top of page

Urgences Patrimoine a créé en 2021 la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, afin de valoriser et de faire connaître un patrimoine souvent mis à l’écart des dispositifs de sauvegarde. Pourtant, ce patrimoine est un digne représentant de notre mémoire collective, et au-delà de leurs fonctions premières, les cimetières sont de véritables musées à ciel ouvert.



L’Association Patrimoine Aurhalpin, la plus grande association de sauvegarde du patrimoine de la Région Rhône-Alpes, est à l’origine d’une initiative inédite : Le printemps des cimetières. Cette année, notre commission participera à cette 7ème édition, et nous vous invitons à faire de même dans vos régions respectives.



N’hésitez-pas à vous inscrire sur le site officiel : https://printempsdescimetieres.org


Ou contactez-nous : urgences.patrimoine@gmail.com



Présentation :



La 7ème édition du Printemps des cimetières se déroulera du 20 au 22 mai 2022, dans toute la France. Seul événement national dédié à la découverte du patrimoine funéraire et des cimetières, il a été créé par Patrimoine Aurhalpin en 2016. L’événement se tient chaque année lors d'un week-end choisi au mois de mai. L’objectif est de valoriser ce patrimoine méconnu en regroupant, à l’occasion d’un événement commun, un programme culturel varié à destination du grand public.



Pour la deuxième année consécutive, un thème a été retenu afin de mettre en lumière un aspect spécifique du patrimoine funéraire et de guider les organisateurs dans l’élaboration de leurs animations. La thématique de cette édition est : « Mémoires de guerres aux cimetières ».Il est proposé, à travers cette thématique :

  • de mettre en lumière des femmes et des hommes qui se sont illustrés ou dont l’histoire est liée aux grands conflits contemporains de ces dernières décennies, qu’ils soient des combattants, des médecins, des industriels, des résistants, des figures politiques, des civils, … ;

  • d'aborder les sites où reposent les combattants et leur gestion : carrés militaires dans des cimetières communaux, nécropoles nationales, cimetières militaires étrangers, … ;

  • d'expliquer la symbolique et l’architecture des monuments funéraires liés à ces grands conflits.


Ces quelques pistes ne sont pas exhaustives et le respect du thème reste facultatif. Il ne s’agit pas d’un critère de recevabilité de l’inscription.Les seules modalités à remplir sont : le respect des dates de l’événement et de son sujet, à savoir le patrimoine funéraire et les cimetières.



Vous êtes une association, une collectivité, une entreprise, un musée, un office de tourisme et vous souhaitez faire découvrir le patrimoine funéraire au grand public ? Participez au Printemps des cimetières et rejoignez notre réseau d’organisateurs !



Pour cela, il suffit d’inscrire les animations proposées (visites guidées, conférences, expositions, visites libres, …) via le formulaire mis en ligne sur le site internet de l’événement. L’inscription à l’événement est gratuite et vous permet d’intégrer la programmation officielle du Printemps des cimetières.



Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au vendredi 25 mars 2022*.



Toutes les informations concernant l’événement sont à retrouver sur le site internet du Printemps des cimetières : https://printempsdescimetieres.org





*Au-delà de cette date les inscriptions sont encore possibles mais les organisateurs ne pourront pas bénéficier des documents de communication papier.

Ce n’est pas la première fois qu’Anaïs Poitou nous fait part de sa passion pour le patrimoine funéraire, mais aujourd’hui elle nous dresse le bilan d’une journée de travail très particulière. Journée qui aura permis d’indexer le cimetière de Navarre, plus communément appeler « Cimetière des Fous », afin que les noms des défunts ne disparaissent pas pour toujours au moment où les travaux de la déviation d’Evreux feront table rase du lieu.



Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.



Un dimanche au cimetière



Dimanche 11 Juillet, afin de permettre l'indexation du cimetière des indigents de Navarre, situé à l'écart de l'hôpital psychiatrique d'Evreux, j'ai réuni une dizaine de volontaires. Parmi eux, ma famille et mes amis étaient présents, ainsi que deux membres de l'association Les Gilets Bleu Horizon, le président Alain Raoul et sa vice-présidente Laure Guillaud. Deux volontaires ayant un ancêtre dans le cimetière nous ont également rejoint dans ce projet. Tout ceci a pu se faire dans le cadre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, mise en place par l'association Urgences Patrimoine.



