Le sort de l’église Sainte-Germaine-Cousin, située à Calais dans le quartier du Pont-du-Leu est toujours en suspens. Qu’adviendra-t-il de ce remarquable lieu de culte, emblématique de l’esprit Art Déco qui a pu présider, ça et là au sein de la région des Hauts-de-France, à certaines constructions religieuses au cours des années 1920 et 1930 ? Pour l’instant, tous les regards se tournent vers la DRAC, dont le verdict sera sans doute décisif.
Rappelons les faits. Suite à la divulgation en août 2020 dans la presse locale de l’intention affichée par le diocèse d’Arras de se séparer de l’église Sainte-Germaine-Cousin dans la mesure où son entretien excéderait désormais ses possibilités financières, Urgences Patrimoine et l’EPAC (Environnement Patrimoines du Calaisis) se sont très vite penchés avec attention sur ce dossier. En effet, dans les textes publiés par des journalistes apparemment bien informés, le diocèse serait depuis plusieurs mois en tractation avec des promoteurs immobiliers, dont l’objectif est sans conteste de raser l’église afin de libérer une belle parcelle propre à accueillir une résidence abritant plusieurs appartements ; concession au diocèse, un espace devant servir de chapelle serait aménagé à l’intérieur du nouveau bâtiment. Deux des arguments avancés en faveur de l’abandon de l’église par les responsables diocésains sont d’une part qu’elle serait devenue malsaine car envahie par l’humidité, et que, d’autre part, elle n’accueillerait quasiment plus de fidèles.
Ce dernier argument apparaît assez facilement explicable dans la mesure où les portes de l’église sont très rarement ouvertes pour la célébration d’offices (pour quelques heures, une fois toutes les trois semaines en moyenne et dans le meilleur des cas). Une rapide consultation de la base de données Palissy du ministère de la Culture a permis aux membres d’Urgences Patrimoine et de l’EPAC de constater que vingt-huit verrières de l’église Sainte-Germaine-Cousin étaient inscrites depuis 1997 à l’inventaire des Monuments Historiques et bénéficiaient à ce titre d’une protection : situées dans le chœur, la nef, les fenêtres hautes et les bas-côtés ainsi que dans la chapelle des fonts baptismaux, elles représentent des saints et des saintes ainsi que diverses scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Signées du grand maître-verrier Louis Barillet, leur datation a été estimée à 1934.
Si les vitraux sont protégés en cas de destruction de l’église, rien n’empêcherait leur propriétaire de les déposer et de les entreposer loin des regards. Une visite des lieux permet de constater que l’intérieur de l’église recèle d’autres richesses artistiques, au premier rang desquelles un magnifique chemin de croix en mosaïque, probablement œuvre de Louis Barillet ou de ses disciples. Le chœur, d’une pureté remarquable, ainsi que les piliers soutenant la voûte d’une blancheur immaculée, présentent de délicates décorations de style néo-byzantin. Si l’architecte de l’édifice, Julien Barbier, n’est pas très connu, sa réalisation se distingue de toutes les églises du Calaisis et apparaît comme une véritable rareté à l’échelle du département. Aussi une demande d’ouverture d’un dossier pouvant aboutir à une inscription de l’ensemble de l’édifice a-t-elle été déposée quelques semaines après que les intentions du diocèse aient été divulguées. Première bonne nouvelle : la DRAC acceptait, fin novembre 2020, d’instruire ce dossier.
