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À l’annonce de cette nouvelle, nous avons été alertés par Christian Gasch, très soucieux de l’avenir du patrimoine de sa ville natale. Il est vrai que sur l’instant nous avons cru à une blague de mauvais goût, mais hélas pas du tout.



Nous pensons sincèrement que la ville ne doit pas se dessaisir de ce patrimoine emblématique et, bien évidemment, nous nous joindrons à tous les neversois qui seront contre ce projet. Et si vraiment la municipalité campe sur ses positions, alors nous veillerons à ce que le repreneur propose un projet digne de ce patrimoine qui règne sur la ville de Nevers depuis plus de 600 ans.




Voici son alerte :



Fin 1398, Philippe de Bourgogne décide d’aménager les Halles de Nevers et, à la demande de ses habitants, accepte la construction à l’un des angles du bâtiment « d’un reloige pour savoir les heures du jour ».



27 juin 2023, le maire Denis Thuriot en son Conseil Municipal fait acter le déclassement et la désaffectation de cette tour de l’horloge, appelée le Beffroi, pour permettre sa mise en vente.



"C’est un bien atypique qui peut intéresser," argumente-t-il.



Atypique ? Pas vraiment ! C’est plutôt une construction typique de la fin du moyen-âge et un monument patrimonial qui a observé, du haut de ses 42 mètres, la vie des neversois depuis près de 625 ans !



Le quartier du Beffroi était à l’époque de la construction de l’édifice un lieu d’entrepôt et d’abattage des animaux avant la mise en vente de leur viande par les bouchers, première corporation officiellement reconnue à Nevers le 28 avril 1400. D’ailleurs l’une des rues adjacentes porte toujours actuellement le nom de « rue des boucheries ». C’était aussi avant les travaux de rénovation du quartier une véritable cour des miracles où il n’y avait pas que le bétail qui était mis à mort...



Trois ans après le début des travaux effectués par le maître-maçon Jean des Amognes la tour surmontée de sa girouette était visible depuis l’autre rive de la Loire. Dans le bâtiment principal les Halles étaient occupées par les bouchers et la partie supérieure par le tribunal du baillage.


Lors de la réception des travaux, la tour était déclarée mal construite et impropre à recevoir une horloge et sa cloche ! Il a fallu attendre le 6 mars 1439, l’autorisation par lettres patentes du placement de l’horloge, et la fin du même mois pour que la cloche, fondue en l’église Saint-Etienne, trouve sa place au somment de l’édifice. La commission nationale du patrimoine et de l’architecture vient d’ailleurs d’être sollicitée pour le classement de la cloche et de ses accessoires au titre des Monuments historiques. Un violent orage détruisit la tour et l’horloge en 1456, mais cette catastrophe entraina la reconstruction et l’embellissement du clocher en y ajoutant deux cloches sonnant les quarts et les demies. 


 


Au cours des siècles de nombreux travaux viendront consolider le beffroi voire modifier son aspect, avec parfois pose de symboles révolutionnaires à son sommet  (coq, bonnet phrygien, canon...)


 


Le XIXe siècle aura été celui de l’abandon du monument, l’escalier extérieur qui menait au tribunal détruit, maisons et boutiques « s’incrustant » dans le bâtiment, le beffroi devenant un grenier à rats...Il faudra attendre la fin du siècle pour que Massillon ROUVET envisage de restaurer le beffroi, de le dégager de toutes ses verrues afin d’embellir la Rue du Commerce.





 Depuis octobre 2016 la Municipalité et le Département ont effectué de nombreux et coûteux  travaux de rénovation (plus d’un million d’euros), alors comment ne pas s’étonner de cette décision d’abandon du monument historique à la loi du marché ! Le patrimoine architectural de Nevers est très vaste et comporte des merveilles. S’il est vrai que cette tour de l’horloge n’est pas l’un de ces plus spectaculaires édifices, il n’en demeure pas moins que nous avons envers elle un devoir de protection et de sauvegarde. Sa longue histoire est la nôtre et son clocher un repère spatial, et temporel ! du centre-ville. Même si sa disparition n’est pas programmée, sa vente à un propriétaire privé ne l’exclut pas. Alors nous devons tout faire pour éviter que « La malheureuse histoire d’un clocher » écrite par Jean Planchon en 1943 ait pour épilogue sa destruction.