Le cimetière étant à l'abandon depuis plus de 10 ans, nous avons eu beaucoup de travail ! Le site se divise en quatre grandes parties, que nous avons décidé de nommer carrés A, B, C et D en partant d'en haut à gauche. En nous séparant en différents groupes, nous avons pu effectuer un travail méthodique et rapide.




Une équipe de cinq volontaires était au débroussaillage, un travail fastidieux, d'autant plus dans le carré C qui était presque en totalité recouvert de ronces qui cachaient un grand nombre de stèles et de tombes en pierre. Ce travail a permis de retrouver plusieurs noms et matricules tombés dans l'oubli, uniques vestiges de l’identité de ces défunts. Au niveau des carrés A et B, le principal travail de débroussaillage se situait vers le haut. En effet, plusieurs arbustes avaient poussé, cachant deux à trois rangées de tombes, ce qui nous a permis de les rendre visibles et de pouvoir les photographier par la suite. Le carré D n'a pas nécessité de débroussaillage particulier, car les sépultures qu'il contenait ont en grande majorité étaient relevées au cours de ces dernières années. Aujourd'hui, il ne reste qu'une dizaine de tombes, entourées d'hautes herbes. Il y aurait eu dans ce carré les tombes des religieuses ayant eu en charge, pendant plusieurs années, le secteur dédié aux femmes de l'hôpital, mais elles auraient été exhumées et déplacées dans leur monastère d'origine, en Vendée.



Deux autres équipes, composées de trois volontaires chacune, se sont quant à elles concentrées sur le travail d'indexation. Pendant qu'un volontaire notait les noms et autres informations disponibles sur les stèles et les monuments, un second prenait chaque tombe en photo à deux reprises. La première photo est pour l'ensemble de la sépulture, et la seconde est un gros plan des plaques ou matricules en zinc visibles, mais aussi des noms gravés dans la pierre. Le troisième volontaire déposait des morceaux de laine sur les tombes afin d'avoir un repère pour ne pas faire de répétitions avec les noms et les photos. La première équipe a pris en charge les carrés A et C, et la seconde les carrés B et D.



Cette indexation a duré toute la journée, ce qui nous a permis de vraiment prendre le temps de trouver une majorité de tombes disparues, mais aussi de retrouver des noms. Si pour les croix et stèles de bois, il était simple de déchiffrer le nom ou le matricule gravé sur les plaques, cette expérience était plus difficile pour les tombes en pierre. Au fil du temps, les noms et dates inscrits dans la pierre se sont effacés, et il a fallu souvent utiliser papier et crayon pour déchiffrer les informations. Ce fut une découverte à chaque inscription qui apparaissait.



Dans l'après-midi, suite à un piquenique champêtre, sous le couvert des arbres, nous avons continué notre indexation en modifiant quelque peu nos équipes. Certaines personnes ne pouvaient pas rester l'après-midi, mais le débroussaillage était terminé.



Nous avons donc divisé notre groupe de huit en deux groupes de quatre. La quatrième personne des équipes avait en charge le nettoyage des plaques ou des tombes en pierre, avant le passage du photographe, puis elle épelait les noms, ce qui facilitait l'avancée de la personne en charge de les noter. Pendant notre indexation, nous avons eu la chance de rencontrer Manon Maurin et Aldéric Tardivel. Manon est à l’origine de la pétition pour la préservation du cimetière qui a aujourd’hui atteint plus de 1 000 signatures. Grâce à cette pétition, le cimetière des indigents a été découvert ou redécouvert par de nombreuses personnes, en témoignent les visiteurs que nous avons pu rencontrer le jour de notre indexation.



