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Notre délégué d’Eure-et-Loir, Christophe Guillouet, maintient sa position concernant le projet d’aménagement de la place Rotrou et celui de la démolition de la crèche.



Un grand merci à lui pour son engagement à nos côtés pour la sauvegarde du patrimoine de nos territoires.




Ce n’est pas la première fois qu’Anaïs Poitou nous fait part de sa passion pour le patrimoine funéraire, mais aujourd’hui elle nous dresse le bilan d’une journée de travail très particulière. Journée qui aura permis d’indexer le cimetière de Navarre, plus communément appeler « Cimetière des Fous », afin que les noms des défunts ne disparaissent pas pour toujours au moment où les travaux de la déviation d’Evreux feront table rase du lieu.



Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.



Un dimanche au cimetière



Dimanche 11 Juillet, afin de permettre l'indexation du cimetière des indigents de Navarre, situé à l'écart de l'hôpital psychiatrique d'Evreux, j'ai réuni une dizaine de volontaires. Parmi eux, ma famille et mes amis étaient présents, ainsi que deux membres de l'association Les Gilets Bleu Horizon, le président Alain Raoul et sa vice-présidente Laure Guillaud. Deux volontaires ayant un ancêtre dans le cimetière nous ont également rejoint dans ce projet. Tout ceci a pu se faire dans le cadre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, mise en place par l'association Urgences Patrimoine.



Le cimetière étant à l'abandon depuis plus de 10 ans, nous avons eu beaucoup de travail ! Le site se divise en quatre grandes parties, que nous avons décidé de nommer carrés A, B, C et D en partant d'en haut à gauche. En nous séparant en différents groupes, nous avons pu effectuer un travail méthodique et rapide.




Une équipe de cinq volontaires était au débroussaillage, un travail fastidieux, d'autant plus dans le carré C qui était presque en totalité recouvert de ronces qui cachaient un grand nombre de stèles et de tombes en pierre. Ce travail a permis de retrouver plusieurs noms et matricules tombés dans l'oubli, uniques vestiges de l’identité de ces défunts. Au niveau des carrés A et B, le principal travail de débroussaillage se situait vers le haut. En effet, plusieurs arbustes avaient poussé, cachant deux à trois rangées de tombes, ce qui nous a permis de les rendre visibles et de pouvoir les photographier par la suite. Le carré D n'a pas nécessité de débroussaillage particulier, car les sépultures qu'il contenait ont en grande majorité étaient relevées au cours de ces dernières années. Aujourd'hui, il ne reste qu'une dizaine de tombes, entourées d'hautes herbes. Il y aurait eu dans ce carré les tombes des religieuses ayant eu en charge, pendant plusieurs années, le secteur dédié aux femmes de l'hôpital, mais elles auraient été exhumées et déplacées dans leur monastère d'origine, en Vendée.



Deux autres équipes, composées de trois volontaires chacune, se sont quant à elles concentrées sur le travail d'indexation. Pendant qu'un volontaire notait les noms et autres informations disponibles sur les stèles et les monuments, un second prenait chaque tombe en photo à deux reprises. La première photo est pour l'ensemble de la sépulture, et la seconde est un gros plan des plaques ou matricules en zinc visibles, mais aussi des noms gravés dans la pierre. Le troisième volontaire déposait des morceaux de laine sur les tombes afin d'avoir un repère pour ne pas faire de répétitions avec les noms et les photos. La première équipe a pris en charge les carrés A et C, et la seconde les carrés B et D.



Cette indexation a duré toute la journée, ce qui nous a permis de vraiment prendre le temps de trouver une majorité de tombes disparues, mais aussi de retrouver des noms. Si pour les croix et stèles de bois, il était simple de déchiffrer le nom ou le matricule gravé sur les plaques, cette expérience était plus difficile pour les tombes en pierre. Au fil du temps, les noms et dates inscrits dans la pierre se sont effacés, et il a fallu souvent utiliser papier et crayon pour déchiffrer les informations. Ce fut une découverte à chaque inscription qui apparaissait.



