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Il n’y a hélas pas qu’en France que le patrimoine est en proie à la « démolitionnite aigüe ». Voici encore un bel exemple de ce qui ne devrait pas être fait, mais que l’on fait quand même au nom de la sacro-Sainte promotion immobilière. Karin Waringo, membre d’un collectif de sauvegarde nous a adressé ce constat édifiant.



Karin Waringo milite au sein du collectif Luxembourg under destruction, groupe Facebook créé fin 2019 (par un expatrié néérlandais) et qui compte aujourd'hui près de 3000 membres. Avec d'autres membres de ce groupe, elle a initié une pétition réclamant une meilleure protection du patrimoine architectural au Luxembourg et qui a dépassé le seuil de signatures nécessaires pour obtenir un débat à la Chambre des députés (parlement luxembourgeois) en 2020.



Luxembourg : quand la protection du patrimoine architectural se heurte à la croissance



Il y a trois mois, le Luxembourg s’est doté d’une nouvelle loi de protection du patrimoine. En matière de patrimoine architectural, celle-ci devait, notamment, mettre fin à une politique dite de sapeurs-pompiers : des procédures de classement entamées dans l’urgence afin de sauver un immeuble de sa démolition imminente.



A peine un mois plus tard, les pelleteuses se sont attaquées à la Gare d’Ettelbruck. Imposante bâtisse dont la construction remontait à l’année 1862, lorsque la ligne du Nord fut développée, elle prit sa forme définitive au cours de la première guerre mondiale quand le réseau luxembourgeois était exploitée par la Kaiserliche Generaldirektion der Eisenbahnen Elsass-Lothingen. De ce fait, elle se caractérisait par une architecture typique telle que l’on la retrouve également dans la région Nord-Est de la France.



Le maître d’ouvrage et celui qui ordonna cette démolition, n’était autre que l’Administration des Ponts et chaussées et donc l’Etat luxembourgeois.



Aujourd’hui un autre immeuble remarquable est menacé de démolition : le « château d’Eisenborn », situé à une dizaine de kilomètres au nord-est de Luxembourg-Ville. Tout aussi imposant de par sa taille et de ses dimensions que la Gare d’Ettelbruck, il s’agit d’une ancienne ferme, transformée, au cours du temps, en ferme-château..



En 1992, le Château qui avait servi dernièrement de lieu de villégiature aux religieuses de la Congrégation Notre-Dame, fut racheté par le Fonds du Logement. Organisme d’Etat, mais autonome, celui-ci a pour mission la création de logements abordables. Dans un premier temps, le Château servait à abriter des réfugiés venus d’Ex-Yougoslavie ; à leur départ, les baies ont été murées et le Château resta vide.




Quelques années plus tard, des habitants du village semblent s’être émus devant l’état de délabrement du Château : Ils adressèrent une pétition à la Ministre de la Culture demandant la protection de l’immeuble, mais il fallait attendre jusqu’en 2005 pour que celui-ci soit finalement inscrit à l’inventaire supplémentaire. Quatre années plus tard, la secrétaire d’Etat à la Culture prit l’initiative de le faire classer à titre de monument national.



En 2012, le Fonds du Logement entreprit de transformer une partie du Château, la maison de maître, en appartements. Cependant, et en raison d’une apparente non-conformité du projet avec le plan d’aménagement de la commune, le projet fut avorté. Dans les rapports Fonds du logement, les indications se succèdent : 2009, « transformation de l’ancien couvent en immeuble résidentiel dont les logements seront réservés à la location. En 2010, on précise le nombre de 30 logements. Deux ans plus tard, le rapport évoque l’état d’abandon de l’immeuble et la création de sept appartements dans ce que le Fonds qualifie «d’ancien couvent ». Puis, Eisenborn disparaît des rapports du Fonds jusqu’en 2019, année où le Fonds présente, sur la chaîne de télévision nationale, son projet de réaffectation du château d’Eisenborn. Sur le site de la chaîne on peut lire qu’après une décennie d’abandon, le Fonds va finalement relancer son projet et construire 14 habitations.



