Pourquoi la chapelle Saint-Joseph va-t-elle être démolie ?

Depuis le 7 novembre, date à laquelle nous avons appris que le ministère de la culture rejetait la demande de mise sous protection d’urgence de la chapelle Saint-Joseph, nous n’avons eu de cesse que de nous mobiliser pour la sauvegarde de cet édifice, comme nous l’avions fait au printemps, ce qui nous avait conduit à la suspension de la démolition par le ministre de l’époque Franck Riester, dont nous saluons encore la décision.


Hélas, autres temps autres mœurs, la chapelle n’a pas l’air du goût de notre nouvelle ministre, alors que nous misions beaucoup d’espoirs sur sa nomination. Est-ce sa proximité avec madame la maire de Lille, qui a signé le permis de démolir qui lui a fait prendre la décision de refuser le classement, ou est-ce vraiment parce que l’édifice ne mérite pas d’être sauvé ? Nous ne le saurons jamais.

Ce que nous savons en revanche c’est que le demandeur du permis a tout fait dans les règles de l’art, ou presque et que nous n’avons rien à lui reprocher, à part cette obsession à vouloir faire disparaître la petite sœur du Palais Rameau, née du même architecte que ce dernier et qui lui faisait parfaitement écho.

Ce qui nous pose problème, ce sont les préconisations de l’Architecte des Bâtiments de France qui, comme la chapelle est dans un périmètre protégé, devait délivrer un avis conforme pour valider le permis de démolir.

À l’époque où le projet avait été à peine suggéré, des voix s’étaient élevées au sein même de la Direction Régionale des Affaires Culturelles contre la démolition de la chapelle, mais lors de l’instruction du dossier, la personne qui en a eu la charge s’est orientée vers un avis bien différent, condamnant ainsi l’édifice.

Si les préconisations étaient fondées et surtout argumentées, nous ne serions sans doute pas en train de mener ce combat.

Or, sacrifier le patrimoine sans motif avéré nous semble inconcevable.

Voici les préconisations. Nous avons volontairement masqué le nom de l’ABF et celui du demandeur :


En premier lieu, nous pouvons observer les regrets de l’ABF quand à la démolition de l’édifice. Cela ne l’empêche pas d’argumenter sa décision avec la sempiternelle « excuse » des désordres de structure. Or, aucune étude n’a été réalisée qui attesterait de ces désordres structurels et les nombreux professionnels du patrimoine, Étienne Poncelet en tête, n’ont constaté aucun désordre irréversible. Certes, les sols ont besoin d’une reprise, mais la chapelle Saint-Joseph tient bien debout. Quant aux flaques d’eau que l’on voit sur certaines photographies, elles sont dues au fait qu’une fenêtre de toit n’a jamais été fermée depuis des années.

Certes pour s’assurer un bel avenir, il faudrait faire des travaux mais comme pour n’importe quel édifice qui n’a pas été entretenu depuis plus de 20 ans.

Donc, les avis des experts sont unanimes : l’argument des désordres n’est pas recevable, comme le confirme ce communiqué d’Étienne Poncelet.


Sa désaffectation ? C’est bien parce que l’édifice est désaffecté qu’il est aisé de l’inclure dans l’ensemble du projet.

Les besoins liés à l’évolution de l’enseignement ? Ah bon, parce qu’au Palais Rameau il n’y a pas de travaux d’aménagement pour les besoins liés à l’enseignement ?


De toutes les façons, « qui veut tuer son chien l’accuse de la rage », c’est bien connu. Donc, avec ou sans argument, le but étant de donner sa bénédiction pour la démolition, pourquoi l’ABF aurait-elle fait des efforts de rédaction ? La seule question que nous nous posons aujourd’hui est : à quand un contrôle poussé des services de la culture lorsqu’il s’agit de délivrer un avis favorable à un projet de démolition dans un périmètre protégé ? Pas pour notre pauvre chapelle Saint-Joseph en tout cas. Nous espérons que lorsque tous ceux qui ont besoin d’un avis favorable pour repeindre leurs volets auront à faire à un ABF aussi peu regardant.

Quant aux autres préconisations :

- Vitraux démontés en conservation : d’accord, mais pour les mettre où, en faire quoi ?

Nous savons que celui représentant le Christ derrière le Maître Autel sera intégré dans la chapelle du campus (théoriquement), mais quant aux autres ?

S’il s’agit juste de les déposer pour les entreposer quelque part et pour les « oublier », autant les détruire car cela reviendra au même. Reste l’espoir d’une vente, car pour récupérer quelques écus sonnants et trébuchants, la Catho est championne du monde.

D’ailleurs, si dans le programme universitaire il y a un module « à tous les coups l’on gagne », nous voulons bien suivre quelques cours. Nous ignorons combien l’orgue a été vendu à une association Autrichienne, mais en revanche nous savons qu’une paroisse voisine qui était dépourvue d’instrument s’était proposée pour le récupérer, mais elle ne devait pas être assez riche. Nous n’irons pas non plus sur le terrain glissant de L’Évangéliaire de Saint-Mihiel, ouvrage inestimable mis en vente par la Catho qui n’a pas pu sortir du territoire grâce à l’intervention de l’ancien ministre de la culture, qui l’a fait classer « bien national » le privant ainsi d’un éventuel acquéreur étranger.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ignorons si celui-ci a été vendu ou si les tractations sont toujours en cours.

-Certaines peintures : alors là nous en perdons notre latin car « certaines peintures », cela ne veut absolument rien dire. Combien y en a-t-il ? Où se trouvent-elles (pas dans la chapelle dans tous les cas). Qui en sont les auteurs ? Toutes nos questions resteront sans réponse et sans inventaire précis, de nombreuses œuvres seront sans doute perdues (peut-être pas pour tout le monde).