Dans l'après-midi, suite à un piquenique champêtre, sous le couvert des arbres, nous avons continué notre indexation en modifiant quelque peu nos équipes. Certaines personnes ne pouvaient pas rester l'après-midi, mais le débroussaillage était terminé.



Nous avons donc divisé notre groupe de huit en deux groupes de quatre. La quatrième personne des équipes avait en charge le nettoyage des plaques ou des tombes en pierre, avant le passage du photographe, puis elle épelait les noms, ce qui facilitait l'avancée de la personne en charge de les noter. Pendant notre indexation, nous avons eu la chance de rencontrer Manon Maurin et Aldéric Tardivel. Manon est à l’origine de la pétition pour la préservation du cimetière qui a aujourd’hui atteint plus de 1 000 signatures. Grâce à cette pétition, le cimetière des indigents a été découvert ou redécouvert par de nombreuses personnes, en témoignent les visiteurs que nous avons pu rencontrer le jour de notre indexation.



L’un des plus beaux témoignages que j’ai pu voir au cours de mes nombreuses visites ces dernières semaines, ce sont les dépôts de roses fraîches sur les tombes de pierre et aux pieds des stèles de bois, sans aucune distinction. Ce beau geste est émouvant car une tombe fleurie est une tombe qui n’est pas abandonnée, et cela prouve que des personnes se rendent encore dans le cimetière.



Ce travail a pour but de ne pas oublier ces défunts, ainsi que ce cimetière, dont l'histoire est liée au Nouvel Hôpital de Navarre. A travers ce projet d'indexation, nous souhaitons sauvegarder la mémoire de ce lieu avant que les travaux de la déviation Sud-Ouest ne le fasse disparaître.



Avec nos différents croquis, registres de noms et les nombreuses photos prises au cours de cette journée, nous avons pu établir un travail précis avec la localisation de chaque tombe et des informations que l'on a pu trouver.




Dans le futur, nous pourrons comparer nos découvertes avec les registres du cimetière. Le site possède par ailleurs du mobilier, comme un four crématoire situé en haut du carré A, à l'extérieur du cimetière, un abri pouvant servir au gardien dans la partie basse du carré C ou encore un calvaire en son centre. Un ossuaire, servant à déposer les ossements des sépultures les plus anciennes du cimetière afin d'y faire de la place, est visible dans la partie droite, en haut du carré B.




Nous avons d'ailleurs pu retrouver, grâce à un travail de description de dalle funéraire, la tombe d'un prêtre, placée à la gauche du calvaire, dans le bas du carré A. Ce prêtre, Jean-Charles LEMONNIER, a travaillé à l'hôpital, tout comme plusieurs infirmières et infirmiers, au nombre de six, se trouvant eux-aussi dans le cimetière. La sépulture d'Adrien BARILLON, soldat Mort pour la France, se trouve quant à elle en haut à gauche du carré C. La tombe d'un médecin, aujourd'hui relevée, se trouvait quant à elle dans le carré D.



Concernant les autres sépultures de pierre, stèles et croix de bois, il semblerait que ces tombes soient celles des patients de l'hôpital. Parmi ces tombes, une grande majorité se compose de stèles sous forme de croix en bois, mais on compte aussi une quarantaine de tombes en pierre, et environ une vingtaine de stèles plates en bois. Sur les 522 sépultures retrouvées, 97 d'entre- elles n'ont pu être identifiées, et une dizaine possèdent un matricule sans nom. Seules les sépultures de pierre ont pu être datées, les dates apparaissant en dessous des noms, mais ce n'est pas le cas de toutes. Sur l'ensemble, on remarque d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes identifiées et inhumées dans le cimetière, pour environ 210 tombes, les hommes identifiés étant probablement au nombre de 189. Au cours de notre indexation, nous avons pu observer des animaux se promener sur le site, comme des lapins ou encore des souris, mais aussi de nombreux insectes, notamment des papillons : la nature reprend peu à peu ses droits sur la forêt.


