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Comme beaucoup d’habitants de la métropole de Rouen, nous n’avions jusqu’alors pas prêté attention au projet « Beauvoisine », sachant qu’il serait l’un des emblèmes pour la candidature de Rouen en tant que Capitale de la Culture 2028. Nous avions plutôt tendance à faire confiance aux professionnels qui portaient ce projet, mais nous aurions dû être plus vigilants, car lorsqu’un maire envisage de déboulonner la statue de Napoléon devant son Hôtel de Ville, il n’y a rien de surprenant à vouloir détruire un des fleurons du patrimoine Rouennais, en le transformant en un temple de la virtualité, au détriment des collections et de toute la muséographie qui font du Muséum d’Histoire Naturelle, l’un des derniers Musées tout droit sorti du XIXe siècle.


 


Certes il faut vivre avec son temps, et nous ne nous sommes jamais opposés à l’apport de quelques extensions modernes et à la mise à disposition du public d’outils numériques innovants, à condition de ne pas dénaturer un lieu, une Histoire et toute son infrastructure au nom d’une pseudo modernité, fort coûteuse de surcroit, puisque le montant global du projet flirte avec les 70 millions d’euros.


 


C’est Frédéric Épaud, Membre de la Commission Régionale de l’Architecture et du Patrimoine de Normandie et Directeur de recherche au CNRS, qui nous a alerté, afin que nous puissions agir ensemble contre ce projet qui sonne plus comme un nouveau patrimonicide que comme un projet culturel respectueux.


 


Nous laissons donc la parole à Frédéric Epaud, qui nous fait par de ses inquiétudes quant à l’avenir de ce musée d’exception.



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Les Normands connaissent bien le Muséum d’histoire naturelle de Rouen, avec ses salles de zoologie, de botanique, de paléontologie, de minéralogie, entres autres, avec ses animaux naturalisés provenant de la ménagerie de la foire Saint-Romain, et ses collections d’objets préhistoriques et ethnographiques, qui font voyager le visiteur dans le temps et sur tous les continents.



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Fondé en 1828 dans un ancien couvent du XVIIe siècle, ce Muséum a été un lieu majeur des sciences naturelles au XIXe siècle destiné à l’enseignement, la recherche et la pédagogie, en fonctionnant avec les facultés de Médecine, de Pharmacie, et l’observatoire situés à proximité.  Il fut rapidement l’un des plus remarquables établissements scientifiques français en raison de la richesse de ses collections.


 


Ce Muséum est l’un des rares en France à conserver sa muséographie d’origine, avec des collections qui ont été enrichies au cours des deux siècles passés et qui témoignent de l’histoire des sciences et de l’évolution du regard de la société sur son environnement.


 


Au-delà de la richesse des collections, ce Muséum a su préserver l’esprit des lieux et l’ambiance du XIXe siècle, avec l’ensemble de ses vitrines d’origine en verre soufflé, ses étiquettes écrites à la main par les premiers conservateurs, ses vieux planchers qui craquent, et les anciens escaliers en bois qui donnent à ce lieu un charme unique, une atmosphère sans pareil, qui ont inspiré de grands écrivains comme Gustave Flaubert, Jules Michelet, Guy de Maupassant et plus récemment Philippe Delerm.


 


Dans le dédale des salles et des escaliers qui montent jusque dans les charpentes du vieux couvent, sur les toits du vieux Rouen, on est émerveillé par les milliers de fossiles étranges, les insectes exotiques, les animaux sauvages prêts à se réanimer, les centaines de spécimens de la flore locale ou provenant de l’autre côté de la planète. Ici, le temps s’est arrêté il y a plus d’un siècle.


 


Parcourir ce vieux Muséum est comme faire un voyage à la Belle Epoque, dans l’univers fantastique de Jules Verne, de Sherlock Holmes ou de Harry Potter. On flâne dans une ambiance d’un charme désuet et poétique en découvrant des animaux étranges, des masques de sociétés africaines, des silex taillés préhistoriques, et bien d’autres curiosités venues du monde entier, souvenirs d’expéditions lointaines des explorateurs-aventuriers du XIXe siècle, et qui continuent d’émerveiller les petits comme les plus âgés.



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Car c’est bien cette authenticité qui fait toute la magie de ce lieu, le charme suranné et romantique des anciennes vitrines et des parquets sur lesquels ont marché des générations et des générations de Rouennais depuis son ouverture au public en 1834. C’est la mémoire du lieu et son ancienneté qui en font son succès aujourd’hui auprès d’un très large public.


 


Les autres Muséums en France ont presque tous été rénovés avec une présentation des collections et un cadre architectural plus contemporains comme celui de Cherbourg, qui est en voie de modernisation. Celui de Rouen est donc l’un des seuls à être conservé dans son état d’origine, avec son atmosphère, son charme d’antan et son cadre architectural, ce qui en fait toute sa valeur patrimoniale et aussi son attrait.



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Il a su aussi s’adapter à notre époque en se rendant plus pédagogique, comme avec le rajout en 1959 d’une salle de dioramas d’une qualité saisissante. Après d’importants travaux de remises aux normes en 2006 (rajout d’un ascenseur, d’un escalier de secours, de système d’évacuation des fumées…), sa réouverture en 2007 a vu une fréquentation de 80 000 visiteurs, et depuis près de 50 000 par an (dernières données de 2018), ce qui témoigne de l’attachement des rouennais à ce musée de Muséum.



La précédente direction avait aussi dans les années 2010, valorisé les collections ethnographiques selon le principe du Muséum durable et responsable.  Il s’agit donc d’un Muséum qui est aux normes, qui plaît énormément au grand public justement pour son ambiance vieille époque.



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Pourtant, ce Muséum va être entièrement détruit dans le cadre de la construction du pôle muséal Beauvoisine qui a l’objectif de « repenser dans leur intégralité les collections du musée des Antiquités et du Muséum autour d’un nouveau parcours », avec une modernisation assumée « pour répondre aux attentes de la majorité des visiteurs actuels ».


 


Toutes les salles du XIXe siècle, toute la muséographie d’origine ainsi que les anciennes vitrines vont être supprimées pour une nouvelle scénographie contemporaine, avec une présentation high-tech, de nouvelles vitrines, excepté la salle de l’évolution qui sera conservée à titre de « relique » mais avec de nouvelles collections, et sans son magnifique escalier en colimaçon du XIXe siècle qui sera démonté, n’étant « pas aux normes ».


