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  • Photo du rédacteur: Alexandra Sobczak
    Alexandra Sobczak
  • 17 mai 2022

Depuis la création d’Urgences patrimoine en 2014, nous avons vu se succéder pas moins de six Ministres de la Culture, et bientôt sept. Inutile d’être fort en maths pour se rendre compte que leur mandat dure, la plupart du temps, moins de deux ans.



Comment mener alors une politique ambitieuse et pertinente tant les sujets à traiter sont variés ? Comment en moins de deux ans peut-on s’occuper du spectacle vivant, de la danse, du livre, des artistes, des intermittents du spectacle, du patrimoine et de tant d’autres sujets ? Même le meilleur des meilleurs ne pourra pas faire de miracle dans un laps de temps aussi réduit.



Certains ont néanmoins réussi mieux que d’autres, mais beaucoup ont été quasi inexistants, attendant juste le suivant.




Concernant le sujet qui nous occupe, nous n’oublierons pas les nombreux édifices perdus durant ces huit années et nos combats perdus qui laissent un goût amer. Notre premier combat contre la démolition de l’Hôtel du Parc à Saint-Honoré-Les-Bains, nous l’avons mené sous le « règne » de Fleur Pellerin qui avait pour habitude de ne pas ouvrir un dossier. Pourtant, alors que nous étions totalement inconnus, Jack Lang s’était fait l’avocat de notre cause, mais elle n’a jamais répondu.



À Françoise Nyssen, nous devons la perte du Château de Lagny-Le-Sec. Certes, nous avions été alertés un peu tard, mais elle aurait pu changer le cour de l’Histoire.



Elle ne l’a pas fait s’appuyant sur l’argument que tous utilisent : « l’ABF a émis un avis favorable, l’édifice n’étant pas assez remarquable ». Cet argument, nous n’avons jamais cessé de l’entendre s’agissant d’un édifice du XIXe.




Comme il faut de temps en temps une note positive, saluons le courage de Franck Rieste : même s’il n’aura pas laissé un souvenir impérissable en termes de politique patrimoniale, c’est tout de même pendant son mandat que fut lancé le loto du patrimoine sous l’impulsion de Stéphane Bern. Nous persistons à dire que ce loto n’a pas que du bon, mais il a le mérite d’être la manne providentielle pour quelques édifices et c’est mieux que rien. En ce qui nous concerne, nous garderons le souvenir de sa volonté de vouloir sauver la chapelle Saint-Joseph à Lille, puisque seulement 15 jours après notre intense mobilisation, il avait dit « stop » au projet de démolition. Nous y avions cru, mais c’était sans compter sur le remaniement ministériel et l’arrivée de Roselyne Bachelot, alias « Démolition Woman ».



Pourtant, naïvement, nous avions été heureux de sa nomination. Nous avons très vite déchanté, regrettant même les différents ministres qui s’étaient montrés peu réceptifs à la cause du patrimoine, car, parfois, il est mieux de ne rien faire que de faire mal. Jamais depuis nos huit ans d’existence, nous ne nous étions retrouvé face à un Ministre méprisant à ce point le patrimoine des territoires. Sa politique patrimoniale se résume en 3 mots : « les grands opérateurs » — parisiens de préférence. Nous n’oublierons jamais sa petite phrase lors d’une audition au Sénat : « L’opéra Garnier est à Paris, pas à Montauban ». Nous n’oublierons pas non plus le zéro euro en faveur du patrimoine non protégé du plan « relance culture » doté tout de même de 614 millions d’euros. Preuve incontestable de son mépris pour les petits édifices qui pourtant participent grandement au rayonnement de nos territoires. Enfin, nous n’oublierons jamais le bruit assourdissant des pelleteuses grignotant « notre » chapelle Saint-Joseph. « Pas assez remarquable » fut encore l’argument pour justifier ce patrimonicide.



Mais la Ministre a rajouté un nouvel argument pour accélérer les démolitions : « c’est en trop mauvais état ».



Désormais, même les édifices protégés risquent de tomber avec la bénédiction du ministère, car les élus démolisseurs vont se faire un plaisir d’en user et d’en abuser pour mener leur politique de « tabula rasa ». Précisons que, bien heureusement, il y a des élus soucieux de la sauvegarde du patrimoine de leur commune, mais les obsédés du béton vont pouvoir s’en donner à cœur joie.



Dans les prochains jours, un nouveau Ministre de la Culture sera nommé (ce n’est pas trop tôt !) et bien entendu, nous attendons fébrilement sa nomination, car c’est bien entre les mains de celle ou de celui qui sera nommé que dépendra l’avenir du patrimoine. Nous aurons l’occasion de tester immédiatement son intérêt pour notre cause, puisque nous avons de nombreux dossiers qui attendent déjà depuis deux mois dans nos tiroirs. Nous savions pertinemment qu’il était inutile de les soumettre au ministère juste avant les élections, mais pour certains, les pelleteuses sont très proches, alors il faudra agir vite, très vite.



Cela dit, nous ne nous faisons aucune illusion. Au moins nous ne serons pas déçus, et tant mieux si par miracle, le nouveau ministre aime sincèrement le patrimoine français sans distinction entre grand et petit.






On pourrait en rire, mais cela fera sans doute pleurer bien des habitants des territoires qui vont apprendre que leur patrimoine est quantité négligeable et qu’il faut avant tout financer les « Grands Opérateurs Parisiens ». Pourtant, nous savons tous que, comme le dit le grand philosophe Michel Sardou, « c’est en France qu’il y a Paris, mais la France c’est aussi un pays ».