En mars dernier, un habitant de la commune qui venait de faire son tour habituel avec son chien le long du château d’Eisenborn fut surpris d’y découvrir un avis public invitant la population à se prononcer sur un projet de démolition de la grange de l’ancien couvent de Eisenborn. Intrigué il posta l’annonce sur les réseaux sociaux, suscitant la curiosité de quelques militants engagés dont l’autrice de ces lignes. En effet, de grange à strictement parler, il n’y en a pas à Eisenborn. Le Château consiste en deux bâtiments distincts, dont l’un, la maison de maître, le domine par sa taille et ses proportions, et un autre, beaucoup plus modeste, qui abritait les étables, mais, comme l’indiquent les fenêtres du premier étage, également des logements.



Des actes notariés du milieu du dix-neuvième siècle évoquent une maison de maître et une maison de ferme. La comparaison des deux bâtiments dans leur environnement, - à l’arrière se trouve un grand parc aménagé en jardin anglais - , permet de penser que le riche fermier qui occupait jadis ces terres, décida un jour de changer sa simple bâtisse pour une autre plus imposante et plus en phase avec son statut social. Dans cette perspective, l’aile gauche du château et de facture plus modeste serait en réalité sa partie la plus ancienne et le noyau. Vérification faite auprès de la mairie, c’est cette partie-là qu’on entend démolir !



La suite de l’histoire est aussi triste que lamentable : En effet, il s’avéra bientôt qu’en vue de sa demande de démolition le Fonds du Logement avait déjà sollicité et obtenu un accord de principe de la Ministre de la Culture. Il s’avéra aussi que le plan d’aménagement général de la commune qui avait jadis fait obstacle à la réalisation du projet avait été modifié, de sorte que désormais l’ensemble de l’immeuble n’est plus que protégé de par son gabarit, conception typiquement locale de protection du patrimoine, qui permet de substituer un bâtiment ancien par une nouvelle construction dans les mêmes formes.




Par conséquent, les objections formulées à l’encontre du projet de démolition et évoquant la valeur historique et architecturale de l’immeuble furent balayées d’un revers de main, le maire déclarant ne pas pouvoir rejeter un projet tant qu’il respecte les règles urbanistiques. La ministre de la culture défendit le projet d’une « revitalisation » du site par un nouveau projet de logement et justifia la démolition de l’ancienne maison-ferme par sa moindre valeur architecturale.



Cerise sur le gâteau, le Ministre du Logement affirma que le remplacement des anciennes dépendances et leur remplacement par une construction permettait d’améliorer la performance énergétique de l’ensemble : « J’apprécie votre engagement pour le patrimoine, » affirma-t-il dans un courrier adressée à l’autrice de ces lignes, tout en ajoutant que le Fonds du Logement maintiendrait son projet et demanderait bientôt un permis de construire. Quant aux arbres du parc qui avaient été abattus alors que le parc fait partie de l’ensemble protégé à titre de monument national et se situe en outre dans une zone verte, on affirma qu’ils étaient soit trop vieux et malades ou ne correspondaient pas aux espèces locales.



Intervenant dans des endroits et des contextes totalement différents, la démolition de la Gare d’Ettelbruck et la démolition partielle du Château d’Eisenborn font néanmoins ressortir quelques similitudes intéressantes : Dans le premier cas, l’immeuble n’était pas classé, des ministres successifs ignorants l’avis favorable et unanime de la commission compétente. Dans le deuxième cas, une démolition partielle est accordée en dépit d’une protection existante. Le jeu des acteurs : Les ministres impliqués dans la mise en œuvre des projets qui font fi de la valeur patrimoniale des immeubles démolis. Une ministre de la Culture qui déclare forfait fasse à des impératifs majeurs. Les maires qui jouent le rôle de figurants. Pourtant et à chaque fois, il s’agit de projets qui ont été préparés de longue haleine et à l’insu de la population. Une fois les projets ficelés toute discussion était vaine.