L’un des plus beaux témoignages que j’ai pu voir au cours de mes nombreuses visites ces dernières semaines, ce sont les dépôts de roses fraîches sur les tombes de pierre et aux pieds des stèles de bois, sans aucune distinction. Ce beau geste est émouvant car une tombe fleurie est une tombe qui n’est pas abandonnée, et cela prouve que des personnes se rendent encore dans le cimetière.



Ce travail a pour but de ne pas oublier ces défunts, ainsi que ce cimetière, dont l'histoire est liée au Nouvel Hôpital de Navarre. A travers ce projet d'indexation, nous souhaitons sauvegarder la mémoire de ce lieu avant que les travaux de la déviation Sud-Ouest ne le fasse disparaître.



Avec nos différents croquis, registres de noms et les nombreuses photos prises au cours de cette journée, nous avons pu établir un travail précis avec la localisation de chaque tombe et des informations que l'on a pu trouver.




Dans le futur, nous pourrons comparer nos découvertes avec les registres du cimetière. Le site possède par ailleurs du mobilier, comme un four crématoire situé en haut du carré A, à l'extérieur du cimetière, un abri pouvant servir au gardien dans la partie basse du carré C ou encore un calvaire en son centre. Un ossuaire, servant à déposer les ossements des sépultures les plus anciennes du cimetière afin d'y faire de la place, est visible dans la partie droite, en haut du carré B.




Nous avons d'ailleurs pu retrouver, grâce à un travail de description de dalle funéraire, la tombe d'un prêtre, placée à la gauche du calvaire, dans le bas du carré A. Ce prêtre, Jean-Charles LEMONNIER, a travaillé à l'hôpital, tout comme plusieurs infirmières et infirmiers, au nombre de six, se trouvant eux-aussi dans le cimetière. La sépulture d'Adrien BARILLON, soldat Mort pour la France, se trouve quant à elle en haut à gauche du carré C. La tombe d'un médecin, aujourd'hui relevée, se trouvait quant à elle dans le carré D.



Concernant les autres sépultures de pierre, stèles et croix de bois, il semblerait que ces tombes soient celles des patients de l'hôpital. Parmi ces tombes, une grande majorité se compose de stèles sous forme de croix en bois, mais on compte aussi une quarantaine de tombes en pierre, et environ une vingtaine de stèles plates en bois. Sur les 522 sépultures retrouvées, 97 d'entre- elles n'ont pu être identifiées, et une dizaine possèdent un matricule sans nom. Seules les sépultures de pierre ont pu être datées, les dates apparaissant en dessous des noms, mais ce n'est pas le cas de toutes. Sur l'ensemble, on remarque d'ailleurs qu'il y a une majorité de femmes identifiées et inhumées dans le cimetière, pour environ 210 tombes, les hommes identifiés étant probablement au nombre de 189. Au cours de notre indexation, nous avons pu observer des animaux se promener sur le site, comme des lapins ou encore des souris, mais aussi de nombreux insectes, notamment des papillons : la nature reprend peu à peu ses droits sur la forêt.


Au cours de notre journée, nous avons pu faire la rencontre de nombreux visiteurs venus se recueillir en ce lieux, ou en faire la découverte. Parmi eux, il y avait un adepte du cimetière : il s'y rend régulièrement depuis 2007 ! En discutant avec lui, il nous a partagé l'une de ses idées concernant le devenir du cimetière et de la mémoire des défunts. Si les exhumations ne peuvent être faites, nous aimerions qu'il y ait au moins l'élévation d'un monument ou d'une stèle à la mémoire de ces personnes.



Si l'hôpital a proposé de déplacer le calvaire du cimetière afin de conserver une trace du lieu, ce visiteur aimerait élever une petite chapelle du souvenir, et placer toutes les plaques d'identifications en zinc, qui auraient été préalablement récupérées dans le cimetière, afin de les placer sur les murs de la chapelle. Ce serait comme un mur du souvenir, rendant hommage à ces personnes tout en conservant une trace de leur identité. C'est une belle idée qui mérite réflexion.



Afin de compléter ce descriptif de notre travail, j'ai demandé à mes proches de me décrire leur ressenti au cours de cette journée.