 

Les planchers et plafonds à la française en bois, pourtant en très bo état, seront remplacés par des dalles béton, les vieux escaliers comme celui à balustre du XVIIe siècle, remplacés par des escalators, et l’ensemble des vitrines d’origine et les menuiseries, envoyés à la benne pour laisser place à un ensemble résolument contemporain.



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Le Musée ne fêtera donc pas en 2028 son 200e anniversaire mais bien son enterrement, pour ne pas dire son assassinat.


 


Ce projet « pôle muséal Beauvoisine », au coût pharaonique de 70 millions d’euros, prévoit aussi la construction d’une tour de 3 étages qui va dominer les toitures en plein quartier ancien, la pose d’une verrière sur le cloître, aussi élégante que celle d’une galerie commerciale, et la construction d’une cafétéria, là encore de style contemporain en plein milieu du parc arboré, là aussi totalement inadapté à l’environnement architectural.



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Ne sont pas concernés dans ce projet les bâtiments des facultés de pharmacie et de médecine situés dans la cour, et qui sont pourtant dans un état déplorable, pour n’avoir jamais été entretenu par la ville. Ces bâtiments renferment un grand amphithéâtre en bois du XIXe siècle, le plus ancien de Normandie (qui aurait pourtant été bien utile pour des conférences) et les anciennes salles de cours du XIXe siècle, restées intactes depuis plus d’un siècle. Le devenir des bâtiments est là aussi menacé puisque la ville envisageait il y a peu de les vendre à des promoteurs privés, comme ce qui a été fait récemment pour quatre églises pourtant classées ou inscrites aux monuments historiques en plein centre historique.



Mais le scénario le pire reste la possible démolition de cet ensemble de bâtiments.


 


Concernant la nouvelle muséographie, les collections du Muséum et du musée des antiquités vont être fusionnées pour « décloisonner les disciplines », tout en les rattachant à de nouvelles thématiques. Il s’agira d’un musée « comme à la maison » fondé sur l’hospitalité, sur l’émotionnel et le ressenti du visiteur devant l’objet en le déconnectant du texte explicatif, et sur l’idée d’apprendre en s’amusant selon des concepts scénographiques très à la mode.



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Ce projet est censé promouvoir la candidature de Rouen pour la capitale européenne de la Culture de 2028. Avec un coût exorbitant de 70 millions d’euros (et qui en coûtera certainement 10 de plus avec les avenants), ce futur pôle Beauvoisine se veut « sobre et vertueux, en prise avec l’urgence social-écologique ». Pourtant, il n’est pas du tout économique, et encore moins écologique puisque l’on nous parle aujourd’hui de démolitions, qui au passage semble concerner certaines structures en bois du XVIIe siècle. Sans parler de la construction de la tour en plein quartier historique, avec des dalles béton...



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C’est un projet digne des années 70 qui se veut radicalement contemporain, pour se mettre à l’heure de l’uniformisation numérique du XXIe siècle, et finalement ressembler à tous les autres musées d’aujourd’hui, par choix idéologique du moderne contre l’ancien, alors que le Muséum de Rouen possède un charme unique et une authenticité irremplaçable. Il s’agit ni plus ni moins d’un massacre patrimonial et culturel inadmissible.



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Pourtant, un autre projet est possible, tel que l’avait envisagé l’ancienne direction du Muséum. Le coût de la restauration du Muséum du XIXe siècle en le préservant tel qu’il est, avec l’intégration des bâtiments de Médecine et de Pharmacie avec son amphithéâtre (3400 m² en tout), la pose d’une verrière sur le cloître, pourquoi pas de style Art nouveau plus adapté au cadre architectural, sont évalués selon nos estimations entre 15 et 20 millions d’euros « seulement », hors collections.


 


Il s’agirait de restaurer le Muséum en respectant l’esprit des lieux, et en conservant sa muséographie, avec ses vitrines, et surtout son ambiance du XIXe siècle. L’intégration au projet des bâtiments de Médecine et de Pharmacie offrirait de nouveaux espaces pour la muséographie contemporaine tout en conservant l’amphithéâtre pour des conférences. De même, l’espace vide existant entre l’hôtel Beauvoisine et le cloître pourrait servir à compléter par une construction neuve le Muséum, mais sans le remplacer.



Il est donc possible de conserver ce Muséum tout en apportant une scénographie contemporaine dans de nouveaux espaces, et sans gaspiller l’argent du contribuable de façon outrancière.


 


Mais pour cela, il faudrait que les élus prennent conscience de la valeur inestimable de ce Muséum et de cet ensemble de bâtiments qui font partie de l’histoire de la ville de Rouen depuis deux cents ans, et qui appartiennent désormais à l’identité culturelle et patrimoniale des Normands.


 


Frédéric Epaud


Membre de la Commission Régionale de l’Architecture et du Patrimoine de Normandie


Directeur de recherche au CNRS


 



Cela faisait des années que le Musée de l’Éventail situé dans le 10ème arrondissement de Paris était menacé de disparition. Sa propriétaire, Madame Anne Hoguet, Maître éventailliste et digne héritière d’une collection d’éventails unique au monde, n’avait pas réussi à trouver un accord avec la ville de Paris et était menacée d’expulsion.  Ce qui signifiait que l’inestimable collection risquait d’être dispersée aux enchères.


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C’était sans compter sur la volonté du Musée de la Nacre et de la Tabletterie, situé à Méru dans le département de la Somme. Beaucoup de parisiens ont regretté que ce magnifique musée quitte la capitale, mais c’est pourtant un vrai « retour aux sources », car c’est précisément à Méru qu’exerçaient les ancêtres de Madame Hoguet.


 


Inutile une fois encore d’opposer Paris à la province, l’essentiel étant que la collection ne soit pas dispersée aux quatre coins du monde, dans des collections privées.


 


Nous nous réjouissons de ce dénouement heureux et nous saluons l’implication et la détermination de tous les acteurs de ce sauvetage, à commencer par Xavier Bertrand, le Président de la Région Hauts-de-France qui n’a pas ménagé ses efforts pour rendre « l’impossible, possible », ainsi que La Communauté de Communes des Sablons et, bien entendu, l’État, à travers le Fonds National du Patrimoine, pour son soutien « exceptionnel ».


 

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Mais cette collection unique valait bien que l’on se batte pour elle.


 


Nous avons été la dernière association à être sollicitée pour venir en aide au Musée, et nous avions d’ailleurs convié Madame Hoguet sur notre stand lors du Salon International du Patrimoine au Carrousel du Louvre en octobre dernier.