Au cours de notre journée, nous avons pu faire la rencontre de nombreux visiteurs venus se recueillir en ce lieux, ou en faire la découverte. Parmi eux, il y avait un adepte du cimetière : il s'y rend régulièrement depuis 2007 ! En discutant avec lui, il nous a partagé l'une de ses idées concernant le devenir du cimetière et de la mémoire des défunts. Si les exhumations ne peuvent être faites, nous aimerions qu'il y ait au moins l'élévation d'un monument ou d'une stèle à la mémoire de ces personnes.



Si l'hôpital a proposé de déplacer le calvaire du cimetière afin de conserver une trace du lieu, ce visiteur aimerait élever une petite chapelle du souvenir, et placer toutes les plaques d'identifications en zinc, qui auraient été préalablement récupérées dans le cimetière, afin de les placer sur les murs de la chapelle. Ce serait comme un mur du souvenir, rendant hommage à ces personnes tout en conservant une trace de leur identité. C'est une belle idée qui mérite réflexion.



Afin de compléter ce descriptif de notre travail, j'ai demandé à mes proches de me décrire leur ressenti au cours de cette journée.



« Cette journée m'a permis de donner du temps pour une bonne cause, même si le cimetière est voué à la destruction d'ici peu. Participer à cette indexation nous permet de ne pas oublier tous ces défunts et de conserver leurs traces. De plus, effectuer ce travail nous a permis d'avoir une autre réflexion sur les cimetières et sur le patrimoine funéraire en général, sur le devenir de ces défunts. Le cimetière nous concerne tous, et ce qui frappe ici, c'est l'immoralité envers ces morts oubliés pour leur folie, et prochainement recouverts par les remblais de la déviation. » Laurence Poitou.



« Cette indexation nous a permis de créer des liens et de faire des connaissances autour d'un sujet qui nous rapproche malgré nos différents horizons. Ce projet était à la fois étrange, car nous n'avons pas forcément l'habitude de nous rendre au cimetière. Dans mon cas, le cimetière des indigents est une découverte totale car je ne connaissais pas son existence. Ce fut un cadre de travail agréable car nous nous trouvions au cœur de la forêt et dans le calme. Nous n'avions rien à gagner en menant ce projet, mais nous étions heureux de donner ce que nous pouvions donner pour cette indexation. Même si l'endroit reste agréable, le lieu est très triste. A chaque instant, la peur de piétiner une tombe se fait ressentir. Mais l'envie de redonner une identité à ces défunts prend le dessus et nous donne la force de travailler. Le lieu, malgré l'omniprésence de la nature, confère un aspect triste et délabré à ces stèles de bois et de pierres. C'est une page qui se tourne. » Angeles.




« Le premier sentiment que j'ai ressenti en arrivant dans ce cimetière c'est de la tristesse. La tristesse de voir ce lieu chargé d'histoire abandonné. Puis en apprenant l'histoire de cet abandon c'est de la colère que j'ai ressenti. Comment peut-on laisser à l'abandon un lieu plein d'histoire, surtout lorsqu'il y a un soldat inhumé, tout cela pour une question d'argent et de politique. Participer à ce projet m'a vraiment plu. J'ai l'impression d'avoir été utile à une bonne cause et sortir toutes ces personnes de l'oubli a été à mes yeux la plus belle récompense à nos efforts. » Laure Guillaud, vice-présidente de l’association Les Gilets Bleu Horizon.



« Tout au long de ce travail, j'ai eu un ressenti étrange car je n'aurais jamais imaginé me rendre dans un cimetière pour faire une indexation il y a encore quelques mois. Mais faire partie de ce projet, c'est avant tout aider ma fille, mais aussi donner de mon temps pour une bonne cause, ce qui m'a fait plaisir. Nous avancions rapidement et méthodiquement, sortant ces défunts de l'oubli. En effet, la plupart des stèles de bois avaient été recouvertes par la végétation des lieux. Nous avons également retrouvé de nombreuses plaques, redonnant une identité à ces personnes. » Stéphane Poitou.