« Cette journée m'a permis de donner du temps pour une bonne cause, même si le cimetière est voué à la destruction d'ici peu. Participer à cette indexation nous permet de ne pas oublier tous ces défunts et de conserver leurs traces. De plus, effectuer ce travail nous a permis d'avoir une autre réflexion sur les cimetières et sur le patrimoine funéraire en général, sur le devenir de ces défunts. Le cimetière nous concerne tous, et ce qui frappe ici, c'est l'immoralité envers ces morts oubliés pour leur folie, et prochainement recouverts par les remblais de la déviation. » Laurence Poitou.



« Cette indexation nous a permis de créer des liens et de faire des connaissances autour d'un sujet qui nous rapproche malgré nos différents horizons. Ce projet était à la fois étrange, car nous n'avons pas forcément l'habitude de nous rendre au cimetière. Dans mon cas, le cimetière des indigents est une découverte totale car je ne connaissais pas son existence. Ce fut un cadre de travail agréable car nous nous trouvions au cœur de la forêt et dans le calme. Nous n'avions rien à gagner en menant ce projet, mais nous étions heureux de donner ce que nous pouvions donner pour cette indexation. Même si l'endroit reste agréable, le lieu est très triste. A chaque instant, la peur de piétiner une tombe se fait ressentir. Mais l'envie de redonner une identité à ces défunts prend le dessus et nous donne la force de travailler. Le lieu, malgré l'omniprésence de la nature, confère un aspect triste et délabré à ces stèles de bois et de pierres. C'est une page qui se tourne. » Angeles.




« Le premier sentiment que j'ai ressenti en arrivant dans ce cimetière c'est de la tristesse. La tristesse de voir ce lieu chargé d'histoire abandonné. Puis en apprenant l'histoire de cet abandon c'est de la colère que j'ai ressenti. Comment peut-on laisser à l'abandon un lieu plein d'histoire, surtout lorsqu'il y a un soldat inhumé, tout cela pour une question d'argent et de politique. Participer à ce projet m'a vraiment plu. J'ai l'impression d'avoir été utile à une bonne cause et sortir toutes ces personnes de l'oubli a été à mes yeux la plus belle récompense à nos efforts. » Laure Guillaud, vice-présidente de l’association Les Gilets Bleu Horizon.



« Tout au long de ce travail, j'ai eu un ressenti étrange car je n'aurais jamais imaginé me rendre dans un cimetière pour faire une indexation il y a encore quelques mois. Mais faire partie de ce projet, c'est avant tout aider ma fille, mais aussi donner de mon temps pour une bonne cause, ce qui m'a fait plaisir. Nous avancions rapidement et méthodiquement, sortant ces défunts de l'oubli. En effet, la plupart des stèles de bois avaient été recouvertes par la végétation des lieux. Nous avons également retrouvé de nombreuses plaques, redonnant une identité à ces personnes. » Stéphane Poitou.




Je tiens à remercier chaleureusement les volontaires, familles, amis comme nouvelles connaissances, d'être venus m'aider dans ce projet : notre travail d'équipe a porté ses fruits. Merci à mes parents Laurence et Stéphane Poitou, et également à Victor Patry, mon conjoint. Merci à Alain et à Laure d'avoir fait le déplacement depuis Rouen, mais aussi à Agathe et à Didier, que j'ai été ravie de rencontrer. Je tiens également à remercier Angeles, Mathilde et Antoine d'être venus. C'est grâce à vous et à votre travail que cette indexation a pu être réalisée.