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Nous tenons tout particulièrement à remercier Monsieur Florentin Gobier, Directeur du Musée, pour sa disponibilité, son enthousiasme et son courage, car mener un tel projet n’était pas chose aisée.


 


Enfin, nous remercions tous les donateurs qui ont fait un geste pour sauver le musée au moment où son avenir était bien sombre.


 


Vive les territoires qui s’engagent pour la sauvegarde du patrimoine.


 



 


Olivier Aubriet, un de nos adhérents, a souhaité nous faire découvrir l’univers d’Edmond Rostand dans son incroyable villa de Cambo-Les-Bains. Voici donc un article très détaillé qui, nous l’espérons, vous fera voyager le temps d’une lecture. Merci à Madame Béatrice Labat, directrice du Musée, pour cette visite hors du temps.



Béatrice Labat, dirige depuis mai 2010 le musée Edmond Rostand - Villa Arnaga à Cambo-les-Bains (France). La demeure de style néobasque est installée au cœur de vastes jardins. Elle accueille chaque année près de 100 000 visiteurs. De nombreuses manifestations y sont organisées : théâtre, poésie, balades théâtralisées et en 2018 le premier Salon du Livre. Dans le cadre d’un vaste programme de rénovation, Béatrice Labat a supervisé la restauration du jardin à la française de 2013 à 2016. Elle a conçu une nouvelle muséographie dans la maison basée sur la discrétion et la transparence. L’autre axe majeur de son action a été l’inventaire et le reconditionnement des collections. Elle était auparavant conservatrice du musée de Borda à Dax (2005-2010). Elle a participé de 2001 à 2005 à la création du musée de Site archéologique de Vieux-la-Romaine dans le Calvados. Elle est actuellement vice-présidente de la Fédération nationale des Maisons d’écrivain et des patrimoines littéraires. Elle a été commissaire de nombreuses expositions et auteur d’articles aux thématiques variées, archéologiques, biographiques, d’histoire des sciences, d’art moderne et contemporain. Ses récompenses : prix Archéologia-Andrée Faton et grand prix du jury au festival du film Icronos en 1994, prix de la vulgarisation scientifique Kinéon à Bruxelles en 1995, nominé au Prix européen des musées de l’année en 2002, Prix des musées à Brest 2008, lauréate des Trophées de l’innovation technologique en 2012.


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La Villa Arnaga, créée par Edmond Rostand au début du xxe siècle, a d’abord été une maison d’écrivain. Rachetée par la commune de Cambo-les-Bains, elle devient un musée dans la seconde partie du xxe siècle. Avec la mise en place d’un son et lumière, elle devient rapidement un site touristique dans les années soixante. Comment ses trois fonctions cohabitent-elles ? Comment la mémoire du poète y est-elle conservée, valorisée ?


L’affluence touristique pose-t-elle des problèmes spécifiques ?




Arnaga, une exceptionnelle œuvre d’auteur



Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la part prise par Edmond Rostand dans la conception de sa demeure. Arnaga est pour l’auteur de Cyrano plus qu’une résidence, c’est une œuvre qu’il crée de toutes pièces et dans les moindres détails.



Après un premier séjour fin 1900 à Cambo pour soigner des problèmes pulmonaires, Edmond Rostand décide en 1902 de s’y installer et d’y construire la demeure de ses rêves. Il découvre un plateau à l’extérieur de la ville en direction de Bayonne. Le lieu est aisément viabilisable, les lignes électrique et téléphonique ainsi que les adductions d’eau passant au pied de la colline. Il achète le 15 juillet 1902 [1] ce terrain de 16 ha encadré de deux cours d’eau, la Nive d’un côté et l’Arraga de l’autre. C’est ce second cours d’eau qui donnera le nom de la maison, adouci d’un N : Arnaga.


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Sur recommandation de son père, Edmond Rostand fait appel à Albert Tournaire, architecte talentueux de quarante ans, Premier Grand Prix de Rome, qui avait construit la Caisse d’Épargne de Marseille. Première quinzaine d’août 1902, l’architecte est à Cambo. Un géomètre de Constantine réalise le plan du domaine en octobre [2]. Sur ce relevé apparaissent déjà quelques traits de crayon sommaires qui fixent les grandes lignes du domaine : position de la maison, chemins d’accès. À son ami et confident Paul Faure, Rostand explique : « La maison, on ne la ferait pas à l’extrémité de la pointe, mais un peu avant, au point où le plateau commence à s’effiler. Une des principales façades verrait la vallée […]. L’autre serait tournée vers le jardin. » [3]



À l’occasion de la donation d’un important fonds en 2004 par Monsieur et Madame Jean Tournaire, descendants de l’architecte, le rôle d’Edmond Rostand dans la création d’Arnaga a été éclairé. Les échanges de lettres et croquis montrent qu’Edmond Rostand a une vision précise de ce qui va devenir son œuvre de pierre et de verdure. Il veut une maison qui s’inscrive harmonieusement dans le paysage : « Malgré notre situation élevée et l’admirable vue, je n’entends pas édifier ici l’une de ces imitations de châteaux du Moyen Âge à la Viollet-le-Duc qu’on a vu fleurir ailleurs !... […] Non, puisque j’ai choisi cette région, je crois sincèrement que ma demeure, même très grande et très confortable, doit rester dans le goût du pays ! » [4] La maison s’habille extérieurement des atours de la ferme labourdine avec ses murs blancs et ses colombages rouges. Mais il la pare de nouveaux éléments décoratifs, des fenêtres en demi-cercle, des pergolas. Il imagine un porche d’entrée dont il a trouvé le modèle de l’autre côté de la frontière. Il envoie à Tournaire un petit dessin à côté duquel il écrit : « Quelle jolie porte ! Et il y en a beaucoup comme ça en Espagne basque » [5]. Il y détaille la porte avec ses clous, et une ferrure qu’il trouve « très jolie, très simple ». Une petite esquisse modifie le porche espagnol, l’arcade est baissée, la porte a deux vantaux, et voilà l’entrée d’Arnaga.