Vous avez été très nombreux à nous envoyer la vidéo (ici) de Monsieur Julien Cohen, célèbre marchand vedette de l’émission « Affaire Conclue » sur France 2. Cette vidéo visible sur les réseaux sociaux est un appel à « coups de main » en direction des artisans et autres bénévoles habiles pour la restauration de la chapelle Notre-Dame-de-Pitié, à Nevers, édifice datant du XVIIe siècle : « Toutes les bonnes volontés sont les biens venues (sic), peintres, plâtriers, maçons, électriciens et plombiers ou juste bons bricoleurs vous êtes tous les bienvenus. » Jusque-là, tout est louable et ce n’est pas nous qui irons contre un projet de sauvegarde du patrimoine et la seconde vie d’un édifice abandonné. Le seul souci, c’est que cette chapelle n’est pas un bien appartenant à la collectivité et pour laquelle Monsieur Cohen mettrait sa notoriété au service du bien public. Non, cette chapelle est sa propriété, puisqu’il l’a achetée en juillet 2019. Si le projet d’ouverture d’une boutique ou, plutôt, d’une salle d’expertises, permet de donner une nouvelle destination à un lieu délaissé est séduisant, ce qui l’est moins est la façon dont M. Cohen souhaite réaliser les travaux de restauration. Aux dernières nouvelles, il n’est pas dans le besoin — loin de là — et il n’est pas non plus à la tête d’une association ou fondation reconnue d’intérêt général ou d’utilité publique (mais nous imaginons qu’il va le devenir sous peu) et, pourtant, il fait appel à la générosité publique pour éviter de payer la restauration de l’édifice. Et là, soudainement, tout le monde veut apporter son « geste à l’édifice », parce qu’il s’agit d’une personne publique et que donner son temps pour Julien Cohen, c’est mieux que d’œuvrer pour la petite chapelle de sa commune qui tombe de toute part. Évidemment, nous ne pouvons pas empêcher les gens de se faire « exploiter » par un millionnaire, mais nous ne pouvions pas ne pas nous exprimer sur ce sujet. Nous sommes d’autant plus légitimes à le faire, que l’opération « Un Geste à l’Édifice » d’Urgences Patrimoine, qui consiste à faire intervenir des artisans bénévolement dans le cadre du mécénat de compétences, a maintes fois été la cible de critiques cinglantes de la part d’artisans criant à la concurrence déloyale, alors que dans notre cas, les patrimoines restaurés gracieusement sont des biens appartenant à la collectivité et pour lesquels il n’existe aucun budget. M. Julien Cohen surfe sur la vague du « Patrimoine Business » où l’intérêt financier passe bien avant l’intérêt pour le patrimoine. Autre élément à souligner et pas des moindres, l’édifice est protégé, depuis 2006, au titre des Monuments Historiques. Il faut donc tout d’abord une étude préalable réalisée par un architecte du patrimoine. Puis, il faut que la DRAC donne son accord pour le lancement des travaux.

Nous imaginons fort mal les services de la culture accepter que « n’importe qui » vienne restaurer un patrimoine protégé, à moins bien entendu qu’ils n’aient eux aussi cédé à l’appel des sirènes de la notoriété télévisuelle, mais nous n’y croyons pas. Et soulignons ici que, parce que la chapelle est inscrite, elle bénéficie, de fait et de droit, de subventions publiques. Vous n’êtes pas convaincu par nos propos et vous pensez que cela pourrait venir d’une quelconque jalousie de David face à Goliath ? Alors imaginez que vous ayez besoin de faire restaurer une résidence secondaire ou votre future boutique, pensez-vous que nombreux seraient les artisans qui viendraient travailler gratuitement chez vous ? Que penseraient les artisans auxquels vous avez demandé des devis et qui apprendraient que vous faites faire des travaux « à l’œil » par d’autres artisans en mal de reconnaissance ? Enfin, une fois votre bien restauré, imaginez que vous le vendiez avec une très jolie plus-value, que penseraient les artisans et tous les bénévoles qui sont intervenus gracieusement ? Tout simplement que vous vous êtes enrichi sur leur dos. Et bien là, en l’espèce, nous assistons exactement à cela. Un propriétaire, qui a les moyens de faire restaurer un monument historique à destination d’une activité commerciale, le fait restaurer sans débourser un centime de main-d’œuvre. En droit, je suppose que cela a un nom. En revanche, Si M. Julien Cohen fait appel à la générosité publique pour sa chapelle, mais qu’en contrepartie il reverse l’équivalent du montant des travaux pour un édifice en péril de la ville, alors là oui, nous ne pourrions que saluer son geste et, effectivement, le présenter comme le nouvel ambassadeur de la sauvegarde du patrimoine et nous faire presque oublier Stéphane Bern. Sauf que si M. Bern nous lance des messages désespérés pour la sauvegarde du patrimoine en péril et fait appel à la générosité publique comme il l’a fait pour Notre-Dame, ou à travers son loto, au moins lui ne s’est jamais servi de sa notoriété pour faire restaurer « gratis » son patrimoine personnel. Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à soutenir La Gazette du Patrimoine en cliquant ici. Lire l’article du Journal du Centre.

Crédits photographiques : Le Journal du Centre et GOBEROT Daniel

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