Pour en savoir plus, n’hésitez pas à me contacter : anais27000@hotmail.fr



Pour contacter la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire : urgences.patrimoine@gmail.com



Le cimetière des indigents en quelques chiffres :



  • 522 tombes, dont environ 210 pour les femmes et environ 189 pour les hommes

  • 97 inconnus

  • 454 croix de bois

  • 45 sépultures en pierre

  • 18 stèles de bois, symbolisant une appartenance religieuse différente autre qu'à la religion chrétienne

  • 13 matricules sans noms

  • 4 monuments composés de sépultures en pierre et de croix de bois

  • 1 soldat Mort pour la France

  • 6 infirmiers, dont 2 infirmières

  • 1 médecin

  • 1 prêtre

  • 1 calvaire

  • 1 four crématoire

  • 1 ossuaire

  • 1 abri de gardien


Nous avions évoqué le sujet brièvement hier, mais voici un article détaillé concernant le cimetière de Navarre, menacé de destruction suite au tracé de la déviation d’Évreux. Article rédigé par Anaïs Poitou, membre des Gilets Bleu Horizon et membre de la toute nouvelle Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire créée par Urgences Patrimoine.



Anaïs Poitou est actuellement en Service Civique à la Conservation départementale de l’Eure. Suite à sa Licence d’Histoire et à son Master Valorisation du Patrimoine, elle a choisi de s’engager dans la protection et dans la valorisation du patrimoine funéraire pour lequel elle porte un grand intérêt. Membre de la Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire et du collectif Les Gilets Bleu Horizon, elle souhaite s’impliquer dans cette cause qui lui tient à cœur.



Le cimetière des Fous de Navarre



A Evreux, dans l’Eure, un espace funéraire est en danger. Le cimetière des indigents de l’ancien hôpital psychiatrique de Navarre est caché dans un écrin de verdure, où passera très prochainement la déviation Sud-Ouest contournant la ville d’Evreux. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore ce que les corps vont devenir.



L'hôpital psychiatrique de Navarre



L'Asile d'Aliénés d'Evreux, situé dans le quartier de Navarre, a plus de 150 ans aujourd'hui. Son histoire est retracée à travers les objets et les archives du musée consacré à ce lieu par deux anciens cadres de l'hôpital. Au cours des années 1920, plus de 1000 patients pouvaient être réunis dans le centre hospitalier. L'hôpital changera de nom à de nombreuses reprises, devenant Hôpital Psychiatrique en 1937, puis Centre Hospitalier Spécialisé de Navarre, avant de devenir l'actuel Nouvel Hôpital de Navarre.



C'est suite à la loi de Jean-Etienne Esquirol en 1838, instaurée sous le règne de Louis-Philippe, que tous des départements français ont dû se doter d’un asile psychiatrique. Le but était d'y recevoir tous les malades de l'époque, ainsi qu'un certains nombres d'indigents, trop pauvres pour subvenir à leurs besoins. L'asile de Navarre a ouvert ses portes en 1866, après 5 années de travaux, et il pouvait alors accueillir jusqu’à 300 pensionnaires. Cet hôpital était véritablement une ville dans la ville, où tous les corps de métier pouvaient se trouver, car coupé du reste de la commune située à deux kilomètres. C'est de cette manière, grâce aux champs et aux fermes l'entourant, que l'hôpital a pu vivre en autosuffisance pendant plusieurs décennies. Au centre du complexe hospitalier trône une chapelle dédiée à la Vierge Marie, rappelant la primauté religieuse de l'hôpital au cours du siècle passé : les malades furent surveillés par des religieuses pendant une centaine d’années. Du fait de son autarcie, l'hôpital possède un cimetière, souvent caractérisé comme « cimetière des fous ». Pourtant, ce champ du repos contient aussi les sépultures de nombreux membres du personnel soignant, infirmières comme infirmiers et docteurs, et même une tombe de soldat Mort pour la France.



Un espace muséal a d’ailleurs été créé par Alain Desgrez et Jacques Vassault après 40 ans de carrière au service de l'hôpital. Ces deux retraités ont choisi de mettre en avant tous les aspects du passé de l'asile de Navarre afin de transmettre leurs connaissances de la psychiatrie. Ce musée se trouve sous la chapelle de l'ancien hôpital, et se compose de plusieurs salles contenant divers objets liés à l’histoire de l’hôpital en lui-même et de la psychiatrie. L'espace muséal de Navarre ouvre ses portes à la demande des visiteurs.