Enfin, dernière préconisation : la conservation du gymnase rue Colson qui « ne devra pas être touché par les interventions sur les bâtiments collatéraux.


Nous nous trompons peut-être sur ce point, mais après avoir interrogé certaines personnes qui connaissent bien les lieux, il semblerait que le gymnase fasse partie des bâtiments démolis comme l’indique ce plan.

Dans le projet, seul le théâtre est conservé comme Yncréa l’indique sur l’affichage public du permis de démolir.


Enfin, nous regretterons que l’ABF ne fasse pas mention des tapisseries, dont une partie était encore récemment installée dans la chapelle. Quant au bas-relief représentant la Cène, la stèle d’inauguration avec le nom des principaux donateurs et les éléments architecturaux des chapelles, ils serviront vraisemblablement de goûter aux pelleteuses.

Mais comme le dit si bien notre ministre de la culture, « on ne peut pas tout conserver ».

Résumons : à cause, ou grâce à cet avis de l’ABF (cela dépend si l’on est du côté du patrimoine ou des démolisseurs), la chapelle a été condamnée.

Dans plusieurs articles de presse, Yncréa se positionne en défenseur du patrimoine en argumentant que 25% de leurs investissements sont consacrés aux réhabilitations.
Nous voulons bien l’entendre, mais précisons tout de même qu’ils sont bien aidés, car si l’allusion est faite au Palais Rameau, n’oublions pas que celui-ci est classé Monument Historique et donc éligible aux subventions de l’État. La chapelle de la Catho, quant à elle, a la chance de bénéficier du soutien de grandes entreprises de la région, mais aussi de la générosité publique, puisqu’une souscription de la Fondation du Patrimoine avait été lancée parallèlement à l’appel aux dons initié par la Fondation de la Catho.

Nous avons un peu de mal à comprendre pourquoi les généreux donateurs ne se sont pas opposés à la démolition de la chapelle Saint-Joseph. En fait si, nous savons, car le discours récurrent de certains d’entre eux est  « qu’il faut savoir regarder vers l’avenir et que, Saint-Joseph, c’est du passé. »

Pourtant, quand nous nous rendons sur le site internet de l’Université Catholique au sujet de la chapelle qui est en cours de restauration voici l’argumentaire :

« Au coeur du campus de l’Université catholique de Lille, la chapelle rénovée sera un lieu d’inspiration et d’innovation ouvert à tous. En 1875, au coeur de la révolution industrielle, Philibert Vrau décide d’apporter une réponse innovante aux profonds bouleversements que connaît la jeunesse de son époque et devient, aux côtés d’autres entrepreneurs de la région, un acteur décisif de la fondation de l’Université catholique de Lille. En 2018, soit plus de 140 ans après sa fondation, c’est toujours en alliant tradition et innovation que la Catho accompagne les jeunes générations dans une ère de changements fulgurants et de défis multiples. Renforcer la place des démarches d’innovation constitue un axe majeur du nouveau mandat du Président-Recteur, notamment en offrant des espaces physiques et symboliques pour associer la société civile, les entreprises, les collectivités ou les acteurs du quartier à la formation des étudiants.

Lire le document dans son intégralité 
ICI.

Et la chapelle Saint-Joseph, elle ne pouvait pas être rénovée pour être un lieu d’inspiration et d’innovation ouvert à tous ? Allier tradition et innovation cela fonctionne pour l’une et pas pour l’autre ? En fait, c’est comme si, dans une famille avec deux enfants, on en tue un sous prétexte qu’on ne sait pas trop quoi faire du second. Oui, la comparaison est un peu extrême, mais nous ne sommes pas loin de la vérité. Car pour les habitants du quartier, la chapelle Saint-Joseph et le Palais Rameau faisaient partie de la même famille, celle de l’architecte Auguste Mourcou qui au moment de sa construction en 1886 ne se doutait pas que sa « famille » allait être endeuillée.


Enfin, si nous n’arrivons pas à sauver la chapelle, nous ne sauverons pas Urgences Patrimoine non plus, car il est évident qu’aucun mécène de la Catho ne deviendra mécène de ceux qui depuis des mois les empêchent de mener à bien ce grand projet.



Allez mesdames et messieurs, un peu de compassion. Non pas pour les défenseurs du patrimoine, mais bel et bien pour la chapelle Saint-Joseph que tout le monde pleurera le jour où elle tombera. Cela dit, le jour de la démolition, tous les médias nationaux seront présents et alors ce sera une belle page de publicité gratuite pour l’Université Catholique de Lille et pour tous ceux qui la soutiennent.

En attendant ce jour notre pétition rassemble plus de 11.000 signatures et si vous n’avez pas encore signé, c’est le moment de dire Non à la démolition de la chapelle Saint-Joseph.

N’oubliez pas qu’il est inutile de faire un don à la plateforme de pétition comme elle vous invite à le faire 
ICI.

En revanche, vous pouvez faire un don à Urgences Patrimoine pour couvrir les frais de notre recours en justice et soutenir notre action en faveur de la chapelle. D’avance merci  de cliquer
ICI.

La Gazette du Patrimoine compte sur vous ! Afin de rester libre et indépendante, notre publication ne bénéficie d’aucune subvention publique et ne peut s’appuyer que sur la générosité de ses lecteurs.

Merci pour votre soutien. Cliquez ICI pour faire un don.

Crédits photographiques
Photo 1 : photomontage Jean-David Desforges
Photo 7 : Copie d’écran site Fondation Catho Lille
Photos 2 à 6 :
La Gazette du Patrimoine