Je tiens à remercier chaleureusement les volontaires, familles, amis comme nouvelles connaissances, d'être venus m'aider dans ce projet : notre travail d'équipe a porté ses fruits. Merci à mes parents Laurence et Stéphane Poitou, et également à Victor Patry, mon conjoint. Merci à Alain et à Laure d'avoir fait le déplacement depuis Rouen, mais aussi à Agathe et à Didier, que j'ai été ravie de rencontrer. Je tiens également à remercier Angeles, Mathilde et Antoine d'être venus. C'est grâce à vous et à votre travail que cette indexation a pu être réalisée.


Pour en savoir plus, n’hésitez pas à me contacter : anais27000@hotmail.fr



Pour contacter la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire : urgences.patrimoine@gmail.com



Le cimetière des indigents en quelques chiffres :



  • 522 tombes, dont environ 210 pour les femmes et environ 189 pour les hommes

  • 97 inconnus

  • 454 croix de bois

  • 45 sépultures en pierre

  • 18 stèles de bois, symbolisant une appartenance religieuse différente autre qu'à la religion chrétienne

  • 13 matricules sans noms

  • 4 monuments composés de sépultures en pierre et de croix de bois

  • 1 soldat Mort pour la France

  • 6 infirmiers, dont 2 infirmières

  • 1 médecin

  • 1 prêtre

  • 1 calvaire

  • 1 four crématoire

  • 1 ossuaire

  • 1 abri de gardien


Alors que la commune de Dreux bénéficie du programme « Action Cœur de Ville », la nouvelle équipe municipale en place depuis 2020 semble s'acharner sur son centre historique. En voici une illustration avec le projet d'aménagement d'une petite place officiellement destiné à « mettre en valeur l'espace public et le patrimoine » mais qui va en réalité profondément la dénaturer.



Des habitants et des riverains, très inquiets de l’avenir du vieux Dreux, ont décidé de former le collectif « Rotrou en colère ». Vous pouvez les aider en signant leur pétition s'opposant à ce projet et en vous abonnant à leur page Facebook.



La pétition est ICI.


Le collectif « Rotrou en colère » est ICI.



Il y a certaines coïncidences qui laissent pensif. On célèbre actuellement le bicentenaire du passage de Victor Hugo à Dreux et une exposition au musée d’art et d’histoire consacrée à cet épisode ne manque pas de souligner que le jeune poète fut très frappé par les monuments anciens de la ville et que cette vive impression fut peut-être décisive dans la naissance de son engagement pour le patrimoine. Pourtant, au même moment ou presque, les annonces et les projets menaçant le centre historique de la ville se multiplient. En effet, récemment évoquée dans ces colonnes, la démolition programmée de l'ancienne crèche municipale, en dépit de son intérêt historique, n’est hélas pas un fait isolé et s'inscrit, on va le voir, dans un tableau d'ensemble particulièrement inquiétant. La nouvelle municipalité de Dreux veut-elle donc la peau de son patrimoine ?



Rappelons que Dreux (30 000 habitants) fait pourtant partie des 222 communes bénéficiant du dispositif « Action Cœur de Ville ». C'est un programme national destiné à les aider à lutter contre le déclin économique de leur centre historique, perceptible notamment au travers du phénomène désormais bien connu de la « vacance commerciale ». Les motivations de ce programme nous paraissent évidemment fort louables et le fait que Dreux en bénéficie des plus logiques : le taux de vacance commerciale de son centre-ville y atteint 15% (la moyenne nationale étant de 9,5% - chiffres de 2016-2017), ce qui la place parmi les 20 communes les plus touchées de France. Il est toutefois regrettable qu'à Dreux, comme dans d'autres villes, ce plan d'aide financé par le contribuable ne soit pas assorti d'un contrôle plus rigoureux de l'Etat dans la cohérence des choix politiques locaux. En effet, on ne peut qu'être perplexe à l'examen de plusieurs autres projets qui vont mécaniquement (plusieurs études l'attestent) nuire à ce même centre-ville, comme la construction en périphérie du très coûteux centre de loisirs « Otium » ou la fermeture de l'école Saint Martin.