Situé dans une forêt à l'écart de tout lieu de vie, à l'arrière de l'ancien Hôpital Psychiatrique de Navarre, le cimetière repose dans le calme et dans le silence. Les sépultures furent mises à cet endroit dans le but d'être cachées du reste de la société, car la psychiatrie était un sujet tabou au XIXème siècle, ce dont ce cimetière témoigne. Lors de sa création entre 1865-1866, ce cimetière a pour but premier d’accueillir les patients et les membres du personnel, décédés des suites d’une épidémie de choléra. Un muret fut ainsi érigé pour délimiter ses frontières. En le plaçant à l’abri des regards, les habitants de la ville ne pouvaient pas voir les morts de l'asile. La majorité des stèles sont identiques, ce qui ne permet pas de différencier les aliénés les uns des autres.



Pour atteindre le cimetière des « Fous de Navarre », il faut tout d'abord traverser un chemin entre champs et forêt de chênes. De loin, on ne se rend pas compte qu'un cimetière se cache sous ces arbres, mais c'est en s'approchant que l'on aperçoit ces croix alignées, ceinturées d'un muret de silex. Le site possède sur sa partie basse un bâtiment qui servait à la surveillance du cimetière, et un four crématoire, aujourd’hui effondré, dans sa partie haute. Scindant le cimetière en deux, il y a un escalier au pied duquel se trouve un calvaire. Certains vestiges du souvenir sont encore visibles, notamment des fleurs de céramiques ou encore des plaques de commémorations. Placer au cœur de la forêt, l'ambiance de ce lieu est étrange, la nature ayant repris ses droits, il est parfois difficile de se rendre compte que cet endroit est un cimetière avec sa forêt de croix de bois qui se confond avec les hautes herbes. Eloigné de l'hôpital et de tous, ce cimetière fut peu à peu oublié. Il est pourtant un témoin important des modalités funéraires pour l'inhumation des aliénés, longtemps ostracisés dans la vie comme dans la mort.



Pendant de longs siècles, la folie a fait peur, et l'on ne souhaitait pas connaître le sort des fous, ce qui explique d'une part le placement hors de la ville de l'hôpital, mais aussi la situation du cimetière, d'autant plus écarté. Aujourd'hui, entre 460 et 480 tombes sont encore visibles, les premières ayant été misent en place en 1866, alors que la dernière inhumation a eu lieu en 1974. Son utilisation est donc diverse : il accueille à la fois les patients de l'hôpital autant que son personnel. Au total, ce sont plus de 1600 corps qui ont été inhumés au fil des années dans ce champ du repos, mais la plupart d’entre eux ont été déplacés dans l’ossuaire du site.



Depuis 2010, le terrain du cimetière n'appartient plus à l'hôpital de Navarre mais à l'Etat, ce dernier souhaitant mettre en place la déviation Sud-Ouest d'Evreux, en passant par la forêt où se trouve le cimetière. Ces travaux vont être un second enterrement pour ces corps dont le devenir reste aujourd'hui encore incertain. Depuis la vente du cimetière les 2 700 m² de terrain n’ont plus jamais été entretenus




Les différents carrés du cimetière sont donc aujourd'hui en total abandon. Les stèles de bois tombent ou se désagrègent au fil du temps. Les premières stèles se composaient de matricules inscrits sur des plaques de fer qui englobaient les personnes atteintes de folie dans un même groupe sans nom, supprimant la personnalisation. Certaines sont encore visibles aujourd’hui, mais la grande majorité d’entre elles comportent simplement un nom et un prénom. Aucune date n'est inscrite, que ce soit pour la naissance comme pour le décès. D'autres sépultures se démarquent par des stèles de pierre pour les infirmières et les infirmiers, ou encore par des pierres tombales en béton gravillonné, dont une en marbre pour un docteur, mais elles sont aujourd'hui tout autant abandonnées. Ce cimetière ne renferme pas seulement des fous, mais aussi un grand nombre de membres du personnel soignant, et des tombes de religieuses furent longtemps visibles. Ces dernières ne semblent plus se trouver au cimetière aujourd’hui, car leurs corps auraient été rapatriés dans leur lieu de culte d’origine. Parmi les tombes encore visibles se trouve également au moins un soldat Mort pour la. De nombreuses sépultures ont été visitées au cours des années d'abandon, certaines d'entre elles sont aujourd'hui ouvertes, ce qui témoigne d'un état plus qu'alarmant de la situation.