La protection du patrimoine est une intervention de l’Etat, parfois au détriment des propriétaires d’un bien, visant à protéger ce qui est considéré comme un héritage commun. Il est cependant intéressant de noter que l’Etat est beaucoup moins regardant et plus souple quand c’est lui qui envisage la suppression d’immeubles ou de parties d’immeubles protégés. Causez toujours, continuez à mobiliser les médias ! Nous ne lâcherons rien !, tel est le message aux militants.



Le signal qui ressort de ces actions est absolument néfaste : s’engager pour le patrimoine ne mène à rien, ou pire, à des ennuis avec l’Etat et son administration. D’un autre côté, l’Etat affaiblit lui-même sa position face à des propriétaires et promoteurs trop gourmands qui n’auront plus qu’à lui tendre le miroir.



Evoqué en termes de changement de paradigme ou d’approche, le seul véritable changement survenu semble être celui, de la part du Gouvernement, de considérer que la protection du patrimoine n’est pas un enjeu exclusif, ni même prioritaire, et que, dans un pays à forte croissance, à la fois économique et démographique, il doit être contrebalancé par d’autres priorités telles que le développement des infrastructures et la création de nouveaux logements.



Ce changement est bien antérieur à la nouvelle loi : Ainsi, comme le justifia l’actuelle ministre de la Culture, Sam Tanson, dans sa réponse à une demande de classement de la Gare d’Ettelbruck : « vu l’importance l’intérêt public majeur du projet [de création d’un « pôle multi-modal », K.W.] pour toute la région du Nord, il fut décidé jadis de ne pas conserver la Gare d’Ettelbruck et de ne pas la protéger. »



Karin Waringo

Le Président Macron vient d’être réélu pour cinq ans. Il a d’ores et déjà annoncé qu’il ne s’engagerait pas dans la continuité de son premier mandat, afin de satisfaire un maximum de français déçus par son premier opus.



Si nous ne sommes pas là pour juger la politique globale du Président Macron, il y a un sujet pour lequel nous estimons avoir toute légitimité de contestation, c’est celui du patrimoine. Urgences Patrimoine étant toujours au chevet des territoires, nous ne pouvons que déplorer la politique calamiteuse de ces cinq dernières années en termes de sauvegarde du patrimoine vernaculaire.



Saluons tout de même l’investissement de Stéphane Bern, nommé « Monsieur Patrimoine » par le Président, qui aura eu le courage de s’opposer à certaines décisions ministérielles, mais qui, hélas, n’aura pas eu le pouvoir de les faire changer. Son implication dans notre combat pour la chapelle Saint-Joseph en est la preuve. Il a lutté autant que nous pour la préservation de l’édifice, mais ses appels sont restés lettre morte.



Une chose est certaine, l’hallali a été sonnée avec l’arrivée de Roselyne Bachelot à la tête du ministère de la Culture en 2020. Alors que nous avions misé tant d’espoirs sur sa nomination, nous n’avons pu que constater son mépris à l’encontre du patrimoine non protégé.



L’obsession de la ministre tout au long de son exercice fut « les grands opérateurs », rappelant régulièrement à nous, petits provinciaux incultes, que l’Opéra Garnier n’était pas à Montauban mais à Paris. D’ailleurs, dans l’un de ses derniers tweets, elle prétend soutenir la culture dans les territoires ruraux, un effet d’annonce sans doute, puisque c’était à l’aube du second tour des présidentielles.



La preuve la plus flagrante de son mépris envers le « petit patrimoine », fut sans conteste celle du « plan relance culture » de 614 millions d’euros dans lequel le patrimoine non protégé s’est vu créditer de la somme de ZÉRO EURO. Soulignons au passage que pour les édifices protégés au titre des Monuments Historiques n’ont reçu « que » 40 millions de dotation. Quand on sait qu’il y a sur l’ensemble du territoire 45 907 édifices protégés MH, cela laisse songeur.



Si le bilan de ces deux années de « règne » Bachelot se limitait à une répartition injuste des dotations, nous aurions pu être un peu moins amers. Mais ce que nous retiendrons surtout, c’est la vague de démolitions qui n’a cessé de s'amplifier.