Mais c'est un résultat plus immédiat et plus concret de ce programme qui sera ici le cœur de notre propos. En effet, « Action Cœur de Ville » s'articule notamment autour de « la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine », ce qui signifie en clair que ses fonds peuvent aider à financer des projets d'aménagement. C'est le cas de ceux de la place Rotrou qui devraient se dérouler dans les prochains mois (Echo Républicain du 16.09.20) et le moins que l'on puisse, c'est qu'en termes de « mise en valeur », ils sont extrêmement discutables. Il est vrai que Dreux s'était déjà illustré en la matière avec la mise en place de signalétiques peintes sur le sol particulièrement disgracieuses et qui auraient davantage leur place dans les couloirs d'un hôpital. Mais comme dirait l'autre, quand la ligne rouge (ou jaune ou verte) est franchie, il n'y a plus de limite. Incontestablement, une nouvelle étape dans l’enlaidissement du centre-ville est ici franchie.



Mais tout d'abord, et pour mieux comprendre ce qui se joue, revenons en quelques mots sur l'historique et les caractéristiques de cette place. De dimensions assez modestes, elle se situe en plein cœur du vieux Dreux, à moins de 500 mètres de ses principaux monuments (le très beau beffroi, l'église Saint Pierre et la Chapelle royale des Orléans) et à deux pas de la principale artère commerçante du centre historique, la rue Maurice Viollette. Son histoire commence avec une série de destructions qui s'étalent sur le premier tiers du XIXe siècle. En 1867 y est inaugurée une statue en bronze réalisée par Jean-Jules Allasseur (1818-1903) et représentant Jean Rotrou (1609-1650), le consacrant comme la grande figure héroïque de la ville. En effet, ce dramaturge du Grand Siècle, contemporain et proche de Corneille, était né à Dreux et en avait été aussi été le bailli, c'est-à-dire l'officier royal y exerçant les fonctions militaires, fiscales et de justice. Dreux étant frappé par une épidémie de peste en 1650, Rotrou avait tenu à rester auprès de ses administrés, y perdant finalement la vie. Quelques jours avant sa mort, il avait envoyé à son frère une lettre particulièrement poignante et reprise sur le piédestal de la statue : « Le salut de mes concitoyens m’est confié, j’en réponds à ma Patrie, je ne trahirai ni l’honneur ni ma conscience, ce n’est pas que le péril où je me trouve ne soit fort grand puisqu’au moment où je vous écris on sonne pour la vingt-deuxième personne qui est morte aujourd’hui. Ce sera pour moi quand il plaira à Dieu. » Cette inauguration est l’occasion d’une ambitieuse commémoration, avec un discours d'Alfred de Falloux, académicien, et une représentation de Venceslas, une des pièces phares de Rotrou, par la troupe de la Comédie-Française dans le théâtre de la ville qui se trouve alors... place Rotrou ! Ce théâtre a été détruit au début du XXe siècle, mais il en subsiste encore une partie de la rotonde, visible au n° 4 de la même place.