Une pétition a été lancée par Manon Maurin sur le site Change.org. Elle travaille dans le monde du funéraire et est passionnée par ce patrimoine. Son souhait est de permettre la protection des corps inhumés dans ce cimetière. A ce jour, la pétition a déjà été signée par plus de 680 personnes. Le but est de permettre la conservation de l'intégrité des cadavres en accord avec l’article 225-17 du Code Pénal, stipulant que « toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Le recouvrement d'un cimetière sous une couche de goudron sans en prélever les corps est sans aucun doute une atteinte à l’intégrité d’un cadavre…



De plus, il faut savoir que la tombe d’un soldat Mort pour la France doit bénéficier d’attention particulière. En effet, ces tombes sont à charge de l’Etat, qui doit les entretenir, ce qui ne semble pas être le cas ici au vu de l’état actuel de la tombe.



La déviation Sud-Ouest d'Evreux



Depuis plusieurs années, le projet de déviation autour d'Evreux est annoncé. Cette déviation a pour but de désengorger les entrées et sorties aux heures de pointe, mais aussi de finaliser la déviation de la partie Sud de la ville.Les travaux de cette déviation, malgré les nombreux retards accumulés depuis 2013, viennent d'être relancés à environ 1 kilomètre du cimetière des indigents de Navarre, et s'en approchent de plus en plus rapidement. D’où notre grande inquiétude.



Le sort du cimetière est aujourd'hui scellé, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas tenter de sauver l'intégrité de ces corps. La Préfecture a depuis peu affirmé que cette intégrité des corps serait respectée, mais nous n’avons pour le moment aucun détail et aucune information sur le sujet. En déplaçant ces restes humains dans l'un des ossuaires du cimetière de la ville ou bien dans un ossuaire dédié, la mémoire de ces défunts serait respectée. Cela ne serait pas le cas en les recouvrant d’une route. Le Nouvel Hôpital de Navarre, qui fut propriétaire du cimetière jusqu'en 2010, prévoit de mettre en place une plaque à la mémoire de ces défunts et de déplacer l'actuel calvaire du cimetière, mais il serait judicieux d’ériger une stèle avec le placement des restes de ces défunts en dessous, afin de leur attribuer une place où ils seraient en paix. Aujourd'hui encore, on ne connait pas le devenir de ces restes humains. Pourtant, de nombreux cas similaires ont déjà eu lieu car le cimetière des indigents de Navarre n'est pas le premier et ne sera pas le dernier à disparaître pour mettre en place des routes ou des parkings.



A ce jour, les recherches n'ont pas permis de montrer une indexation totale du cimetière, ce qui aura prochainement lieu avec le collectif des Gilets Bleu Horizon. Ainsi, les noms de ces pensionnaires, personnel médical et soldat ne seront pas oubliés, et une traçabilité des corps sera plus ou moins possible.


Un exemple comparatif : le cimetière de Cadillac en Gironde



En France, il existe de nos jours très peu de cimetière considérés comme étant des cimetières de fous ou d'indigents. En effet, ils ont bien souvent été détruits ou abandonnés au fil du temps. Pourtant, à Cadillac, le cimetière des fous contient de nombreuses tombes de Poilus oubliés de la Grande Guerre. La folie des soldats revenant du front a souvent été occultée, mais ce cimetière en est témoin. Si toutes les blessures de guerre n'étaient pas visibles, de nombreux soldats ont fini leurs vies au sein des asiles d'aliénés, enterrés dans les cimetières des hôpitaux où ils furent oubliés. Le cimetière de Cadillac est l'un d'entre eux.



