Nous venons d’être sollicités par le collectif de sauvegarde du 24 rue du Château à Roubaix, afin de donner un peu de plus de visibilité à leur action et, bien évidemment, nous avons répondu présents. Présents à double titre. Premièrement, parce que la lutte contre les démolitions, quand elles sont infondées, fait partie de l’ADN d’Urgences Patrimoine et, deuxièmement, parce que nous sommes actuellement en train de restaurer les tombes d’une des plus illustres familles de la ville de Roubaix, dans le cadre de notre Commission Nationale de Sauvegarde du Patrimoine Funéraire, afin de rendre hommage à ceux qui ont eu un rôle déterminant dans cette belle commune du Nord, en particulier au XIXe siècle.
Roubaix, ne l’oublions pas, arbore fièrement le label « Ville d’Art et d’Histoire », avec pour étendard, son riche passé industriel. Et c’est justement un témoin de ce riche passé qui est menacé de démolition aujourd’hui, et ce afin de construire une résidence pour étudiants.
Souvent, l’argument pour détruire un témoin important de la mémoire collective est son état très dégradé. Or, dans le cas qui nous occupe, il nous semble qu’aucun désordre structurel majeur n’est à déplorer. Donc, sauf à être en proie à une crise de « démolitionnite aigüe », nous ne comprenons absolument pas le motif de cette destruction, d’autant qu’une fois réhabilité, ce bâtiment ferait une magnifique résidence pour étudiants.
À croire que nos jeunes ne méritent pas d’étudier dans des lieux chargés d’histoire, ce qui leur permettrait peut-être d’avoir un regard bienveillant plus tard sur le patrimoine. Au lieu de ça, on leur démontre une fois encore que le patrimoine des territoires est « jetable ».
Nous ne le répèterons jamais assez, à l’heure où l’on nous invite un peu plus chaque jour, à réparer au lieu de jeter, et de surtout donner une seconde vie aux objets, pourquoi ne pas faire de même pour le patrimoine ? La jeunesse d’aujourd’hui est très soucieuse de l’avenir de la planète, alors les tonnes de déchets générés par les chantiers de démolition devraient être contraires à leurs idéaux.
Tout cela pour dire que cet ensemble immobilier ne doit pas finir sous les pelleteuses, mais plutôt espérer un avenir flamboyant !
Nous publions ici la lettre ouverte du collectif de sauvegarde qui en appelle aux instances locales et nationales, afin de sursoir à ce projet qui n’a aucun sens.
Merci de signer la pétition en fin d’article.
Lettre ouverte :
Madame la ministre de la Culture, monsieur le Directeur Régionale des affaires culturelles, madame la sous-préfète dédiée à Roubaix, monsieur le maire de Roubaix,
22-24 rue du Château à Roubaix, non à la démolition prenez vos responsabilités.
Le traitement infligé à l’immeuble du 22-24, rue du Château est un scandale. La ville laisse démolir pour permettre à un investisseur, Vinci Immobilier, d'y construire une résidence étudiante. Ceci est en contradiction flagrante avec les engagements renouvelés par la ville dans le cadre du Label Ville d’Art et d’Histoire.
Pourquoi cet immeuble est-il précieux ? Il est situé dans une rue historique qui jouxte l’Hôtel de ville et la Médiathèque et qui a vu naître André Diligent.
Quant à l’immeuble lui-même, de style néo-classique, il est la dernière « maison de fabrique », borne témoin unique de l’industrie textile à Roubaix avant 1840.
Un rapport rédigé sur cet immeuble de la rue du Château rappelle: « Nous sommes ici en plein centre- ville au cœur du site patrimonial remarquable (SPR) attribué par l'état en 2001 ; plusieurs entreprises dont la maison de confection textile Thieffry Frères fondée en 1837 sont installés dans ces immeubles. Ils avaient été érigés pour une activité économique ; ils sont à compter parmi les plus anciens dans ce quartier et dans la ville, datant des années 1840 ; il s'agit d'un ancien comptoir de négoce contemporain de l'église notre dame et de la filature Delattre, présentant des décors similaires et de grande qualité. Il fait partie d'un petit corpus de bâtiments, certains prestigieux et protégés, érigés pour et par des personnalités de l'histoire de la ville ; ils sont des témoins précieux de ce qui a fait la réputation de la ville, une cité qui s'est développée à la cadence de sa population laborieuse.»
Que s’est-il passé ? Ce bâtiment est promis à la démolition à la suite d’un enchaînement d'erreurs et de négligences.
Nous sommes surpris du peu d’attention de l’ABF quant à ce bâtiment emblématique de Roubaix: maison de « fabricant », qualité d’une architecture néo-classique devenue localement rare, belle cour intérieure...
Les services du patrimoine en mairie ainsi que l’élue en charge à l’époque du patrimoine ont été contournés afin d’accélérer le permis de construire
Les élus d’opposition sont intervenus à 3 reprises lors des Conseils Municipaux. L’élu en charge de cette politique a rejeté la demande de préempter sous le double prétexte du coût et de l’absence de projet. Or à plusieurs reprises, a Ville a préempté des bâtiments en vue d’un projet à venir, comme la friche Hibon, le bowling ou la Banque de France, et elle pouvait solliciter l’EPF pour acquérir cet immeuble. Elle avait d’ailleurs, en 2021, préempté un autre bâtiment de la rue avec le motif d’y construire... une résidence étudiante. Le patrimoine industriel de Roubaix est protégé par plusieurs dispositifs impulsés par l’état qui a le devoir d’en faire respecter l’esprit. Ce patrimoine donne de la valeur à cette commune et constitue un bien commun. L’irresponsabilité, l’amateurisme et la connivence avec les promoteurs sont condamnables. Aujourd'hui, une pétition citoyenne tourne sur le site change.org pour s’opposer à la démolition, et elle a recueilli 1100 signatures, ce qui témoigne d’une forte mobilisation de tous horizons.
Nous demandons donc à la ville, à l’Etat, au ministère de la Culture de mettre en œuvre les mesures de sauvegarde qui s’imposent en gelant cette opération. C’est affaire de volonté politique. Par exemple, en 1995, le nouveau maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, a stoppé d’extrême justesse la démolition de l’usine LU, qui deviendra le magnifique « Lieu Unique », réinventé par l’architecte Patrick Bouchain, qui a conduit la rénovation de la Condition Publique.
Désormais, chacun est devant ses responsabilités.
Michel David, Conseiller municipal, initiateur de la pétition.
Jean-François Boudailliez, ex-adjoint à la culture, Président de métropole.label.le
Véronique Lenglet, ancienne conseillère déléguée au patrimoine de Roubaix
Xavier Lepoutre
Gilles Maury, président de la Société d’émulation de Roubaix, maitre de conférences ENSAPL, architecte.