non-Lieu nous invite à la réflexion :
« Le problème avec les usines c’est que ça fait des logements trop grands… »
Service urbanisme de la ville de Tourcoing –––––––––
Nous espérions un peu naïvement qu’après la démolition de 50000m2 de l’usine Masurel, la ville de Tourcoing procéderait avec plus de délicatesse pour ses sites industriels emblématiques restant… Hélas, nous découvrons avec stupeur il y a quelques semaines un permis de démolition TOTALE affiché sur l’ancienne usine Jules Desurmont & Fils. 20000m2 de cathédrale industrielle au caractère patrimonial remarquable vont à leur tour disparaître du paysage urbain tourquennois.
Une fois encore ce sont les besoins impérieux en logements qui motivent cette action et ce sont plusieurs centaines d’appartements qui pousseront sur le foncier restant de l’usine Desurmont.
Alléchés par la politique de renouvellement urbain et celle, louable au demeurant, de moindre artificialisation des sols, les promoteurs et la ville investissent les emprises foncières des usines à l’abandon pour y construire des habitations très densément groupées et, la plupart du temps, à la qualité architecturale très discutable.
Pourquoi donc ne pas réhabiliter ces usines-châteaux qui se prêtent généralement bien aux changements de destinations ? Les exemples sur la métropole ne manquent pas : l’ancienne usine Vanoutryve devenue Plaine Images (Roubaix-Tourcoing), la filature Leblan / Lafont aujourd’hui Euratechnologies (Lille), ou encore les nombreux hôtels d’entreprise de Roubaix (Roussel, Cavrois-Mahieu, Lepoutre) …
Quelles raisons empêchent donc ville et promoteurs d’envisager une réhabilitation même partielle du site Desurmont ? Est-ce donc impossible ? Trop pollué ? pas rentable ? Non ! A priori, selon la ville c’est juste plus compliqué : cela impliquerait des logements trop grands et trop profonds et l’usine Desurmont, pourtant reconnue édifice remarquable (dans l’ancienne ZPPAUP devenue SPR de la ville de Tourcoing, tout comme l’usine Masurel qui vient de subir de graves dommages), ne possèderait pas de « qualités patrimoniales suffisantes » (sic).
Les arguments sont pourtant nombreux pour contester cette façon finalement anachronique d’envisager le patrimoine et de faire de l’urbanisme.
Nombreux sont les exemples d’anciennes villes industrielles capitalisant sur leur patrimoine pour bâtir un marketing territorial solide et attractif. Berlin, Liverpool, Duisbourg ou encore Gand jouent de l’attrait dont bénéficie le patrimoine industriel pour constituer une image de métropoles dynamiques et ancrées dans leur époque. Cette contemporanéité se trouve souvent enrichie par l’adjonction de gestes architecturaux rendus possibles par la résilience des bâtiments industriels.
De nouveaux paysages urbains mêlant habilement modernité et patrimoine attirent une population mixte et de jeunes entreprises créatives. La ville de Tourcoing ne devrait-elle pas elle aussi s’appuyer sur la richesse de son patrimoine bâti pour développer une nouvelle image, au lieu de systématiquement le mettre à bas pour construire de nouveaux logements dont le coût environnemental reste à définir ?
Cette considération est d’autant plus importante que s’il est aujourd’hui indispensable de limiter l’artificialisation des sols, négliger l’impact carbone des constructions neuves serait préjudiciable à une politique urbaine cohérente et responsable.
Le bâtiment est en France le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effets de serre et la phase de construction représente 60% de l’empreinte carbone d’une construction neuve. C’est d’ailleurs la réalisation de l’enveloppe du bâtiment qui constitue la part la plus notable de l’empreinte carbone. Si l’on ajoute à cela la phase de démolition il est indispensable aujourd’hui d’envisager la réhabilitation de nos usines comme une nécessité et non comme une option de seconde zone.
L’exemple de Desurmont & Fils est donc paradigmatique d’une façon de faire la ville qui privilégie la vue à court terme et néglige tant l’identité de nos cités que les enjeux environnementaux contemporains.
Il met en avant le peu d’imagination et le peu de volonté de certains élus qui confondent défense du patrimoine et postures nostalgiques. Il met aussi en lumière la place de plus en plus importante des promoteurs dans la fabrication de la ville. Face à cette gabegie, une réaction citoyenne s’impose.
Olivier Muzellec -Swan Cazaux
Association Le Non-Lieu
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