Ce cimetière se compose de dizaines de croix de fer, longtemps rouillées par le temps, mais aujourd'hui rénovées par une association souhaitant la réhabilitation des soldats inhumés. Toutes alignées les unes à côté des autres sur un terrain plat et caillouteux, ces 898 stèles ne sont pas loin de l'hôpital psychiatrique où tous ces patients rendirent leur dernier souffle. Parmi ces centaines de stèles, dix rangs comptant 99 corps pour 98 sépultures se démarquent. Inhumés en pleine terre, elles ne possèdent aucune pierre tombale et seules 29 d'entre elles comportent un nom, les autres restant anonymes. Une plaque en marbre placée sur l'un des murs de l'ancien asile rappelle le rôle des défunts enterrés ici : « Les anciens combattants de Gironde à la mémoire de leurs camarades mutilés du cerveau victimes de la guerre 1914-1918 ». Se trouve ainsi une petite centaine des tombes de Poilus au cimetière des fous de Cadillac.




Pendant des années, ce cimetière fut oublié par la municipalité et les tombes s'effondraient, au point qu'un projet de parking avait été mis en place pour faire table rase du passé. C'est grâce à son inscription au titre des Monuments Historiques en 2010 par le professeur Michel Bénézech que ce site fut sauvé, en partenariat avec l'Association des Amis du cimetière des oubliés, fondée en 2008. Le cimetière de Cadillac est en effet l'un des rares témoins des blessures invisibles de la guerre. Suite au commencement de la guerre en 1914, les hommes avaient peur d'être appelés au front, et une hausse des admissions en asile psychiatrique s'est fait ressentir, mais cela touchait aussi les combattants revenant de plusieurs semaines ou mois sur le front.



De 1914 à 1925, l'asile d'aliéné de Cadillac recevra 561 soldats de toutes nationalités, dont 201 qui mourront en son sein. Parmi eux, 99 sont inhumés dans le cimetière de l'hôpital, abandonnés par la société autant que par leur famille. La folie était pendant des années un sujet tabou, une peur qui n’avait aucun remède. Les familles préféraient ainsi oublier ces soldats, devenus honteux de par leur folie. Cette folie était souvent dû à ce qu'on caractérise aujourd'hui comme syndrome post-traumatique. Les cas les plus graves seront internés à Cadillac.



Depuis sa réhabilitation et sa mise en travaux qui a duré 2 ans, le cimetière peut à nouveau être visité depuis 2020, grâce au travail de l'Association des Amis du cimetière des oubliés. Suite aux recherches menées, les noms de toutes les personnes inhumées sur place ont été inscrits sur un mur du souvenir, leur rendant ainsi hommage et les sortant de l'anonymat. Les travaux travaux de réhabilitation de ce cimetière de l'oubli ont principalement été financés par la Région Nouvelle-Aquitaine pour une somme d'un million d'euros au total. Le cimetière de Cadillac a échappé à la destruction, mais ce genre de protection est assez rare dans le cadre du patrimoine funéraire.


——


« Notre » cimetière de Navarre est celui d'un ancien asile du XIX siècle contenant une majorité de « fous », mais s'il avait été un cimetière d'un tout autre genre, peut-être que la question de sa disparition ne se serait jamais posée. Si vous aussi vous souhaitez vous engager contre cette destruction, merci de signez la pétition mise en place par Manon Maurin. Ainsi, peut-être arriveront nous à permettre à ces défunts de trouver la paix ailleurs que sous une épaisse couche de bitume. A ce jour, nous sommes plus de 680 à avoir signés. Notre but n'est pas d'empêcher les travaux de cette déviation, nécessaire à la bonne circulation de la ville d'Evreux, mais bien de pouvoir déplacer ces ossements dans des ossuaires, et donc dee respecter la mémoire de ces défunts oubliés.






Dans le cadre de mes recherches sur le cimetière de Navarre, si vous avez des membres de votre famille, ou si vous connaissez des personnes qui ont des membres de leur famille inhumés dans ce cimetière des "Fous », merci de me contacter : anais.poitou@gmail.com



Sitographie :



Sur l'hôpital de Navarre à Evreux





Sur le cimetière des indigents de Navarre








Cimetière de Cadillac







La déviation Est-Ouest d'Evreux


Subscribe
bottom of page