« Pas assez remarquable », fut l’argument clé de la ministre pour justifier ses refus de protection qui auraient pu sauver de nombreux édifices, à commencer bien entendu par la chapelle Saint-Joseph, qui était en passe d’être sauvée par son prédécesseur Franck Riester, mais qui s’est vue condamnée par Madame Bachelot à l’aide de cet argument fallacieux. Car « pas assez remarquable » pour qui ?



Il serait peut-être temps de percevoir enfin l’intérêt architectural et historique d’un édifice, non pas dans un contexte national, mais bien dans son environnement local, car ce qui a un intérêt pour Lille n’en a pas forcément pour Marseille et vice versa.



D’autant qu’il est inutile de rappeler que les notions d’esthétisme et de beauté sont totalement subjectives et que l’avis régalien d’une seule personne pour justifier une démolition nous semble totalement absurde au XXIe siècle.



À cette petite liste, rajoutons tout de même les déviances du Plan Action Cœur de Ville qui devient la machine à subventions des élus démolisseurs.



Madame la Ministre de la Culture aurait pu dire stop, elle a dit encore…



Quels sont nos espoirs aujourd’hui ?



La création d’un secrétariat d’État au patrimoine, nous semble être un impératif, si nous ne voulons pas voir la vague de démolitions se transformer en tsunami.



Encore une fois, rappelons les mots de Victor Hugo dans sa « Guerre aux démolisseurs ». Près de deux siècles nous séparent et pourtant, jamais ces lignes n’ont été autant d’actualité.



En deux siècles, tout a changé, mais le patrimoine subit pourtant toujours autant d’exactions. C’est la raison pour laquelle nous avons inventé le mot « patrimonicide », qui semble être une exagération pour certains, alors que pourtant, il s’agit bien de ça. Etymologiquement, Le suffice –cide vient du latin caedere : frapper, tuer, abattre. Donc, l’acte d’abattre le patrimoine, (de patrimonium : l’héritage du père) est bien un patrimonicide.



Mais l’heure est plus à l’action qu’à la contestation.



Ne serait-il pas (enfin) le moment de créer ce secrétariat d’État au patrimoine qui pourrait s’avérer déterminant pour les modestes témoins de notre mémoire collective ?



D’ailleurs, en 2000, sous le gouvernement Jospin, Monsieur Michel Duffour fut Secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Pourquoi ce poste n’a-t’il jamais été reconduit ? Par manque d’efficacité ? Nous n’y croyons pas. Nous croyons plutôt que ce sont des raisons purement économiques qui ont eu raison de lui.



En France, visiblement, on préfère regrouper une multitude de choses dans un ministère « fourre-tout » et celui de la Culture en est le plus bel exemple.



Car soyons objectifs, même le ministre le plus consciencieux et performant du monde, ne peut pas être bon en tout. Pour être efficace, il faut être précis et se consacrer à un sujet en profondeur, et ce afin d’ éviter les dispersions et les erreurs.



Ce secrétariat d’État, nous le demandons depuis de nombreuses années. Alors, certes, il ne règlera pas tous les problèmes du patrimoine, de sa méconnaissance, de son abandon ou de ses mutilations, mais il permettra de traiter les maux principaux en profondeur. Ne l’oublions pas, on peut toujours soigner un malade, mais on ne pourra jamais ressusciter un mort, car quand un édifice est détruit, il l’est pour toujours.



Rappelons tout de même, qu’à l’heure où l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations et que l’on nous somme de réparer plutôt que de jeter, pourquoi ne serait-il pas judicieux de réhabiliter l’existant plutôt que de le démolir ?



Pour des raisons économiques ? Balivernes. Nous avons prouvé que, bien souvent, une réhabilitation coûte moins cher qu’une démolition/reconstruction et quand bien même celle-ci serait plus coûteuse, elle serait en tout cas bien plus pérenne.



Quoi qu’il en soit, des solutions existent pour assurer l’avenir de ce que nous préférons appeler « patrimoine de proximité ». Et des solutions pas forcément très coûteuses. Il suffit parfois d’un peu de volonté et de bon sens pour que les choses deviennent simples et efficaces.