La statue est hélas fondue par l'occupant allemand en 1942, mais par la grâce d'un moulage réalisé avant la fonte, une réplique en pierre est réalisée par Robert Delandre (1879-1961) peu de temps après, redonnant à la place à peu près son aspect antérieur. Tel le Phénix, Rotrou renaît donc une nouvelle fois de ses cendres et son héroïsme semble à jamais enraciné au cœur de ce lieu. Comme l'écrit à ce propos Jean-François Marmontel en 1793, « il est beau de voir dans un poète tragique un caractère plus grand lui-même et plus intéressant que tous ceux qu’il a peints. Son grand trait de caractère, c’est le dévouement en qualité de citoyen au bien public dont il fut la victime. »




C'est donc un lieu à l'histoire riche, mouvementée, hautement symbolique et resté pratiquement inchangé depuis environ un siècle, comme en attestent les photographies anciennes. La dernière évolution majeure en est la disparition de l’ancien théâtre, encore visible sur la peinture qu’en a réalisée Edouard Michon (1848-1943) dans le réfectoire de l’école Saint Martin. N'étant pas le résultat d'un projet urbanistique d'ensemble, la place Rotrou offre un condensé saisissant du tissu de la vieille ville où tous les styles s'y sont sédimentés de manière un peu désordonnée, du Moyen-Age à la Belle Epoque. Place pittoresque certes, mais aussi place monumentale par la présence de Rotrou qui semble lui donner son équilibre et sa cohérence. C'est ce qui en fait la singularité et le charme.




C'est donc peu dire que le projet, avec ses quatre énormes pylônes faisant presque la hauteur des immeubles, va nuire à la lisibilité et à la cohérence du lieu. On soulignera au passage qu’en dépit d’une « consultation publique » (bien vite expédiée au mois d’avril dernier), très peu d’explications ont été données sur ce projet et ce, même aux riverains. Selon nos informations, il s'agirait de « tours multimédia » permettant l'accrochage d'un filet destiné à soutenir des oriflammes ou des affiches mais aussi, comme l’expression l’indique, la production d’images, de lumières et de sons. Transformer cette place en « boîte de nuit » à ciel ouvert ? On croit faire un mauvais rêve, mais c’est bien ce dont il semble ici question ! Quant à notre pauvre Rotrou qui y trônait depuis 150 ans, il est repoussé dans un angle, relégué au rang de décor accessoire, agent de circulation le jour, tenancier de discothèque la nuit... Quelle bien étrange manière de le remercier de son dévouement et de son sacrifice! Quelle bien étrange manière de « mettre en valeur » un lieu à l’histoire et à la symbolique aussi fortes !



Par ailleurs, où sont les espaces verts promis ? (Echo Républicain du 16.09.20) On est frappé par la minéralité de l'ensemble dans un centre-ville qui comporte déjà relativement peu de jardins publics. Alors que la fermeture de l'école Saint Martin est justifiée par le fait qu'elle ne serait pas « compatible avec la transition écologique » (Echo Républicain du 02.06.21), on est visiblement beaucoup moins exigeant à l'égard des réalisations contemporaines... Un comble quand on sait qu'il y a encore une douzaine d'années, la place Rotrou comportait une pelouse centrale et de grands arbres !



Certains qualifieront sans doute notre point de vue d'excessivement conservateur, mais un centre historique a une histoire qui est déjà écrite et un aménagement se doit de le mettre en valeur, avec sobriété et discrétion, sinon il cesse tout simplement d'être un aménagement. Dénoncer le déplacement non justifié d'une statue aussi emblématique de Dreux et la mise en place de quatre énormes pylônes avec un impact visuel aussi important ne relève plus du jugement subjectif. Un centre ancien n'est pas un terrain d'expérimentation, c'est bien souvent l’un des derniers liens avec notre passé que peut nous offrir une ville et ce n'est pas un hasard si nous avons fait le choix depuis environ 150 ans en France de vivre, en quelque sorte, « avec » ce passé. C'est un choix de civilisation et le remettre en cause, ce serait enterrer définitivement l'héritage des Mérimée, Hugo, Malraux et quelques autres.