Il veut également profiter de tout le confort moderne. La maison dispose de réseaux d’eau chaude et froide, de plusieurs réseaux électriques pour la lumière et le téléphone et de plusieurs systèmes de chauffage, par air chaud, cheminées et radiateurs électriques. L’hygiénisme qui se développe invite à se soucier des facteurs environnementaux. Les pièces sont baignées de lumière par de larges fenêtres. Edmond Rostand est très pointilleux sur leur aspect. Dans une lettre du 28 octobre 1903, Louis Labat explique à l’architecte :



J’ajoute à la lettre que m’a dictée Monsieur Rostand quelques dessins au crayon qui rendent son idée très claire. Vous y verrez qu’en effet l’impression produite est plus pittoresque. M. Rostand croit que, comme vous le verrez dans le dessin 1, il résulte un effet plus agréable de ce qu’on pourrait appeler le non-parallélisme des cintres. Dans tous les cas, l’impression est plus inattendue et plus nouvelle. Vous verrez dans le dessin 2 comment il désirerait que fût le divan sous son éventail-verrière ; vous y verrez ainsi que si, malgré l’auvent à l’espagnole qui est dans la façade vous pouvez (pourrez) ménager un œil-de-bœuf entre les deux cintres, M. Rostand n’y verrait aucun inconvénient. Et enfin, dans le dessin 3, dont l’effet plaît particulièrement à M. Rostand, vous verrez quel est le parti pris de décoration auquel il préfère s’arrêter, c’est-à-dire : boiseries très élevées, ne laissant plus place dans le haut que pour une fresque allongée, supprimant et remplaçant avantageusement la frise, et s’encadrant à merveille entre les boiseries et les poutres.



La décoration intérieure tranche avec la rusticité apparente de l’extérieur. Tout n’est que boiseries, peintures de maîtres, miroirs ouvragés. Chaque pièce, comme un décor d’un acte de théâtre, présente un style décoratif différent : Louis XVI dans la salle à manger, Arts and Crafts – l’Art nouveau anglais – dans le studio des enfants, Directoire dans la chambre d’Edmond Rostand, Empire dans le bureau, Art nouveau dans le boudoir…



La création du grand escalier menant au premier étage plonge le poète dans d’intenses réflexions. Il décrit à Albert Tournaire le cheminement de sa pensée :



D’abord, comme vous verrez dans mon croquis 1, de mêler du bois à la pierre ; cela allègerait-il suffisamment pour supprimer la colonne ? Puis, j’avais pensé, comme vous verrez dans mon croquis 2, à faire tout le bas plein, avec la petite porte repoussée vers la droite et une coquille-fontaine au fond. On aurait ainsi, sous l’escalier, un couloir s’éclairant par le petit œil-de-bœuf A, et probablement un grand placard. Mais quoique ce ne soit pas laid, et que la petite porte se trouve ainsi plus commodément placée, je crois que le pilier sera tout de même plus léger et laissera plus de grandeur à l’ensemble. Je vous laisse libre d’en décider.



Cela m’a amené au croquis 3, où l’idée d’entourer le bas du pilier d’un joli banc de bois, dont le dossier à jour encagerait le fût, m’a paru séduisante. Vous verrez d’ailleurs, sur vos croquis à vous, que ce banc fait très bien en avant de la petite porte mystérieuse du fond. Je dois dire que quand j’ai eu rajouté le banc à votre no 1 et supprimé en pensée quelques ornements, j’en ai trouvé l’ensemble très agréable.



Puis, j’ai eu l’idée, comme vous le verrez sur le revers rabattu de votre no 1, et dans mon croquis4, de remplacer le banc par une vasque tournant tout autour du pilier en forme de bénitier et dans laquelle trois mascarons sculptés dans le pilier même souffleraient de l’eau. C’est cette dernière idée qui, en somme, me paraît la plus architecturale. Le pilier s’oublie, il n’est plus qu’une fontaine, et de la plus jolie forme. Cela, harmonisé par vous, doit faire quelque chose de parfait. Et cela garde à l’ensemble la forme serres ou patio que je désire. L’eau jaillissante fera très bien à côté des arbustes ; et j’aime l’idée qu’elle jaillisse justement d’une colonne mise là pour l’utilité. [6]




Pour illuminer l’intérieur de la maison, lui et sa femme Rosemonde Gérard commandent de grands panneaux peints à des artistes reconnus. Beaucoup reprennent le thème du jardin et des paysages, comme pour créer des fenêtres supplémentaires. Pour le grand hall, il commande un grand panneau à Henri Martin mais il préconise que



Il ne faut pas trop mélancoliser cette pièce par une trop pauvre robe et une trop réelle veste ; il faut qu’on y puisse oublier un peu la vie. Il est vrai qu’on peut tout idéaliser ; il s’agit de savoir comment il enveloppe ses personnages. Mais si on fait du réel, dans ce cadre, il faudrait un réel s’accordant avec l’extérieur, un basque en béret, un paysan d’ici : cet homme de Cahors ne s’harmonise pas. [7]



Rostand porte un intérêt tout particulier à l’élaboration de ses jardins. Le plus jeune fils d’Edmond Rostand, Jean,[8] témoigne « Ce jardin d’Arnaga, quelle importance il lui donnait ! C’est qu’il l’avait réellement créé de toutes pièces, sur une colline abrupte et en friche. Il en avait lui-même tracé tout le plan, avec minutie, avec amour, avec la même attention qu’il avait pour ses œuvres théâtrales ». Car c’est une véritable œuvre de verdure qu’imagine le poète avec l’aide de son épouse. La tâche est énorme. Le terrain est vaste, seize hectares, et nécessite « une totale invention ».[9] Un jardin régulier, inspiré des jardins à la française, s’étend sur le plateau depuis la façade principale. Il est classiquement organisé autour de pièces d’eau, d’allées géométriquement organisées, de pièces de gazon, de parterres fleuris. Il se termine par une grande pergola à colonnade.