Nous terminerons cet article par une petite phrase de celui qui fut secrétaire d’État au patrimoine, Monsieur Michel Duffour :



« Je crois profondément que le patrimoine se construit au présent. Il est l'une des voies à travers laquelle la modernité de la démocratie fraie son chemin, au plus près des citoyens, dans l'affirmation de son identité culturelle, en même temps que dans la prise au vent du grand large de la coopération. » (Source: http://www.culture.gouv.fr, le 5 février 2001)



Tout est dit et bien dit. En espérant qu’à l’aube de ces cinq nouvelles années de mandat présidentiel, le patrimoine ne soit plus perçu comme une cause réactionnaire et passéiste, mais au contraire, comme une cause moderne résolument tournée vers l’avenir au service des territoires et du bien commun.



Alexandra Sobczak-Romanski


Présidente d’Urgences Patrimoine


La campagne électorale bat son plein, et chacun dévoile son programme en faveur de l’avenir des français. Pouvoir d’achat, sécurité, écologie, éducation, immigration sont les « fers de lance » de cette campagne.



Il est un sujet moins sensible, mais somme toute important, qui n’émerge que peu des discours : le patrimoine. Pourtant, présider la France, c’est présider le patrimoine, car la France est Patrimoine.



Chaque commune, même la plus modeste, porte en son sein un témoin de notre histoire collective. Le patrimoine est notre ADN, un marqueur fort de notre identité. Nous ne parlons pas ici de Versailles, de la Tour Eiffel, de Chambord ou de Notre-Dame qui font la fierté de tous et pour lesquels tous les gouvernements auront toujours un regard attentif et bienveillant.



Nous parlons ici des clochers de nos campagnes, de nos fours à pain, de nos maisons à pans de bois, de nos petits châteaux… Ceux que nous pourrions définir comme « les petits, les obscurs, les sans grades », parce qu’ils ne bénéficient pas de protection au titre des monuments historiques.



S’ils ne sont pas des fleurons du patrimoine national, ils ont cependant tous une valeur ou un intérêt local. Oublier ce « petit patrimoine », c’est oublier la France des territoires.



Les touristes du monde entier, qui représentent une manne économique pour notre pays, ne viennent pas visiter uniquement Versailles ou Paris. Ils viennent également visiter nos belles provinces, parce qu’ils apprécient la diversité de nos paysages, de notre architecture, de notre gastronomie, de nos traditions de nos savoir-faire…



La question qui se pose aujourd’hui est : viendront-ils toujours lorsqu’ils n’auront pour seul spectacle que des zones pavillonnaires avec des maisons à toits plats à la place d’un château XIXe et de son parc, des parkings à la place de gracieux presbytères, ou des champs d’éoliennes qui défigurent tout sur leur passage ? La réponse est aisée : ils iront ailleurs.



Au-delà de l’aspect financier émanant du tourisme, il faut également souligner qu’à l’heure où l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations, un chantier de démolition est tout sauf écologique, car ces chantiers produisent des tonnes de déchets. Certes, on nous expliquera que ceux-ci sont triés et valorisés, mais il suffit de se rendre sur un chantier de démolition pour constater que seulement une infime partie fait l’objet d’un traitement particulier. Soyons lucides, la démolition « propre » n’existe pas.




Depuis quelques années, on invite les français à trier leurs déchets. On les invite également à donner une seconde vie à leurs objets, à réparer ou à céder plutôt que de jeter, parce que c’est plus écologique. Alors pourquoi le patrimoine n’aurait pas droit à ce genre de « faveur » ? « Réparer » le patrimoine, plutôt que le détruire pour assouvir l’appétit des promoteurs immobilier, serait un geste fort pour la planète et un geste fort pour ses habitants.



Certains argumenteront en mettant en avant l’aspect économique. Certes, parfois une réhabilitation est plus coûteuse, mais elle permet d’inscrire un édifice dans la durée, alors que la pérennité d’une construction moderne est contestable. Il suffit de regarder les constructions réalisées il y a une vingtaine d’année pour constater que beaucoup d’entre-elles sont déjà en fin de vie.



