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L’hallali avait sonné la semaine dernière pour le château de la Rochepot, car, malgré l’incroyable mobilisation des habitants de la commune, il n’y a eu aucune réaction de la part du Ministère des finances, principal créancier dans cette triste affaire, ni de la part du Ministère de la culture, qui aurait pu préempter une grande partie des objets emblématiques de cette vente. Afin de conserver l’intégrité du château, il suffisait le vendre le contenu en même temps que le contenant, mais cette solution simple n’a même pas été envisagée.



En France, on préfère vendre « à la découpe », sans se préoccuper des conséquences directes que cette vente pouvait avoir. Hélas, comme il s’agissait ici d’une décision de justice, les ministères qui auraient pu se manifester ont eu un parfait alibi pour ne surtout rien faire.



Entre parenthèses, que les âmes bien pensantes qui criaient haut et fort que cette vente permettrait avant tout de payer les « ardoises » laissées par le propriétaire aux artisans locaux regardent la réalité en face : le principal créancier est l’État, et il est peu probable qu’il reste une seule miette pour les petits indépendants.



Quoi qu’il en soit, nous savions que « la messe était dite » vendredi dernier, à la lecture de ce courrier, transmis par un de nos amis, Siegfried Boulard-Gervaise, « candidat acquéreur » potentiel de l’édifice.




C’est donc la mort dans l’âme que nous avons assisté impuissant, au dépeçage en règle du Château de La Rochepot, en union de pensées avec les membres du collectif « Sauvons les Meubles » qui, dans un communiqué, avaient annoncé la fin de la mobilisation:



« Nous restons organisés afin de suivre l'évolution et l'avenir de notre magnifique château. Toute action menée à partir de ce soir ne résulte en rien du collectif. Nous ne serons pas présents demain sur le lieu de vente, afin de ne pas entraver le travail de maître Muon. »



Ce communiqué avait été envoyé par Romuald Pouleau, créateur du collectif, à l'attention de la sous-préfète.



La vente aura duré près de douze heures. La cérémonie funèbre fut orchestrée par Maître Muon, commissaire-priseur à Beaune.De mémoire, nous n’avions jamais assisté à une vente aussi triste et aussi longue. En général, ce sont 80 lots à l’heure qui sont dispersés lors des ventes publiques, or là, nous étions sur une moyenne de 50 lots. Visiblement en Bourgogne, il n’y a pas que les escargots qui sont lents !



Bien entendu, sans grande surprise, les prix se sont envolés. Certains ont d’ailleurs explosés. Comme par exemple celui d’une série de casseroles en cuivre pour laquelle il a fallu dépenser 1000 euros alors que, dans n’importe quelle vente aux enchères publiques, ce genre de chose a du mal à trouver preneur à 100 euros.



Fébrilement et toujours très naïvement, nous pensions que le Ministère de la Culture allait (pour une fois) nous surprendre. Nous avions d’ailleurs reçu un petit message nous annonçant cette surprise. Heureusement que nous avons gardé cette information pour nous, car en la diffusant, nous aurions été totalement décrédibilisés.



Le Ministère a donc brillé une fois de plus par son absence, en se fendant tout de même de l’acquisition des plâtres de l’artiste Xavier Schanosky (1867-1915), classés monuments historiques.



En revanche, les souvenirs historiques du Président Sadi Carnot n’ont pas eu le bonheur d’intéresser le Ministère.



Nous avons quand même eu une petite satisfaction. Celle d’assister à la vente, via internet, en compagnie de notre ami Siegfried Boulard-Gervaise, notre « candidat repreneur », qui s’est porté acquéreur d’une quinzaine de lots, dans l’espoir de les voir revivre un jour dans leur écrin d’origine. Si tel était le cas, la grande tapisserie des Flandres, les lits de la chambre chinoise chère à la famille Carnot, ou encore les superbes chiens de Fô, pourraient alors retrouver leur place en Bourgogne, après une période d’exil en lieu sûr.


PRiches de cette expérience, nous pouvons affirmer une fois encore qu’il est plus prudent de faire confiance à des passionnés engagés qu’à un ministère qui n’a de culture que le nom.



Cette triste affaire aura également permis de confirmer que les médias ne répondent présents que lorsqu’il est trop tard. Dès qu’Urgences Patrimoine a été saisie par le collectif « Sauvons les meubles », nous avions tenté d’alerter les médias nationaux. France 2 et TF1 se sont tout de même fendus d’un reportage, mais trop tard, beaucoup trop tard.