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Dans les quatre panneaux du grand parterre fleuri, Edmond Rostand demande à son architecte d’installer quatre urnes. Il en envoie le modèle : « une urne en pierre massive, bien lourdaude, et ayant en même temps, beaucoup de cachet. C’est un vieux vase italien. Ne pourriez-vous faire exécuter 4 vases comme cela, qui feraient très bien dans les 4 ronds-points, surtout avec des fleurs dedans, et un rond de buis à leur pied. Mais il faudrait que ce vase fût copié textuellement, avec sa naïveté, sa grossièreté, et sans finesses. La torsade de vigne doit garder sa vigueur naïve » [10]. Il exprime le même souhait de rusticité dans le traitement de la terrasse : « Je désire que vous dalliez une certaine partie de cette terrasse, en dalles de pierre très irrégulières, dont on fixerait l’irrégularité par des croquis comme je le fais ci-joint, parce que l’expérience m’a prouvé que l’irrégularité laissée à la fantaisie des ouvriers est toujours timide. ». Il décrit à son architecte, croquis à l’appui, la forme que devront prendre les espaces : « La voie dallée qui partirait de la porte du hall que vous avez si bien arrangée avec des fleurs de chaque côté, se continuerait par une demi-plate-forme ronde, qui formerait la première marche d’un escalier demi-circulaire, et de forme pyramidale, tel que vous verrez dans mes croquis. » Sur son dessin, il précise que les marches devront être « très, très basses ». Il fournit à Albert Tournaire le modèle de cadran solaire qu’il vient de découvrir dans une revue anglaise :



Vous trouverez dans le Studio où il y a l’aquarelle italienne, un modèle de cadran solaire que nous n’avons qu’à copier. Nous ne trouverons pas mieux. Il n’y a qu’à remplacer la devise latine par : Je ne mesure que les beaux jours. Je placerais ce cadran dans la partie du mur qui est au-dessus de la porte de la salle des enfants, car il y a là un vaste morceau de muraille un peu nu, où ce motif décoratif fera très bien. C’est pour cela que je choisis un cadran de forme plus longue que haute. [11]



Côté ouest, une grande pelouse amenait doucement les pas du promeneur jusqu’à un promontoire d’où il pouvait voir les maisons blanches sur les coteaux et la Nive s’écouler en lacet vers Ustaritz. Tout autour des jardins, un bois couvre les pentes. Il est composé de vieux chênes taillés en têtard et de sujets de trente ans que Rostand fait transplanter depuis une forêt du village voisin. Rosemonde Gérard est chargée d’aller chercher à Paris les plants les plus précieux. Elle revient de l’Exposition d’Horticulture de 1906 avec des sujets uniques et des plantes nouvellement créées. Le rhododendron de l’Himalaya, médaille d’or, qui fait se « pâmer tous les jardiniers de l’Exposition. Personne ne peut en avoir avant deux ans au moins de semblables ». Elle se réjouit d’être « heureusement arrivée au moment juste où on pouvait – les récompenses données – vendre les sujets et j’ai donc […] écrémé l’Exposition. Il y avait des gens désespérés de trouver brusquement vendues des plantes qu’ils couvaient de l’œil depuis un mois. » Elle y achète de telles quantités de plants qu’il faudra un wagon entier pour les acheminer. [12]


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En même temps qu’il crée Arnaga, Edmond Rostand s’attèle à une autre œuvre, littéraire celle-ci, Chantecler. L’idée de la pièce de théâtre lui est venue lors d’une promenade. Dans une ferme du bourg, il observe le comportement des animaux d’une basse-cour. Leurs attitudes lui rappellent celles des humains. Ses nouveaux héros seront donc des coqs, poules et autres canards. Comme pour chacune de ses créations, il s’entoure d’une importante documentation. Pour explorer l’idée, il fait installer un poulailler au fond de son jardin. Il fait venir des animaux empaillés de chez Deyroles. La création d’Arnaga et de Chantecler se télescope dans son esprit. Sur un feuillet, conservé au Musée basque et de l’histoire de Bayonne, il croque la silhouette d’un coq en parade. Tournant la page, il dessine un détail de la maison. [13] On pourrait parler d’une grossesse gémellaire. Arnaga naît cependant avant Chantecler qui devra attendre 1910 pour être jouée pour la première fois.



Edmond Rostand écrit aussi des poésies inspirées de sa vie dans cette maison et au Pays basque. Comme ici sa réponse à un journaliste [14] du Gil Blas qui s’étonnait de son exil au Pays basque :



Ce que je fais, monsieur ? Des courses dans les bois,


À travers des ronciers qui me griffent les manches ;


Le tour de mon jardin sous les arceaux de branches,


Le tour de ma maison sur un balcon de bois.



Lorsque les piments verts m’ont donné soif, je bois


De l’eau fraîche, en prenant la cruche par les hanches ;


J’écoute, lorsque l’heure éteint les routes blanches,


Le soir plein d’Angélus, de grelots et d’abois.



Ce que je fais ? Je fais quelquefois une lieue


Pour aller voir plus loin si la Nive est plus bleue ;


Je reviens par la berge ? Et c’est tout s’il fait beau.


S’il pleut, je tambourine à mes vitres des charges ;


Je lis, en crayonnant des choses dans les marges ;


Je rêve, ou je travaille.



Edmond Rostand, Cambo.



La mémoire de l’écrivain



Edmond Rostand meurt le 2 décembre 1918 de la grippe espagnole. La maison est mise en vente par sa veuve, Rosemonde Gérard, et ses deux enfants, Maurice et Jean, en 1921, sans succès. Une deuxième vente a lieu le 27 juin 1922, mais aucun acheteur ne se manifeste. La famille se résout alors à vendre le contenu de la maison. La vente a lieu du 25 septembre au 5 octobre 1922. Et c’est une maison vide que finissent par acheter le 19 juin 1923 un couple de sud-américains, M. et Mme Souza-Costa. Le couple réalise d’importantes modifications dans les jardins avec la création d’une croix basque en remplacement du grand parterre fleuri et d’un jardin de genre à l’ouest. Ils remeublent la maison et ne touchent guère aux aménagements intérieurs. Cependant au début des années trente, ils démontent et vendent trois grands décors de la maison : les laques de Coromandel du Salon chinois, La Joie de vivre de Henri Martin dans le grand hall et Les Contes de fées de Jean Veber dans le boudoir de Rosemonde Gérard.



Le 28 octobre 1942, la Villa Arnaga est classée par les sites et monuments naturels de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque [15]. Il s’agit de la première mesure de protection nationale du domaine.



Le 14 décembre 1945, la veuve de M. Souza Costa vend le domaine à M. et Mme François Flaisman. [16] Cette dernière cède Arnaga à la commune de Cambo le 29 septembre 1961.[17]



Quelque temps auparavant, la commune avait créé un musée dans une pièce de la mairie. Paul Faure, ami d’Edmond Rostand et auteur de Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand en est l’initiateur et le premier conservateur. Le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports approuve le règlement du musée de Cambo-les-Bains le 23 décembre 1958. Jean et Maurice Rostand offrent alors une importante collection d’objets et de documents.



Très vite, la commune installe dans les jardins d’Arnaga un impressionnant spectacle son et lumière avec les voix de comédiens du Français ainsi que celle de Sarah Bernhardt. Il raconte dans une déambulation nocturne la vie et l’œuvre d’Edmond Rostand.