N’oublions pas que les réhabilitations sont aussi source d’emploi pour des milliers d’artisans et d’artisans d’art. À l’heure où le « Made in France » est au cœur des préoccupations, il serait judicieux de ne pas priver des milliers de professionnels, ambassadeurs du savoir-faire français, de travail, au prétexte qu’on préfère démolir que « soigner ». Oui, le patrimoine se soigne. Hélas, la principale maladie dont il souffre, est le déni. Et seul le bon sens pourra éradiquer ce mal. Comment un pays qui méprise son passé, peut-il envisager l’avenir ?



Cette question, nous sommes nombreux à nous la poser et nous espérons que l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle y répondront avant que nous nous rendions aux urnes.



Quoi qu’il en soit nous savons déjà que toutes les mesures qui ont été mises en place ces dix dernières années ne sont absolument pas adaptées.



Tout d’abord, parce que le Ministère de la Culture n’est pas en mesure de se préoccuper de tous les sujets et que, la plupart du temps, le patrimoine est le grand oublié des Ministres de la Culture. Mais peut-ont pour autant les blâmer ? Trop de sujets à traiter et pas assez de temps pour mener sérieusement leurs missions. Le temps moyen d’exercice d’un ministre de la culture est de 18 mois. Comment en 18 mois peut-on réfléchir, se poser les bonnes questions, afin d’obtenir les bonnes réponses ?



Depuis longtemps nous pensons que la création d’un secrétariat d’état au patrimoine pourrait considérablement faire avancer la cause. Jusqu’alors, on peut dire que le Ministère de la Culture est un ministère « fourre-tout » et la tâche est trop grande pour un seul Ministre.




Nous pensons également que les idées reçues et l’éternelle phrase « on a toujours fait comme ça »,sont mauvaises conseillères. Il est grand temps de réformer et d’inventer la sauvegarde du patrimoine de demain.



À chaque fois que le patrimoine est mis en avant, on nous répond : budget, argent.



Or, depuis huit ans, Urgences Patrimoine n’a eu de cesse de démontrer que l’argent n’est pas toujours la solution aux problèmes. Certes il faut des sommes colossales pour restaurer, entretenir et valoriser, mais il faut simplement du bon sens pour sauver.




Victor Hugo dans sa « Guerre aux démolisseurs » écrivait :



Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit.



Ne serait-il pas temps de mettre en place des lois qui permettraient d’arrêter les mutilations faites au patrimoine ? Chaque jour, ce sont des dizaines d’édifices qui disparaissent dans l’indifférence générale des pouvoirs publics.



Nos inquiétudes, quant à l’avenir du patrimoine lors des cinq prochaines années, se justifient, entre autres, par l’absence de réaction de l’ensemble des candidats à cette élection, lors de la destruction de la chapelle Saint-Joseph à Lille, il y a un an jour pour jour. Nous avions pourtant sollicité l’ensemble de la classe politique qui aurait pu se mobiliser contre cette démolition injustifiée de ce grand édifice lillois. Mais à part le bruit assourdissant des pelleteuses, nous n’avons entendu personne et nous avons assisté impuissants à un « patrimonicide » de plus.



À qui donc pourrions-nous faire confiance, nous, les défenseurs du patrimoine ? À l’heure où l’on demande aux citoyens de se mobiliser et d’agir, quel sera l’avenir de leur engagement face à des dirigeants s’ils restent sourds et aveugles ?



Le patrimoine ne fait pas de politique, car le patrimoine est un bien commun. Il appartient à chacun d’entre nous et nous ne voulons pas que le patrimoine soit « l’otage » d’un parti plutôt que d’un autre. Nous souhaitons seulement que celle ou celui qui gouvernera la France lors du prochain mandat, soit soucieux de la préservation de cette histoire collective qui fait notre fierté et qui participe au rayonnement de notre pays.



Nous espérons donc avoir des réponses concrètes à travers des programmes concrets, qui offriront au patrimoine des perspectives d’avenir différentes que celles du déni et de la destruction.



Vive le patrimoine, vive la France !



Alexandra Sobczak-Romanski


Présidente d’Urgences Patrimoine

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