La campagne électorale bat son plein, et chacun dévoile son programme en faveur de l’avenir des français. Pouvoir d’achat, sécurité, écologie, éducation, immigration sont les « fers de lance » de cette campagne.
Il est un sujet moins sensible, mais somme toute important, qui n’émerge que peu des discours : le patrimoine. Pourtant, présider la France, c’est présider le patrimoine, car la France est Patrimoine.
Chaque commune, même la plus modeste, porte en son sein un témoin de notre histoire collective. Le patrimoine est notre ADN, un marqueur fort de notre identité. Nous ne parlons pas ici de Versailles, de la Tour Eiffel, de Chambord ou de Notre-Dame qui font la fierté de tous et pour lesquels tous les gouvernements auront toujours un regard attentif et bienveillant.
Nous parlons ici des clochers de nos campagnes, de nos fours à pain, de nos maisons à pans de bois, de nos petits châteaux… Ceux que nous pourrions définir comme « les petits, les obscurs, les sans grades », parce qu’ils ne bénéficient pas de protection au titre des monuments historiques.
S’ils ne sont pas des fleurons du patrimoine national, ils ont cependant tous une valeur ou un intérêt local. Oublier ce « petit patrimoine », c’est oublier la France des territoires.
Les touristes du monde entier, qui représentent une manne économique pour notre pays, ne viennent pas visiter uniquement Versailles ou Paris. Ils viennent également visiter nos belles provinces, parce qu’ils apprécient la diversité de nos paysages, de notre architecture, de notre gastronomie, de nos traditions de nos savoir-faire…
La question qui se pose aujourd’hui est : viendront-ils toujours lorsqu’ils n’auront pour seul spectacle que des zones pavillonnaires avec des maisons à toits plats à la place d’un château XIXe et de son parc, des parkings à la place de gracieux presbytères, ou des champs d’éoliennes qui défigurent tout sur leur passage ? La réponse est aisée : ils iront ailleurs.
Au-delà de l’aspect financier émanant du tourisme, il faut également souligner qu’à l’heure où l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations, un chantier de démolition est tout sauf écologique, car ces chantiers produisent des tonnes de déchets. Certes, on nous expliquera que ceux-ci sont triés et valorisés, mais il suffit de se rendre sur un chantier de démolition pour constater que seulement une infime partie fait l’objet d’un traitement particulier. Soyons lucides, la démolition « propre » n’existe pas.
Depuis quelques années, on invite les français à trier leurs déchets. On les invite également à donner une seconde vie à leurs objets, à réparer ou à céder plutôt que de jeter, parce que c’est plus écologique. Alors pourquoi le patrimoine n’aurait pas droit à ce genre de « faveur » ? « Réparer » le patrimoine, plutôt que le détruire pour assouvir l’appétit des promoteurs immobilier, serait un geste fort pour la planète et un geste fort pour ses habitants.
Certains argumenteront en mettant en avant l’aspect économique. Certes, parfois une réhabilitation est plus coûteuse, mais elle permet d’inscrire un édifice dans la durée, alors que la pérennité d’une construction moderne est contestable. Il suffit de regarder les constructions réalisées il y a une vingtaine d’année pour constater que beaucoup d’entre-elles sont déjà en fin de vie.
N’oublions pas que les réhabilitations sont aussi source d’emploi pour des milliers d’artisans et d’artisans d’art. À l’heure où le « Made in France » est au cœur des préoccupations, il serait judicieux de ne pas priver des milliers de professionnels, ambassadeurs du savoir-faire français, de travail, au prétexte qu’on préfère démolir que « soigner ». Oui, le patrimoine se soigne. Hélas, la principale maladie dont il souffre, est le déni. Et seul le bon sens pourra éradiquer ce mal. Comment un pays qui méprise son passé, peut-il envisager l’avenir ?
Cette question, nous sommes nombreux à nous la poser et nous espérons que l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle y répondront avant que nous nous rendions aux urnes.
Quoi qu’il en soit nous savons déjà que toutes les mesures qui ont été mises en place ces dix dernières années ne sont absolument pas adaptées.
Tout d’abord, parce que le Ministère de la Culture n’est pas en mesure de se préoccuper de tous les sujets et que, la plupart du temps, le patrimoine est le grand oublié des Ministres de la Culture. Mais peut-ont pour autant les blâmer ? Trop de sujets à traiter et pas assez de temps pour mener sérieusement leurs missions. Le temps moyen d’exercice d’un ministre de la culture est de 18 mois. Comment en 18 mois peut-on réfléchir, se poser les bonnes questions, afin d’obtenir les bonnes réponses ?
Depuis longtemps nous pensons que la création d’un secrétariat d’état au patrimoine pourrait considérablement faire avancer la cause. Jusqu’alors, on peut dire que le Ministère de la Culture est un ministère « fourre-tout » et la tâche est trop grande pour un seul Ministre.
Nous pensons également que les idées reçues et l’éternelle phrase « on a toujours fait comme ça »,sont mauvaises conseillères. Il est grand temps de réformer et d’inventer la sauvegarde du patrimoine de demain.
À chaque fois que le patrimoine est mis en avant, on nous répond : budget, argent.
Or, depuis huit ans, Urgences Patrimoine n’a eu de cesse de démontrer que l’argent n’est pas toujours la solution aux problèmes. Certes il faut des sommes colossales pour restaurer, entretenir et valoriser, mais il faut simplement du bon sens pour sauver.
Victor Hugo dans sa « Guerre aux démolisseurs » écrivait :
Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit.
Ne serait-il pas temps de mettre en place des lois qui permettraient d’arrêter les mutilations faites au patrimoine ? Chaque jour, ce sont des dizaines d’édifices qui disparaissent dans l’indifférence générale des pouvoirs publics.
Nos inquiétudes, quant à l’avenir du patrimoine lors des cinq prochaines années, se justifient, entre autres, par l’absence de réaction de l’ensemble des candidats à cette élection, lors de la destruction de la chapelle Saint-Joseph à Lille, il y a un an jour pour jour. Nous avions pourtant sollicité l’ensemble de la classe politique qui aurait pu se mobiliser contre cette démolition injustifiée de ce grand édifice lillois. Mais à part le bruit assourdissant des pelleteuses, nous n’avons entendu personne et nous avons assisté impuissants à un « patrimonicide » de plus.
À qui donc pourrions-nous faire confiance, nous, les défenseurs du patrimoine ? À l’heure où l’on demande aux citoyens de se mobiliser et d’agir, quel sera l’avenir de leur engagement face à des dirigeants s’ils restent sourds et aveugles ?
Le patrimoine ne fait pas de politique, car le patrimoine est un bien commun. Il appartient à chacun d’entre nous et nous ne voulons pas que le patrimoine soit « l’otage » d’un parti plutôt que d’un autre. Nous souhaitons seulement que celle ou celui qui gouvernera la France lors du prochain mandat, soit soucieux de la préservation de cette histoire collective qui fait notre fierté et qui participe au rayonnement de notre pays.
Nous espérons donc avoir des réponses concrètes à travers des programmes concrets, qui offriront au patrimoine des perspectives d’avenir différentes que celles du déni et de la destruction.
Vive le patrimoine, vive la France !
Alexandra Sobczak-Romanski
Présidente d’Urgences Patrimoine