J’ai lâché, quelques minutes, mon action pour la sauvegarde de la chapelle Saint-Joseph qui, sans doute, à la plus grande joie des hautes sphères parisiennes ou tout au moins dans la plus grande indifférence, va être réduite en poussière dans quelques semaines, et ce afin de partager mes inquiétudes quant à l’avenir du patrimoine des territoires. Si je me suis accordée un « entracte », c’est parce que j’ai failli « tomber de ma chaise » en entendant Madame Bachelot lors de sa dernière audition devant la commission culture du Sénat.



Même si ladite commission est sourde et muette quant à l’affaire de la chapelle Saint-Joseph, je tiens à saluer les propos de la sénatrice Sonia de La Provôté qui, elle, ose s’inquiéter de l’avenir du patrimoine non protégé, suite aux propos tenus par Madame la ministre qui, en substance, nous explique qu’il est tout à fait normal de financer en majorité les grands opérateurs de la culture parisiens, car ils sont « La France », et que, s’ils ne sont pas soutenus prioritairement, cela coûtera bien plus cher.



Ça, nous le savons. D’ailleurs, il suffit de voir dans quel état se trouve le Palais Garnier pour comprendre qu’il y a urgence. Il était vraiment temps que l’on s’occupe de lui, car depuis l’ébauche d’un vague projet de restauration initié par Françoise Nyssen, il ne s’était pas passé grand-chose pour ce fleuron du patrimoine national et nous applaudissons cette mesure d’urgence. Mais de là à nous expliquer que Le Palais Garnier ne se trouve pas à Montauban pour justifier le peu d’intérêt pour les territoires, c’est un peu fort.



Voici les propos de madame la Ministre suivis de ceux de madame Sonia de la Provôté.



Madame Roselyne Bachelot :



« Il me tient à cœur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires.


Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l’Opéra de Paris n’est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d’appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d’animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d’œuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l’entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine. Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l’État. Je voudrais là aussi sortir de l’idée reçue suivante : l’État croulerait sous l’argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l’État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D’ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d’opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d’euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d’euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d’euros de travaux. J’espère qu’on les dépensera, ce qui n’est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble. »



Mme Sonia de la Provôté :



« Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l’État, il s’agit d’un rebasage ou d’une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l’avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d’être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d’une loi de finances rectificative pour 2021, qu’une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d’entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ? Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l’usage des crédits, car j’ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d’autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d’autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S’il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir. Je veux redire que l’assistance à maîtrise d’ouvrage qui n’est plus exercée par l’État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d’une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m’attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L’État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement. »




Pour revenir aux propos ultra-jacobins de madame la Ministre, qui s’agace de l’opposition entre les grands opérateurs (parisiens) et les territoires, elle nous dit clairement que si l’on n’entretient pas le patrimoine, les coûts de restauration sont bien plus élevés quand les interventions se font attendre. Ah bon ? Parce que c’est différent pour la petite église de la creuse ou le petit musée du Lot-et-Garonne ?



Non, c’est pareil : alors pourquoi ce patrimoine des territoires ne mériterait-il pas un peu plus d’attention ?



Comme j’aime bien les métaphores, je vais aller plus loin. En fait, les préconisations de notre ministre de la culture sont les suivantes :



Imaginons qu’il y ait un énorme tremblement de terre avec des milliers de victimes gravement blessées ou sur le point de mourir. Que, parmi ces victimes, se trouvent Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Isabelle Adjani et Jean Dujardin, trouveriez-vous juste de ne sauver qu’eux parce qu’ils sont « la France » et laisser mourir tous les anonymes ?



Et bien c’est pourtant ce que sous-entend madame la Ministre.



En fait, par ses propos notre Ministre ne fait qu’opposer une fois encore Paris et la province, ce qui est, en ces temps perturbés, une erreur fondamentale de communication.



Si je suis bien d’accord avec elle sur un point, c’est sur cette perpétuelle opposition. Paris est une ville merveilleuse avec un patrimoine exceptionnel pour lequel il faut impérativement trouver des solutions, mais en aucun cas au détriment et au mépris des territoires. Les millions de touristes qui, jusqu’à la crise de la Covid-19, venaient visiter « La France », ne viennent pas qu’à Paris.



Quant à l’argument « le Louvre prête des œuvres à certains opérateurs des territoires », il est nul et non avenu, car la Joconde ne se retrouvera jamais dans un petit musée de province. C’est bien connu, on ne prête qu’aux riches.



Enfin, la restauration des « grands édifices parisiens » sous-entend que ce sont, dans la majorité de cas, de grandes entreprises de restauration du patrimoine qui interviennent. Dison juste que restaurer un plus grand nombre de patrimoines vernaculaires des territoires permettrait à des milliers de petits artisans locaux, bien souvent à l’agonie, de vivre décemment en exerçant leur art.



Cela dit, ne noircissons pas un tableau déjà bien sombre et reconnaissons que c’est déjà une bonne chose que nos « grands édifices » jouissent d’aides importantes. En effet, si Notre-Dame avait bénéficié de la grande campagne de restauration qu’elle attendait depuis des années, elle n’aurait sans doute pas brûlé.



Enfin, espérons qu’un jour un grand plan « patrimoine vernaculaire » naîtra dans la tête d’un Ministre de la culture vraiment issu des territoires.


Madame Bachelot, étant native de la Nièvre, je pensais qu’elle aurait un regard bienveillant concernant la province, mais je me suis trompée. Néanmoins, son mandat n’est pas terminé et elle peut encore nous surprendre. Elle a, certes, déjà « jeté le bébé », mais pas encore « l’eau du bain ».



Alexandra Sobczak-Romanski

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