Nous avons ici un exemple frappant de l'hidalgoïsation des esprits qui ne se limite plus à Paris (ou même aux grandes métropoles), mais touche aussi désormais nos villes moyennes. Par « hidalgoïsation », nous entendons l’idée qu’un aménagement ne peut désormais plus se contenter de mettre en valeur un centre historique : non, c'est bien trop banal, il faut maintenant qu'il le « réinvente », en fasse un lieu « festif » à tout prix, quitte à en sacrifier toute l’authenticité. Ce qui devrait être accessoire devient central et, inversement, ce qui devrait être central devient accessoire : triste métaphore de notre temps ! Le parallèle fera sourire, mais imagine-t-on un instant la place de la République où la statue de la République serait reléguée en marge et au rang de faire-valoir ? Imagine-t-on les places romaines sans leurs fontaines ? Car oui, la statue de Rotrou joue le même rôle à Dreux que les fontaines à Rome : elle fait partie de ces œuvres d’art, grandes ou petites, majeures ou mineures, qui ponctuent et rythment l’espace urbain, lui donne sa cohérence et sa lisibilité, chose bien comprise de toutes les civilisations depuis l’Antiquité. Et c’est bien parce que Dreux est nettement moins riche en patrimoine que Rome, qu’elle devrait particulièrement le chérir. A une époque en quête de « sens », les drouais ont besoin de la centralité de leur Rotrou, de le voir, de se rappeler en permanence qui il fut et ce qu’il fit pour eux.



Maltraiter ainsi le patrimoine et l'esthétique du vieux Dreux, c'est aussi hypothéquer l'un des quelques atouts restant à une ville particulièrement touchée par la désindustrialisation de ces trente dernières années, et il suffit d'évoquer le récent mouvement #saccageparis pour en percevoir les potentielles conséquences en termes d’image et d’attractivité. Rappelons que #saccageparis est un mouvement dénonçant l'enlaidissement général de la capitale (et pas seulement sa saleté, comme on le répète trop souvent) par la multiplication d’aménagements peu respectueux de son tissu historique et notamment un acharnement sur son mobilier de l'époque haussmannienne. En quelques semaines, l'exaspération y a fait place au ressentiment et parfois à la haine (ce qu'évidemment nous condamnons). La colère, partie des parisiens, gagne désormais un nombre croissant d'amoureux de la capitale du monde entier, y compris de ceux qui n'étaient pas a priori hostiles à Anne Hidalgo, et l'image même de celle qu'on appelait il y a encore peu la « Ville Lumière » commence à en être affectée. Veut-on voir donc fleurir des #saccagedreux ?



Pourtant il y aurait tant à faire pour donner à la vieille ville l’éclat qu’elle mérite : donner plus de place aux fleurs et aux espaces verts, mieux entretenir les aménagements existants (à ce sujet, l’état du pavement de la rue Maurice Viollette fait peine à voir) ou inciter à un embellissement général des devantures commerciales par exemple. Et puis, sur un plan plus « mémoriel », rêvons un peu... Alors que l'œuvre de Rotrou bénéficie enfin d'une édition complète et fiable (achevée en 2019 sous la direction de G. Forestier), que celle-ci est régulièrement étudiée, analysée et commentée par les spécialistes, que l’importance de Rotrou est peu à peu reconnue aux côtés des Corneille, Racine ou Molière, ses pièces restent extrêmement peu jouées. Par conséquent, pourquoi ne pas organiser un festival annuel de théâtre permettant aux jeunes et moins jeunes de se réapproprier cette gloire drouaise et de la faire connaître du grand public ? Cela donnerait également à la ville natale du dramaturge une visibilité nationale, voire internationale.



En attendant, très inquiets de l'avenir de leur centre historique, des drouais ont décidé de créer un collectif et une page Facebook, « Rotrou en colère », afin d'informer et mobiliser leurs concitoyens. Nous incitons tous nos lecteurs à les soutenir en s'y abonnant et en signant leur pétition s'opposant au projet. Rotrou le vaut bien.



Rotrou en colère



La pétition est ICI.


Le collectif « Rotrou en colère » est ICI.

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