Avec l’achat d’Arnaga, les collections retournent dans la demeure. Seulement, Arnaga est vaste. La maison semble toujours vide. En 1965, dans l’émission de l’ORTF Les Bonnes Adresses du passé [18],on découvre des tableaux et des documents dans différentes pièces, des portraits de la famille dans le grand hall, la bibliothèque, les appartements du poète. La commune acquiert des collections lors de ventes publiques. C’est ainsi que reviennent les meubles du salon Empire et du studio des enfants. Dernièrement, c’est un des grands décors d’Arnaga qui a pu être racheté. La longue frise des Contes de fées de Jean Veber retrouve sa place en mars 2019 après un an de travaux dans les ateliers de restauration du Centre de restauration des musées de France à Versailles.


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Le 3 février 1995, Arnaga est classé au titre des monuments historiques (à l’exception des écuries, des serres et de la maison des jardiniers). Le classement est élargi le 13 mai 2014 à l’ensemble du domaine à l’exception de la maison du gardien et du moulin classés pour leurs seules façades et toitures. Le 7 juillet 2014, la Villa Arnaga reçoit le label Maison des Illustres.



Entre 2012 et 2016, un important programme de restauration a permis de redonner toute sa netteté et sa finesse au jardin à la française.



Un musée invisible dans une maison d’écrivain



Le musée Edmond Rostand est devenu « Musée de France » depuis la loi du 4 janvier 2002. Un musée a trois grandes missions : 1. conserver, restaurer, étudier et enrichir les collections ; 2. mettre les œuvres à la disposition du public, développer des actions de médiation et d’éducation ; 3. contribuer au progrès de la connaissance et de la recherche. Il existe une grande variété de musées, musées de beaux-arts, d’art contemporain, muséum d’histoire naturelle, musée de sciences et techniques… Tous appliquent les mêmes règles en termes de conditions de conservation, de sûreté des objets, de restauration, d’acquisition et de médiation culturelle. Un domaine cependant est spécifique à chacun, la muséographie. Un musée des sciences va développer ses contenus par le biais d’outils modernes, de signalétiques didactiques, d’expérimentations. Un musée d’art contemporain privilégie les grands espaces, les murs blancs, le design du mobilier d’accueil… La muséographie d’une maison d’écrivain ne doit pas se voir.



Pour conserver toute son intégrité au jardin tel qu’il était sous les Rostand, nous avons démonté les panneaux d’information positionnés en divers endroits du site pour les remplacer par un dépliant papier offert à chaque visiteur.



La nouvelle muséographie d’Arnaga mise en place depuis 2011, repose sur la discrétion et la transparence. Les éléments nécessaires à l’information, la protection, la sécurité doivent être parfaitement identifiables tout en s’intégrant à l’atmosphère. Au premier regard, le visiteur ne doit pas les voir. Il faut qu’il ait le sentiment d’entrer chez les Rostand et non dans un musée.



Chaque pièce a retrouvé sa fonction. Dans la bibliothèque, les livres ont repris leur place initiale sur les étagères qu’ils occupaient. Plus loin, la table de la salle à manger a été dressée. Dans les chambres, des lits sont installés…



Comme indiqué plus haut, la demeure d’Edmond Rostand est relativement vide par rapport à l’époque où les Rostand y vivaient. Pour construire cette évocation et pour des raisons de conservation, nous avons choisi de compléter les meubles et objets d’origine par des dons ou des achats qui nous aident à reconstituer l’atmosphère des lieux. Sur la table, une vaisselle proche de celle des Rostand est installée : des assiettes blanches à liserés dorés proches de celles visibles en vitrine, des couverts Christofle Louis XVI Trianon, du même modèle qu’un des couteaux de la collection. Un système de fixation a permis d’éviter une mise à distance, créant ainsi une plus grande proximité.



Ces meubles et objets non rostandiens correspondent à la liste qui a été établie en mars 1919 par un commissaire-priseur venu de Paris pour dresser l’inventaire après le décès de l’auteur. Nous savons par exemple qu’il y avait une vaisselle au coq dans l’Office, nous y avons installé une série produite à Lunéville et contemporaine de Rostand.



La maison Rostand dispose d’une seule vitrine ayant appartenu au poète. Il a donc fallu trouver d’autres supports pour exposer les objets et documents en toute sécurité. Dans la chambre des enfants Maurice et Jean, nous avons choisi de remettre les rangements de l’époque et d’y présenter des documents évoquant leur enfance. Cet ensemble de meubles à tiroir était jusque-là utilisé pour le stockage des documents dans les archives. Il a fallu plus de 300 heures pour qu’ils retrouvent leur aspect d’origine. La protection est assurée par des capots en plexiglas réalisés sur mesure. Certains tiroirs sont en partie ouverts pour faciliter la vision. Des vitrines ont été créées à partir de meubles du quotidien. Peints en noir sur fond rouge, elles s’inspirent des meubles rouges sur fond noir de la collection de la maison tout en s’en distinguant.



La présentation des objets est souvent désordonnée, comme les auraient laissés de jeunes garçons indisciplinés ou un Edmond Rostand en pleine ébullition créative.



Dans la maison d’un homme de théâtre, il nous a paru important de faire résonner les vers du poète. Mais pour que le dispositif d’écoute reste discret, nous avons choisi de les faire écouter par des téléphones ou phonographes anciens. Pour les extraits vidéo, nous avons préféré les placer dans un espace intime, une alcôve, non visible au premier regard.



La collection du musée comporte près de 5 000 objets et documents. Une partie d’entre eux est présentée en permanence : des sculptures, des livres, de la vaisselle… D’autres sont présentés pour une durée déterminée. Les dessins préparatoires des costumes de Chantecler par Eidel sont exposés trois mois tous les trois ans afin de ne pas les endommager par une trop importante exposition à la lumière. Pour certains documents que nous voulons présenter de façon pérenne, nous choisissons d’en réaliser une reproduction. C’est le cas de la correspondance d’Edmond Rostand à Albert Tournaire (dessins et lettres) indispensable pour comprendre la genèse d’Arnaga. Certaines collections sont trop fragiles pour être présentées comme la collection de papillons de Jean Rostand. Des fac-similés ont été créés et ont pris place dans la chambre des enfants.



Les visiteurs doivent savoir ce qui est original et ce qui ne l’est pas. Nous leur indiquons sur les fiches de salle ou sur les panneaux ce qui est rostandien et ce qui est fac-similé.