La pression médiatique aurait pu tout changer, mais c’est tellement plus simple de compter les morts que de tenter de réanimer un blessé.



Nous savons hélas que La Rochepot ne sera pas le dernier patrimoine à subir le même sort. Rassurons-nous, il nous restera toujours Versailles et Chambord.



En France, seuls les « grands opérateurs », comme les nomme notre chère Ministre de la Culture, sont soutenus. Les autres peuvent-être rasés, abandonnés, dépouillés ; cela n’intéresse pas nos édiles, alors qu’ils sont pourtant de magnifiques ambassadeurs de nos territoires. Demandez donc au Ministère de la Culture où se trouve La Rochepot sur une carte, nous ne sommes pas certains d’avoir spontanément la bonne réponse….



Nous dédions cet article à Romuald Pouleau, fils et petit-fils des régisseurs de La Rochepot qui aujourd’hui pleure le château qui l’a accompagné toute sa vie durant…



Le collectif « sauvons les meubles » s’est mobilisé une fois encore pour dire non au pillage du Château de la Rochepot.



Romuald Pouleau, membre du collectif et amoureux de « son » château, a souhaité à cette occasion accomplir un geste fort. Devant la presse, il a rendu sa carte d’électeur, puisque les pouvoirs publics ont « abandonné » l’édifice et que la majorité des élus a malheureusement réagit trop tardivement.



Il semblerait que personne ne se préoccupe vraiment du sort de l’édifice, alors qu’il est un des plus beaux joyaux du patrimoine Bourguignon. Qu’on ne nous parle plus « d’attractivité des territoires », si d’un revers de la main on envoie aux oubliettes les représentants les plus illustres de cette attractivité.



Mais nous savons que dans les « hautes sphères », on ne se préoccupe guère du patrimoine des territoires. Tant que le Louvre et la Tour Eiffel brilleront, le reste peut attendre. Décidément, nous allons finir par croire que Paris, ce n’est pas la France.



En tout cas, nous sommes admiratifs de cette mobilisation locale et nous comprenons mieux que quiconque la déception de toutes ces personnes si attachées à leur commune et à leur patrimoine.


À moins d’un miracle, la vente aura bien lieu dimanche…



Un de nos brillants membres de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, Éric Sergent, s’était intéressé au Château de la Rochepot et avait même écrit à la Direction Régionale des Affaires Culturelles il y a quelques temps pour les alerter. Il a accepté de rédiger cet article afin de nous éclairer un peu plus sur l’intérêt de sauver le mobilier de ce malheureux édifice, otage d’une procédure judiciaire.



Eric Sergent est diplômé de Sciences Po Lyon et d'un master 2 en histoire de l'art de l'Université Lumière Lyon 2. Il est actuellement doctorant en histoire de l’art du XIXe siècle à l’Université Lumière Lyon 2 (LARHRA-UMR5190) et prépare une thèse de doctorat consacrée à l’art funéraire de la seconde moitié du XIXe siècle à Paris, Lyon et Dijon. Ses recherches portent de manière générale sur l’histoire de la sculpture et du monument public au XIXe siècle, en lien avec l’histoire des mémoires et l’histoire culturelle. Il est l’auteur d’une monographie consacrée au statuaire Paul Gasq (2018) et a publié deux ouvrages intitulés 1870-1871, souvenirs d’une défaite (2020) et « Passants, ne les oubliez pas » La mémoire de la guerre de 1870-1871 en pays nuiton (2021) aux Éditions Universitaires de Dijon.



Le château de la Rochepot est sans aucun doute l’un des fleurons du patrimoine du sud de la Côte-d’Or et, plus largement, du patrimoine bourguignon.




Son origine remonte à 1180, mais c’est au début du XIIIe siècle que le château fut érigé sur le promontoire rocheux où il trône actuellement. La famille Pot posséda le château entre 1403 et 1493, Régnier Pot transmettant le domaine à son fils Jacques, qui lui-même le transmit à son propre fils, Philippe, dont le célèbre tombeau est conservé au musée du Louvre. Les Pot y firent d’importants travaux, au premier rang desquels l’érection de la grande tour ronde au nord-est. Le château fut également la propriété de Pierre Legoux de la Berchère, premier président du parlement de Bourgogne, à partir de 1645.