Une visite des lieux par l’équipe d’experts diligentée sur place aboutissait à un constat très clair : l’église est saine. Si des remontées d’humidité sont réelles au niveau de son sous-sol, ce phénomène concerne l’ensemble des bâtiments d’un quartier autrefois parcouru par un cours d’eau, mis sous canalisation récemment et ne compromet en rien, à ce stade, la stabilité du bâtiment, lequel est bien arrimé sur des fondations très profondément et solidement ancrées dans un sol d’une nature jadis marécageuse et resté relativement instable : les longs pieux qui soutiennent l’église reposent en effet sur le roc. Pour cette raison, envisager la construction d’une résidence au même emplacement impliquerait de fait des frais énormes : raser à l’aide de bulldozers l’église ferait bouger les très puissants piliers qui la soutiennent et qui devraient être remplacés… à moins que les démolisseurs ne choisissent de démanteler, brique par brique un lieu de culte dont le solide et fier clocher a été terminé seulement à la fin des années 1980 ? Quoiqu’il en soit, l’argument selon lequel l’église était devenue insalubre tombait.
D’aucuns murmurent que l’église Sainte-Germaine-Cousin, de par sa haute valeur patrimoniale, mériterait plus qu’une inscription… c’est-à-dire un classement. Rien n’est joué pour le moment, répétons-le. Quoiqu’il en soit, les associations soucieuses de la préservation du patrimoine se doivent de parer à toute éventualité. Si l’église ne bénéficie d’aucune protection de la part de l’État, ou si cette protection s’avère insuffisante, il est nécessaire de monter un projet permettant de sauvegarder le bâtiment en lui trouvant une autre fonction et en attirant du même coup des investisseurs respectueux du patrimoine et qui s’engageraient à conserver l’intégrité des lieux. Des propositions existent : transformer la tribune d’orgues en antenne du Conservatoire à Rayonnement Départemental de Calais, installer un musée d’art sacré dans les bas-côtés (les productions du mouvement artistique « La Nef », actif dans l’entre-deux-guerres sur la côte d’Opale, seraient par exemple parfaitement à leur place dans cet espace), faire de la nef un lieu de concert. Afin de respecter la destination originelle du lieu – permettre le rassemblement des chrétiens – transept, chœur, fonts Baptismaux et sacristies continueraient à remplir cette fonction. L’agréable espace vert qui l’entoure, actuellement fermé au public, pourrait devenir un lieu de repos doublé d’une aire de jeux pour les enfants dans un quartier extrêmement minéralisé. Un parking pourrait être aménagé dans la cour du patronage, utile lors des manifestations culturelles.
Contactés ces dernières semaines, le Conseil Départemental du Pas-de-Calais a assuré suivre de près le dossier, tandis que le Conseil Régional s’est déclaré prêt à financer une éventuelle restauration du lieu, sachant qu’il ne peut en aucun cas racheter le bâtiment. La municipalité de Calais a quant à elle accordé le bénéfice d’une entrevue à deux représentantes d’Urgences Patrimoine et de l’EPAC. Le message est clair : la mairie refuse de dépenser le moindre euro pour conserver l’église Sainte-Germaine, ne souhaitant pas « avoir sur les bras » (sic) un bâtiment dont l’entretien représente plusieurs milliers d’euros par an. Dans l’hypothèse où l’édifice serait valorisé en tant que centre culturel, il présenterait pourtant de nombreux aspects propices à drainer des touristes, notamment lors du festival « Le Printemps de l’Art Déco » initié par la Région Hauts-de-France et dont, jusqu’à présent, le Calaisis est exclu. La politique patrimoniale adoptée par la mairie du Calais ne laisse pas de surprendre : après avoir décroché l’enviable label Ville d’Art et d’Histoire, elle semble se désintéresser de toute une partie des bâtiments qui font son histoire, quand elle ne contribue pas à leur disparition (cf. la destruction de l’immeuble HBM signé Roger Poyé en juillet 2020, malgré une très forte mobilisation des amoureux du patrimoine).
Faudra-t-il un miracle pour que l’église Sainte-Germaine-Cousin du Pont-du-Leu reste debout ? Gageons que les décideurs ne restent pas sourds au mécontentement des habitants du quartier et comprennent d’eux-mêmes la richesse patrimoniale qu’elle représente. La Gazette du Patrimoine suit l’affaire de très près et ne manquera pas d’informer ses lecteurs des futurs rebondissements de ce dossier.
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