Pour développer les contenus, nous avons choisi de développer plusieurs angles avec pour chacun une charte spécifique. La découverte des espaces prend la forme de fiches de salle, courtes et synthétiques. En introduction, nous présentons la fonction de la pièce et son style décoratif. Nous intégrons lorsqu’elles existent des photographies de l’époque. Les principaux objets remarquables sont présentés par une courte notice.


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La biographie des Rostand est proposée comme une rencontre. Pour créer une plus grande proximité, nous avons choisi de nous effacer pour laisser « parler » les Rostand eux-mêmes. Les membres de la famille se racontent avec leurs propres mots. Rosemonde, l’épouse d’Edmond Rostand, témoigne de l’aventure de Cyrano, les doutes, les angoisses, les astuces, l’euphorie du triomphe. Edmond révèle l’origine du personnage de Cyrano et celui de Christian… Et pour qu’ils soient encore plus présents, incarnés, nous avons choisi que ces mots soient écrits avec leur propre écriture manuscrite. Pour cela, nous avons numérisé leurs écrits et créé une police de caractères pour chacun. Nous avons ainsi une police « Rosemonde », avec ses grandes lettres magnifiquement formées, une police « Edmond », plus nerveuse, rapide…



Ces témoignages sont présentés sous des formes variées adaptées aux espaces. Dans le grand hall, c’est un album contenant photographies et textes qui racontent l’arrivée à Cambo et le choix du terrain. Dans la chambre des enfants, nous avons réalisé un dessus de meuble sur lequel semble déposés dans un désordre enfantin des textes et des photographies qui évoquent leurs jeunes années.



Le troisième thème développé dans ce nouveau parcours de visite présente les artistes qui ont participé à la décoration de la maison. Ces biographies sont posées à plat sur des meubles. Invisibles au premier regard, ces panneaux se découvrent lorsqu’on s’approche en s’approchant. Ils adoptent une même charte graphique sur fond rouge largement illustrée.



Le dernier parcours consacré à la modernité technologique de la maison n’a pas encore été mis en œuvre. Nous prévoyons de présenter les objets accompagnés de documents d’archive qui les contextualiseront et des notices explicatives du fonctionnement.



Arnaga, un site touristique



En 2015, dans le tableau du classement régional des sites et monuments en fonction de leur fréquentation, la Villa Arnaga (91 500 visiteurs) est en deuxième position derrière le château de Pau (94 500 visiteurs) pour les Pyrénées-Atlantiques et en cinquième position en Nouvelle-Aquitaine derrière le musée d’Aquitaine (140 000 visiteurs), le musée des beaux-arts de Bordeaux (112 000 visiteurs), le CAPC (99 000 visiteurs). La demeure d’Edmond Rostand est la deuxième maison d’écrivain la plus visitée en France après la maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris.



Le musée dispose de statistiques de fréquentation de visiteurs payants depuis 1988. Il n’y a pas eu d’étude des publics sur Arnaga. Nous ne pouvons observer la fréquentation que par le prisme de la billetterie. L’examen détaillé de la courbe montre trois époques. Après les années 1990-92, qui connaissent un pic de fréquentation lié à la sortie du film Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau avec Gérard Depardieu, 91 400 visiteurs en 1991, une tendance à la baisse s’observe avec une diminution constante du nombre de visiteurs. À partir de 2001, la chute est enrayée et la fréquentation atteint une moyenne de 62 000 visiteurs par an. À partir de 2011, la fréquentation augmente à nouveau de 35% en 4 ans, suivie d’une stabilisation depuis 2015 autour de 82 000 visiteurs payants et 90 000 avec les gratuits.



La fréquentation des groupes est saisonnière : mai – juin et septembre – octobre. La tendance générale est à la diminution. Ils étaient plus de 40% des visiteurs d’Arnaga en 2000. Ils passent à 30% en 2009 et représentent 20% en 2017. Cette baisse semble être un phénomène général lié aux modifications des pratiques des Français qui préfèrent visiter en individuels comme en témoigne la forte augmentation de plus de 55% de ce public en 9 ans. Les visiteurs individuels (plein tarif, étudiant et préférentiel) représentent désormais 80% du public. Ils sont passés de 41 700 en 2009 à 64 800 en 2017.



Le mois d’août est le mois le plus fréquenté avec jusqu’à plus de 18 000 visiteurs payants. Suivi par le mois de septembre avec plus de 14 000 visiteurs payants auxquels il faut ajouter les visiteurs gratuits des Journées du Patrimoine.



Il existe une réelle marge de développement du public scolaire, puisqu’il ne représente que 1,5% des visiteurs avec 1 325 élèves en 2017. Les scolaires viennent principalement en mai et juin. Ils sont peu nombreux le reste de l’année. Un programme pédagogique, mis en place avec le partenariat de l’éducation nationale en avril, montre qu’une démarche volontaire peut amener une fréquentation des jeunes tout le long de l’année. En dehors de cette expérimentation, Arnaga n’a pas encore organisé un accueil généralisé des scolaires et ne dispose pas d’espaces pédagogiques dédiés.



Afin de répondre à cette forte fréquentation, une nouvelle organisation de l’accueil a été mise en place. L’aménagement muséographique tient compte de cette forte affluence. La fluidité des circulations est étudiée. Les documents d’aide à la visite sont adaptés en dimension, comme en nombre. Ils sont disponibles en quatre langues, français, anglais, espagnol et basque. Les visites guidées des groupes se déroulent le matin, période où les visiteurs individuels sont les moins nombreux. Pour ces derniers, des visites guidées sont proposées à heures fixes matin et après-midi. Afin de ne pas déranger les personnes visitant librement, un équipement audio sans fil est mis à la disposition de chacun pour entendre les commentaires. Lors de la très haute saison estivale, les visites n’ont lieu que le matin et des accueils de 20 minutes sont organisés aux écuries. Un film de 25 minutes est proposé dans la sellerie des écuries afin d’introduire la visite. Deux expositions permanentes sont installées aux écuries, l’une sur la pièce Chantecler, la seconde sur la création des jardins d’Arnaga. Un dépliant remis à chaque visiteur entrant dans le domaine permet de découvrir les jardins à son rythme.



Chaque année, une thématique est choisie. En 2018, elle a été centrée sur Edmond Rostand à l’occasion des commémorations nationales. En 2019, avec le retour des toiles de Jean Veber du boudoir de Rosemonde, la saison tourne autour des contes de fées.