Au XVIIIe siècle, le château de la Rochepot connaît bien des vicissitudes. Vendu dans les années 1740, le château est mis sous scellé en 1792 et vendu comme bien national en 1799, le mobilier ayant été déjà dispersé en 1798. Le nouveau propriétaire entreprend alors la démolition de l’édifice pour en vendre les matériaux…



Si de nombreux malheurs s’abattent sur l’édifice au XIXe siècle, il est acquis par Mme Carnot, épouse du Président de la République, et offert à son fils Sadi Carnot pour le nouvel an 1894. Fasciné par ces ruines, il s’attela immédiatement à leur restauration, ou pour mieux dire à leur reconstruction, intégrale, œuvre titanesque qu’il confia à l’architecte Charles Suisse à partir de 1897. A la mort de l’architecte en 1906, Henri Chabeuf affirma que ce qui fut « naguère un décor de ruines décharnées » était devenu « le Pierrefonds de la Bourgogne » (1), grâce à la volonté de Sadi Carnot et aux compétences de Charles Suisse.




Le mobilier qui doit être mis en vente ce dimanche 10 octobre 2021 est indissociable de cette restitution architecturale du début du XXe siècle, et constitue une source majeure pour comprendre l’histoire de ce château. Parmi les dizaines de lots, il convient de souligner l’intérêt des modèles en plâtre par Schanosky qui préparent les sculptures de la chapelle ou de la chambre de Sadi Carnot, ainsi que le modèle du haut-relief aux armes de la famille Pot, sculpté au-dessus de la grande porte du château. La statue en plâtre du Président Sadi Carnot, par Mathurin Moreau, modèle pour la statue de marbre du monument de la place de la République à Dijon, est une œuvre importante de l’histoire de la statuaire publique dijonnaise de la fin du XIXe siècle. Ces modèles en plâtre, pièces fragiles et rares s’il en est, sont précieuses pour l’histoire de la sculpture et de l’ornementation. Enfin, les nombreuses pièces du mobilier de style néogothique, livré par le menuisier Daudon-Girard ou la maison Schanosky, entre 1902 et 1913, ou encore les remarquables cadeaux offerts par la dernière impératrice de Chine, Tseu-Hi, au Président Sadi Carnot, alors ministre des Travaux publics, présentent un intérêt majeur pour la sauvegarde du patrimoine de ce bâtiment. Le château de la Rochepot, vidé de son mobilier du XIXe et du début du XXe siècle, perdra une partie de son âme. Cet ensemble de meubles et d’objets d’art fonctionne avec l’architecture restituée par Charles Suisse. Il convient enfin de rappeler, comme l’indique la description des lots, qu’un certain nombre de pièces sont classées au titre des monuments historiques, preuve de leur intérêt historique, patrimonial ou esthétique majeur.



Il est évident que la procédure judiciaire ne peut et ne doit être contestée. En revanche, le vente du mobilier classé et historique du château semble particulièrement dommageable pour l’histoire du lieu, et pour son avenir en tant que site touristique et patrimonial, qui fut l’un des premiers de Bourgogne lorsqu’il ouvrait encore ses portes au public.





La Gazette Drouot annonçait, au printemps dernier, qu’« une vente aux enchères du mobilier non classé, voire de l’édifice, serait envisagée ». Cela ne laissait pas présager une telle issue. Terminons ce court plaidoyer en reprenant l’appel que formulait déjà La Gazette, en avril 2021 :



Une acquisition par le Département ou la Région serait la bienvenue, mais l’essentiel reste que son futur propriétaire le rouvre au public, afin qu’il continue à raconter la longue histoire contenue dans ses pierres. (2)



Sauvé de la ruine par les Carnot au tournant des XIXe et XXe siècles, il serait fort dommageable que le château de La Rochepot ne soit vidé de son mobilier et amené à revivre quelques-unes des heures les plus tristes de son histoire.



Les informations historiques de cet article sont extraites de : Laurent Saccaro, Le goût du Moyen Âge en Bourgogne. La Rochepot et les châteaux néogothiques (1820-1940), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2016 (en particulier Partie III, « Le château de la Rochepot, histoire et architecture », p. 125-214).



NOTES


(1) Henri Chabeuf, « Notice nécrologique de Charles Suisse », Mémoire de la Commission des antiquités du département de la Côte-d’Or, t. 15, 1906-1909, p. XCIII-XCIV.


(2) Anne Doridou-Heim, « La Rochepot, le château au bois-dormant », La Gazette Drouot, 8 avril 2021, en ligne ici.

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