Des manifestations culturelles sont organisées tout au long de la saison : théâtre bien sûr avec les Estivales d’Arnaga qui se déroulent dans les jardins et les balades théâtralisées Cyrano et Chantecler durant tout l’été. Mais aussi de la poésie, un salon du livre, des lectures concert, un marché aux plantes, des animations dans le cadre de la Fête de la science…



Pour les plus petits un livret jeu « Le petit musard » propose une découverte ludique du domaine et de ses habitants. Des parcours numériques sont mis en ligne : découverte des arbres et des oiseaux du domaine, visite virtuelle à 360° dans la maison. Le site internet a été refait pour s’adapter à tous les supports. Outre les informations sur les conditions d’accueil et de visite, il propose un vrai fonds documentaire sur le domaine, la biographie des membres de la famille, des documents originaux numérisés. Un moyen d’aller plus loin dans la découverte d’Arnaga et des Rostand depuis chez soi.



Conclusion



Arnaga, maison et œuvre d’un écrivain, conçue pour une famille de quatre personnes, héberge aujourd’hui un musée qui est rapidement devenu un site touristique important. Loin d’en souffrir, la villa est engagée dans une démarche vertueuse conjuguant harmonieusement le triptyque maison d’écrivain/musée/site touristique.



La mairie propriétaire soutient avec détermination le site. De grands investissements ont été engagés pour la restauration des façades, celle du jardin français et la rénovation de la muséographie. Des moyens financiers sont aussi mis à disposition pour les acquisitions qui enrichissent le site. Une véritable programmation culturelle est mise en place. En retour, le public et les médias sont au rendez-vous. Le retour sur investissement est tangible avec des recettes en forte croissance à l’image de la boutique qui a plus que doublé son chiffre d’affaires en neuf ans.



L’évaluation qualitative est elle aussi très positive. Les commentaires des visiteurs sont élogieux sur les questionnaires en ligne, dans le livre d’or ou sur les sites d’avis. La qualité de l’accueil a été récompensée en 2017 par l’obtention de la marque nationale « Qualité tourisme ».



Une nouvelle organisation est à l’étude pour améliorer l’accueil et les circulations. Certains bâtiments du domaine pourraient être affectés à de nouvelles fonctions afin de pouvoir développer un programme culturel, l’accueil des scolaires, l’organisation de conférences, une boutique plus vaste, un coin restauration…



Nous ne savons pas expliquer le succès d’Arnaga. Celui-ci doit tenir à de nombreux facteurs : la beauté, la diversité et l’ampleur de ses jardins, la noblesse des montagnes qui lui servent de cadre, le contraste du faste des décors intérieurs avec la simplicité de l’esthétique basque des façades, la modernité de ses équipements. Mais c’est aussi sans doute l’histoire qui y est racontée : la vie de ses habitants, tous écrivains, le succès triomphal de Cyrano, la prouesse de la création de Chantecler, la beauté des vers de Rosemonde Gérard, l’espièglerie des enfants Maurice et Jean, les états d’âme d’Edmond Rostand pendant la Grande Guerre. Cent ans après la disparition du poète, la maison enchante toujours autant. Elle semble avoir conservé la mémoire vivante de ses habitants. Beaucoup de visiteurs disent ressentir une véritable atmosphère poétique se dégager du lieu, jusqu’à presque s’attendre à y rencontrer Edmond Rostand ou Rosemonde Gérard.


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[1] Copie de l’acte notarié. Collection musée Edmond Rostand. Inv. 2015.0.9-101 à 107. Il mentionne deux vendeurs : M. Jean Benoît dit Benito Hirigoyen, propriétaire négociant et Mme Josèphe Larronde, sans profession : diverses pièces de terre en nature de pâtures, bois, labourables et vigne de près de 8 ha pour 20 000 francs et M. Sauveur Etchegoyen, prêtre, curé desservant la commune d’Ainhoa et Mlle Gracieuse Etchégoyen, sa sœur, célibataire majeur, sans profession à Larressore : diverses pièces de terre en nature de pâtures boisées, dépendant du bien d’Urendoya de plus de 5 ha pour 12 000 francs.



[2] Plan du domaine, octobre 1902, inv. 2008.0.863_1-1.



[3] Faure, Paul, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Biarritz, éditions Atlantica, 2016, p. 97.



[4] Lorcey, Jacques, Edmond Rostand, t. II, Paris, Atlantica-Séguier, coll. « Empreinte », 2004, p. 57.



[5] Lettre d’Edmond Rostand à Albert Tournaire du 28 octobre 1903. Collection musée Edmond Rostand, Inv. 2011.0.025.



[6] Lettre d’Edmond Rostand à Albert Tournaire du 22 mars 1904. Inv 2011.0.051.



[7] Lettre d’Edmond Rostand à Albert Tournaire non datée. Inv 2011.0.047. Ce décor a été démonté dans les années 30.



[8] Rostand, Jean, Souvenirs d’enfance, cité dans Cambo : histoire, thermalisme, climatisme, Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, 1988, p. 2.



[9] Lettre de Rosemonde Rostand à Albert Tournaire, non datée, vers juillet 1902. Inv 2011.0.068.



[10] Lettre d’Edmond Rostand à Albert Tournaire du 20 avril 1905. Inv 2011.0.059.



[11] Lettre d’Edmond Rostand à Albert Tournaire du 29 juin 1904. Inv. 2011.0.058.



[12] Lettre de Rosemonde Gérard à son époux. Mai 1906. Collection BnF.



[13] Musée basque et de l’histoire de Bayonne. Inv. 2909.



[14] Pierre Mortier, directeur du Gil Blas.



[15] Le Ministre secrétaire d’État à l’éducation nationale a classé Arnaga parmi les sites et monuments naturels de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque selon la loi de 2 mai 1930.



[16] Notaire : Me Vollet de Mongrand substituant Me Ramond ; acheteur : M. François Flaisman, dit Francis, et Mme Inès Thérèse Lascaux son épouse ; vendeur : Mme veuve Souza Costa



[17] Notaire : R. Garra ; acheteur : la commune ; vendeur : Mme Flaisman. 600 000 francs dont 400 000 francs versé et 20 000 de rente annuelle.



[18] ROLAND-BERNARD (réalisateur), Les Bonnes Adresses du Passé : Cambo, « Arnaga », ORTF, 1965.



En savoir plus : http://www.arnaga.com/


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